La Presse Anarchiste

La C.G.T. et le virus électoral

Nous sommes habi­tués à voir les diri­geants de la C.G.T. se livrer à bien des renon­ce­ments, à bien des renie­ments ; leur char­la­ta­nisme n’est pas chose nouvelle.

Ayant adhé­ré sans réserve, sans même l’ar­rière-pen­sée d’un quel­conque pro­fit pour la cause révo­lu­tion­naire à toutes les mesures néces­si­tées par la guerre impé­ria­liste, ils se sont com­mis, dans la Résis­tance, avec les pires sou­tiens et ani­ma­teurs de la réac­tion sociale. Ils ont exploi­té hon­teu­se­ment, à des fins per­son­nelles, les sen­ti­ments réso­lu­ment anti­fas­cistes de la grande masse tra­vailleuse au nom de laquelle, avec le manque de scru­pules qui leur est fami­lier, ils se per­mettent encore de faire entendre leur voix.

Main­te­nant, plus que jamais, on peut les voir faire un excellent ménage avec les repré­sen­tants de l’É­tat, de l’Ar­mée et de l’É­glise ; M. Saillant, secré­taire confé­dé­ral et pré­sident du Comi­té natio­nal de la Résis­tance qui, au temps de Vichy et par oppo­si­tion à la « Charte du Tra­vail », se fai­sait le cham­pion de l’in­dé­pen­dance syn­di­cale, méri­tait alors notre estime. À cette époque, nous aurions dit : le « cama­rade » Saillant. Mais, aujourd’­hui, il appar­tient à un autre monde que celui des idéa­listes attar­dés dont nous sommes. Bien d’autres, par­mi les­quels nous cite­rons en pas­sant Gazier, Rey­naud et consorts, ont sui­vi le même chemin.

Pour cou­ron­ner leurs dévia­tions, leurs com­pro­mis­sions suc­ces­sives, ces édiles sont deve­nus membres de l’As­sem­blée consul­ta­tive, au trai­te­ment de 15.000 fr. par mois ! Il parait que leur pré­sence au Palais du Luxem­bourg per­met aux tra­vailleurs syn­di­qués de peser sur les déci­sions gou­ver­ne­men­tales ! Car les ci-devants mili­tants sont leurs repré­sen­tants qualifiés.

Mais toutes ces com­bi­nai­sons mal­hon­nêtes ne suf­fi­saient pas à nos « héros » de la Résis­tance syn­di­cale. Ils ont trou­vé mieux que tout cela. L’ac­tion syn­di­cale ne s’exer­ce­ra pas seule­ment sur les lieux du tra­vail, la grève étant consi­dé­rée par ces augures comme une arme péri­mée et inter­dite : plus de mani­fes­ta­tions pour le pre­mier mai ! C’est aux élec­tions que la vieille mai­son syn­di­cale engage les mili­tants à par­ti­ci­per : comme can­di­dats « syndicalistes ».

Aujourd’­hui, c’est dans les assem­blées muni­ci­pales que le mou­ve­ment syn­di­cal parle de com­men­cer à se dis­pu­ter les sièges. Et, demain, pour­quoi pas au sein du Par­le­ment ? C’est le pre­mier pas qui coûte.

Si les mili­tants de la base se lais­saient entraî­ner aus­si bien dans ce sillage boueux de la léga­li­té, sur quoi pour­rait-on encore appuyer des espoirs en une révo­lu­tion sociale ? Par voie syn­di­cale, il est aisé, pour qui le veut bien, d’é­du­quer, d’é­le­ver mora­le­ment et intel­lec­tuel­le­ment les tra­vailleurs de leur faire prendre conscience de leur situa­tion d’ex­ploi­tés et de faire pas­ser dans leurs rangs le souffle de la révolte sal­va­trice. Et on les invite, au contraire, à prendre part à la mani­fes­ta­tion la plus sym­bo­lique de leur assu­jet­tis­se­ment éco­no­mique et social, à par­ti­ci­per acti­ve­ment aux luttes électorales.

D’au­cuns nous diront que cela peut se défendre et que le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire, le syn­di­ca­lisme tra­di­tion­nel est d’un autre âge et le taxe­ront même de roman­tique. Et bien ! non, mes­sieurs les minis­trables de la C.G.T. Le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire n’est pas mort. Le souffle de la révolte n’est pas éteint, et la foi en l’ef­fi­ca­ci­té de l’«action directe » du sala­riat contre le patro­nat n’est pas mort ! Des grèves récentes sont venu le prouver.

La classe ouvrière, pour aus­si mal­léable qu’elle vous paraisse, n’est pas dépour­vue de toute vel­léi­té d’ac­tion, ni gan­gre­née par la cor­rup­tion qui est la vôtre. C’est dans les ins­ti­tu­tion d’un régime ignoble et chan­ce­lant auquel vous devriez don­ner le coup de grâce que vous l’in­vi­tez à s’en­li­ser. Après avoir acquis, par le jeu de ces ins­ti­tu­tions, un confort maté­riel dont vous êtes esclaves dans cette socié­té bour­geoise et déca­dente, vous invi­tez l’humble mili­tant à vous suivre et à se traî­ner dans la fange.

Nous, nous n’a­vons pas le culte des morts, ni celui de la tra­di­tion ; cepen­dant l’a­na­lyse des évé­ne­ments nous ramène inva­ria­ble­ment aux prin­cipes ini­tiaux du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire, cet anar­cho-syn­di­ca­lisme inau­gu­ré par les Pel­lou­tier, les Pou­get, les Gri­fuelhes et autres mili­tants valeu­reux qui devraient être vos maitres spi­ri­tuels, mais dont vous êtes indignes.

La suc­ces­sion des évé­ne­ments peut faire varier l’ac­tion dans ses formes, mais non au point de lui faire perdre son carac­tère ini­tial et de la détour­ner de ses buts. L’es­prit de la Charte d’A­miens est tota­le­ment étran­ger à vos déli­bé­ra­tions, mais il demeure néan­moins le leit­mo­tiv d’un grand nombre de syn­di­ca­listes sin­cères et actifs.

La dis­pa­ri­tion des injus­tices propres à un régime qui doit être détruit ne sera pas l’œuvre de vos délé­ga­tions embour­bées dans les assem­blées poli­tiques et par­le­men­taires. Elle ne pour­ra être que la consé­quence d’une action effec­tive des masses tra­vailleuses qui, pas­sant outre à vos avis, à vos mots d’ordre et à vos appels à la sou­mis­sion, feront inter­ve­nir dans la balance tout le poids de leur puis­sance créa­trice. C’est par l’ap­pro­pria­tion pure et simple de tous les moyens de pro­duc­tion et par la sup­pres­sion com­plète des ins­ti­tu­tions dans les­quelles vous vous com­plai­sez que le peuple bri­se­ra ses chaînes.

L’ef­fort sera sans doute plus rude, mais com­bien plus fécond.

La Presse Anarchiste