La Presse Anarchiste

Élisée Reclus

Un mal­en­ten­du qu’il est indis­pen­sable de dis­si­per, existe dans nos milieux au sujet d’É­li­sée Reclus. Il est regret­table d’en­tendre dire : « Reclus, une vieille barbe ou « Bien péri­mé, Reclus » ou encore « Que lire encore de lui aujourd’­hui ? » Car c’est injuste, faux.

Ces juge­ments à l’emporte-pièce témoignent du peu de sérieux que cer­tains apportent à leur culture, influen­cés qu’ils sont bien sou­vent par les pla­cards criards et les titres sur quatre colonnes.

Reclus n’est ni péri­mé, ni inac­tuel. Nous ne pou­vons, en ces quelques lignes, que l’af­fir­mer. Mais nous devons dire que ceux qui feront ce que je viens de faire moi-même pour cette étude, relire Reclus, ou s’ils ne l’ont fait déjà, le lire, ne per­dront pas leur temps. Pre­nons, par exemple, la « Cor­res­pon­dance » et l’on sera éton­né de la richesse « liber­taire » de cette œuvre en « marge » du monu­ment lit­té­raire que laisse, par ailleurs, Reclus.

D’o­ri­gine pro­tes­tante, né le 30 mars 1830 à Sainte-Foy-la-Grande, dans la Gironde, il mou­rut près de Bruxelles, le 4 juillet 1905. Son cer­cueil fut accom­pa­gné seule­ment, sui­vant son désir for­mel, par le seul Paul Reclus, son neveu.

Éli­sée Reclus, avec son frère Élie, qui fut son com­pa­gnon et l’a­mi cher de toute sa vie, eut une enfance et une jeu­nesse pieuses et consa­crées à l’é­tude, dans leur famille, puis en Alle­magne, dans un col­lège diri­gé par les Frères Moraves, secte chère au pas­teur, leur père.

Ils sui­virent ensuite les cours de la Facul­té pro­tes­tante de Mon­tau­ban ; puis, en 1843, ils repar­tirent pour l’Al­le­magne où ils sui­virent les cours du grand géo­graphe Karl Rit­ter. Ils y étaient l’un et l’autre au moment où écla­tait, en France, la révo­lu­tion de 1848. Reve­nus à Mon­tau­ban, ils étu­dièrent Prou­dhon, Leroux, Schel­ling. Mais, après le coup d’É­tat du 2 décembre 1851, dénon­cés pour leur esprit d’in­dé­pen­dance et leurs ten­dances « répu­bli­caines », ils durent quit­ter la France et n’y ren­trèrent qu’en 1857, et, ain­si, Éli­sée Reclus connut, pour la pre­mière fois, le goût amer de l’exil. De Londres, où il se ren­dit tout d’a­bord, il gagna l’Ir­lande, où il prit contact avec la « terre » qu’il devait étu­dier si pas­sion­né­ment en s’oc­cu­pant d’un domaine de 82 hec­tares, puis l’A­mé­rique, à New-York d’a­bord, en Loui­siane ensuite, et enfin en Colom­bie, d’où il rap­por­ta le récit de l’ex­pé­rience qu’il ten­ta : « Voyage à la Sier­ra Neva­da de Sainte-Marthe » (« Revue des Deux-Mondes », 1858 – 1859, et Hachette, 1861). Il revint en France en 1857, se maria et com­men­ça d’é­crire la remar­quable « His­toire d’un ruis­seau » et la « Terre, des­crip­tion des phé­no­mènes du globe» ; qui lui fit acqué­rir, d’emblée, la célé­bri­té. Il col­la­bo­rait en même temps, pour vivre, à la confec­tion des « Guides Joanne » (Hachette) et publiait de nom­breux articles dans la « Revue des Deux-Mondes », le « Bul­le­tin de la Socié­té de Géo­gra­phie » et la « Revue Germanique ».

Mais si les cir­cons­tances de sa vie, son intel­li­gence et son ardeur au tra­vail avaient fait de lui un géo­graphe déjà connu et admi­ré, les évé­ne­ments poli­tiques et sociaux vont révé­ler le théo­ri­cien et le phi­lo­sophe libertaires.

En 1870, Reclus entre dans la Garde natio­nale, au bataillon des aéro­nautes de Nadir. Puis, c’est la Com­mune où il prend d’a­bord le fusil, dans le rang, et le 5 février 1871, lors de la sor­tie contre le Mont-Valé­rien, il est fait pri­son­nier par les Ver­saillais. C’est la pri­son, à Ver­sailles, à Sato­ry, puis la condam­na­tion à la dépor­ta­tion. (Voir, sur cette période, le livre d’Elle Reclus, « Jour­nal de la Com­mune », Schlei­cher, éditeur.)

Il fut libé­ré en février 1871 à la suite de la péti­tion faite, par le monde savant et notam­ment par les plus émi­nents hommes de sciences et lit­té­ra­teurs anglais (décembre 71).

Sa peine fut com­muée en dix années de ban­nis­se­ment et il reprit, accom­pa­gné par des gen­darmes, en voi­ture cel­lu­laire et menottes aux mains (les démo­cra­ties ont de ces élé­gances…), le che­min de l’exil, la Suisse.

Là, avec Lefran­çais, il publia une revue « socia­liste », puis col­la­bo­ra au « Révol­té » (et, après la dis­pa­ri­tion de cette revue, à la « Révolte » et aux « Temps Nou­veaux ») et à par­tir de mars 1876, selon Net­lau, il pro­fes­sa publi­que­ment des idées liber­taires. Mais, paral­lè­le­ment, il fit paraitre suc­ces­si­ve­ment l’«Histoire d’une mon­tagne » et entre­prit la rédac­tion de la pre­mière œuvre col­lec­tive de ce genre en langue fran­çaise, « Géo­gra­phie Uni­ver­selle : la Terre et les hommes », en dix-neuf volumes, tra­vail gigan­tesque, monu­ment d’é­ru­di­tion et d’in­ter­pré­ta­tion géo­gra­phiques des faits phy­siques, géo­lo­giques et humains, œuvre sou­vent plagiée.

Pour­sui­vis après les atten­tats de 1892, Éli­sée et Élie Reclus quit­tèrent de nou­veau la France, qu’ils avaient rega­gnée après l’ar­mis­tice, et gagnent la Bel­gique où Éli­sée Reclus rédige cette œuvre remar­quable : « L’Homme et la Terre » dont la conclu­sion n’est autre que la recon­nais­sance de l’«Anarchie » comme état social de l’a­ve­nir, l’hu­ma­ni­té par­ve­nue au der­nier stade de son évolution.

C’est dans cette œuvre comme dans ses autres ouvrages de pro­pa­gande et ses bro­chures que l’on trou­ve­ra l’ex­po­sé des idées liber­taires, phi­lo­so­phiques et sociales de Reclus.

La char­nière essen­tielle, c’est la liber­té. C’est elle qui se dégage non seule­ment comme une doc­trine, mais comme une base d’ac­tion, appli­cable à toutes les formes que peut lui faire prendre l’a­nar­chisme militant.

Le mal­en­ten­du vient de ce que beau­coup de nos amis, habi­tués aux « gestes », aux pla­cards vio­lents, les uns et les autres sou­vent néces­saires et dic­tés par les néces­si­tés de l’ac­tion, mais subor­don­nés, ne l’ou­blions pas, aux cir­cons­tances et aux temps, consi­dèrent trop sou­vent ces gestes, cette action comme le conte­nu de l’a­nar­chie, comme toute l’a­nar­chie. Il y a les idées et il y a leur appli­ca­tion. il y a dans l’a­nar­chie une éthique, comme il y a un pro­gramme social, comme il y a encore une phi­lo­so­phie liber­taire. Ce qui fait l’im­por­tance et la gran­deur de Reclus, c’est de les avoir fixés, de leur avoir don­né la cohé­rence, la soli­di­té néces­saires. C’est d’en avoir fait un tout où pui­se­ront, tour à tour, les mou­ve­ments issus de l’a­nar­chisme pour l’action.

Et, par là, il prend place, avec Kro­pot­kine, Bakou­nine. Stir­ner, etc.. par­mi les ini­tia­teurs de notre idéal.

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