La Presse Anarchiste

En Bretagne

Il y a quelques temps je lisais sur le jour­nal Le Matin un arti­cle sur le clergé de la Bre­tagne ; pour ceux qui ne con­nais­sent pas les choses, cela a dû paraître exagéré, mais je vous assure que, pour ceux qui sont à l’œu­vre dans ce pays tant chan­té des poètes et com­bi­en peu poé­tique, cela ne l’é­tait pas.

Ici, dans un petit vil­lage, réac­tion­naire s’il en fut, le curé est seigneur et maitre.

Les maîtress­es de l’é­cole laïque sont oblig­és de con­duire les enfants à la messe, au catéchisme et, le jour de la fête Dieu, à la pro­ces­sion, ain­si vous pou­vez juger du sup­plice d’une maîtresse aux idées libérales, comme me le dis­ait une d’elles : « Pourquoi ne pas con­duire les enfants au tem­ple protes­tant ou à la syn­a­gogue, avant de com­mencer la classe ? » En la ter­mi­nant les élèves doivent réciter le chapelet et j’ai appris que ce n’é­tait pas seule­ment dans les vil­lages, mais aus­si à Nantes qu’il en était ain­si ; des insti­tu­teurs ont bien essayé de pro­test­er, mais ils ont été men­acés et ont dû se taire.

Le médecin est cléri­cal, le chef de l’u­sine aus­si et voici ce qui arrive : quand nous allons vis­iter une famille où il y a des malades qui nous sont sym­pa­thiques et qui assis­tent aux « réu­nions protes­tantes » [[C’est ain­si qu’on appelle nos con­férences évangéliques.]], vite le médecin prévient le curé, qui à son tour en informe le chef d’u­sine ; si c’est la femme qui est malade, on lui dit que si elle con­tin­ue à recevoir les dames protes­tantes, il sera obligé de chercher de l’ou­vrage ailleurs, si au con­traire c’est le mari qui est malade, on dit à la femme que si elle devient veuve on ne lui don­nera aucun sec­ours ; devant tant d’ob­sta­cles, les pau­vres gens ne peu­vent pas résis­ter et ils fer­ment leurs portes. Du côté des enfants c’est la même chose ; s’ils ont le mal­heur d’as­sis­ter à une réu­nion, on les men­ace de ne pas leur laiss­er faire la pre­mière com­mu­nion. Que le curé empêche ses ouailles de venir dans nos réu­nions il est par­faite­ment dans son droit, mais, de grâce, emploie des argu­ments autres que ceux qui s’at­taque­nt à la lib­erté de con­science, comme ces men­aces de priv­er des mal­heureux de leur pain quo­ti­di­en. Ajoutez à cela l’ig­no­rance, la super­sti­tion, la dépra­va­tion. Il est rare de ren­con­tr­er des maisons où il n’y ait pas d’ivrognes ; quand ce n’est pas le mari, c’est la femme, et quelque­fois mal­heureuse­ment les deux ; quant a la pros­ti­tu­tion n’en par­lons pas, une fille mère qui en est à son troisième enfant me dis­ait : « Du souci, pourquoi voulez-vous que je m’en donne, je ne suis pas la seule et celles qui n’ont pas d’en­fant, c’est qu’elles n’ont pas trou­vé d’homme ». Je vous dis­pense du reste. Mais aus­si que voulez-vous faire avec des gens qui vous dis­ent : « Mes péchés, quand ils me pèseront assez, j’i­rai faire une bonne con­fes­sion et tout sera finis ». Quant au men­songe, je crois vrai­ment qu’il a pris nais­sance en Bre­tagne. Une jeune fille de bonne édu­ca­tion a qui j’en fai­sais la remar­que. me dis­ait : « mais pourquoi voulez-vous que je me prive de men­tir, que je com­mette un men­songe ou cent, au con­fes­sion­nal c’est la même chose et vrai­ment je serais bonne de m’en priver ! »

Main­tenant, un cas de super­sti­tion : un jour je cau­sais avec des pêcheurs qui pré­paraient leurs bar­ques ; ce soir-là, ils ne prirent pas de pois­son et le curé l’ayant appris, ne man­qua pas de leur dire : « Vous avez par­lé avec la demoi­selle protes­tante ; elle vous a jeté un sort, c’est pour cela que vous n’avez rien pris (sic) ».

L’ÈRE NOUVELLE a une grande tâche devant elle, puisqu’elle a mis dans son pro­gramme : « Guerre au cléri­cal­isme ». Qu’elle puisse nous don­ner une telle lumière que les Bre­tons en soient aveuglés et qu’en­fin ils se tour­nent vers celui qui a dit : « Je suis la lumière du monde ».

E. Lourde


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