La dénonciation du pacte d’amitié turco-soviétique ainsi que le voyage de Tito auprès de Staline remettent en vedette toute la question d’Orient. En effet, il s’agit pour les nouvelles dictatures qui dirigent le monde, et dont les hommes politiques ne sont que les exécutants, de prendre position dès maintenant. Disons-le tout net : les peuples à qui l’on a monté l’idéologie de l’espace vital ou de la défense des libertés sont trompés tous au même titre, à savoir qu’il n’y a pas une forme de dictature mauvaise et une autre meilleure, mais qu’il n’y a qu’une dictature, celle de la matière contre l’homme, alors qu’on admettait que l’homme devait asservir la matière pour son bien-être futur. Demain ce seront les détenteurs de la matière qui asserviront les moins bien partagés dans ce domaine, dictature économique à formes diverses et dans lesquelles le capitalisme libéral perd de plus en plus son influence pour faire place au capitalisme d’État. En autant pour leur liberté contre le cancer hitlérien, les peuples attachés au char du capitalisme ont été mis dans l’obligation pour sauver l’une de sauver l’autre aussi. C’est là que se trouve le drame et, devant une nouvelle formule de capitalisme, de nouvelles conceptions de lutte devront être édifiées. C’est en 1833 que la Turquie, écrasée par l’Égypte, fit appel à la Russie, laquelle défendit Constantinople où elle pensait bien s’installe définitivement. Le traité d’Unkjar-Skelessi engageait la Turquie à fermer les Détroits à tous les navires étrangers et la mer Noire devenait un bastion inquiétant pour l’Angleterre. La Convention des Détroits en 1841 donnait toute souveraineté à la Turquie, mais interdisait le passage à tout navire de guerre sans exception. La Russie perdait donc le bénéfice du traité de 1833. Nicolas Ier, après des démarches tortueuses auprès de l’Angleterre, qui le laissa s’engager pour mieux le combattre, vit se dresser devant lui la. France qui, en plus des questions territoriales, était entraînée par la question des Lieux Saints, chers à l’Église. Le traité de Paris de 1856, à la suite de la guerre de Crimée, réglait la neutralisation de la mer Noire, interdite désormais à tous navires de guerre, même des puissances riveraines. Les petites principautés danubiennes prennent leur naissance à cette date. En 1871, la conférence de Londres ratifie la dénonciation faite par la Russie de la clause de neutralisation de la mer Noire du traité de Paris de 1856 ; en même temps la politique russe prenait nettement position en vue du démembrement de l’empire turc et, en 1877 – 78, le panslavisme s’étend d’une façon inquiétante ; le traité de San-Stefano fait apparaître, créé sous la tutelle russe, la grande Bulgarie. Au traité de Berlin, nouveau remaniement territorial : la Bosnie-Herzégovine passe entre les mains des Autrichiens, faisant de ces derniers une puissance balkanique qui, tôt ou tard, se trouverait face à face avec la Russie. On sait que de ce guêpier est née la guerre de 1914, celle que par modestie on a appelée la der-des-der. En 1926, à Montreux, l’U.R.S.S., par la voix de Litvinov, avait tenté d’introduire un droit absolu à la mer Noire pour les États riverains, ce qui excluait les puissances maritimes occidentales. À l’appui de sa thèse il démontrait la nécessité d’une liaison entre les chantiers navals de la mer Noire et les ports militaires de la Baltique susceptibles d’être l’objet d’une attaque allemande ou les ports russes d’Asie en but à une attaque possible des Nippons. Or, une mer fermée ne pouvait en rien servir la Russie si les bateaux de la mer Noire étaient dans l’impossibilité de rallier les bases de la Baltique ou du Pacifique. La conférence rejeta les propositions russes, la Turquie seule devenait souveraine, mais à condition qu’elle prenne position de puissance belligérante dans une guerre. La Turquie restant neutre, les détroits sont fermés à toutes les puissances. Cette position a été prise par La Porte depuis 1939. Il est évident que l’U.R.S.S., dont la position militaire et diplomatique depuis 1941 est devenue prépondérante en Europe, va peser de sérieuses questions au sujet des Dardanelles et que pour appuyer ses positions elle ne pouvait conserver toute sa force au traité d’amitié turco-russe de 1925. Il y aura du tirage, car les impérialismes en présence, s’ils détiennent les matières premières, doivent en garantir les transports et la sécurité ; or, une puissance concurrente en Méditerranée ne peut qu’être un danger pour l’Angleterre ; la leçon italienne a porté ses fruits et on ne recommence pas deux fois pour le même prix. La puissance maritime française n’est plus très dangereuse ; quant à l’Espagne, la question ne se pose pas. La diplomatie russe prévoit les difficultés ; aussi, pour éviter un conflit grave au moment du nouveau partage entre les gargantuas mondiaux, commence-t-elle à poser des jalons. Le contrôle méditerranéen ne se situe pas nécessairement au Bosphore, il peut partir de la côte dalmato-yougoslave ou monténégrine, avec un appui assuré des puissances slaves de Bulgarie et Yougo-Slavie. C’est là que se place le pacte yougoslave‑U.R.S.S., signé également pour vingt ans et où chaque partie contractante s’engage à épauler l’autre dans l’action diplomatique et économique, à ne pas faire d’alliance sans en rendre compte au co-signataire et à ne pas se joindre à toute attaque ou coalition dressée par les les adversaire de l’un ou de l’autre. Ainsi, avec les traités signés avec la Tchéco-slovaquie et celui, en préparation, avec la Pologne, c’est une union solide des peuples slaves en Europe qui se constitue. N’oublions cependant pas que la politique des blocs d’influence, rejetée comme étant susceptible de préparer de nouveaux conflits, se précise un peu partout.
Aussi, au moment où le chancre nazi qui pourrissait l’Europe de militarisme, d’agression, de politique appuyée par la puissance de la gueule béante des canons, alors que l’hémorragie n’est pas encore jugulée, déjà la course aux débouchés, appuyée sur la force armée, recommence, les barrières pour la destruction desquelles des millions de travailleurs tombent depuis six ans ne sont pas détruites, que déjà de toute part on en élève d’autres pour protéger l’impérialisme de chacun.