La Presse Anarchiste

Souvenir de Camillo Berneri

Il y aura huit ans, le 6 mai, que, en 1937, sur les ram­blas de Barcelone, la Croix-Rouge ramas­sait le corps meur­tri de Camil­lo Berneri. Arrêté l’a­vant-veille, à son domi­cile, par de soi-dis­ant policiers, il avait été lâche­ment assassiné.

C’é­tait l’homme, l’a­n­ar­chiste mil­i­tant, le directeur de « Guer­ra di classe » qui tombait sous les balles de ces fana­tiques que l’on se plaît encore à nom­mer « nos frères enne­mis ». Il était une vic­time, par­mi tant d’autres, de ces « journées de mai » où se mon­trèrent si tris­te­ment les méth­odes employées par ce par­ti qui pré­tend, seul, pos­séder la vérité révolutionnaire.

Mais c’é­tait surtout le mili­cien de la Révo­lu­tion espag­nole, le com­bat­tant lucide de la révo­lu­tion sociale un des plus purs et des meilleurs que l’on avait voulu sup­primer. Tout, en effet, désig­nait Berneri aux coups de ses bour­reaux : sa vie mil­i­tante, sa « per­son­nal­ité », son activ­ité sans com­pro­mis­sion, sa lucid­ité. Celle-ci éclate dans ses arti­cles de « Guer­ra di classe » où, depuis six mois, il dénonçait en même temps que les manœu­vres les méth­odes et les buts du par­ti dont il fut la vic­time, les con­ces­sions faites aux secteurs antirévo­lu­tion­naires — à la cinquième colonne — les entre­pris­es politi­ci­ennes des « démoc­rates » cam­ou­flés la poli­tique de laiss­er-faire des min­istres social­istes qui devaient aboutir à t’at­taque de la « Tele­fon­i­ca » et à ces journées de mai.

Il y dénonçait encore le tra­vail des con­suls ital­iens étab­lis en Espagne et au Maroc à la veille de la révolte de Fran­co, tra­vail dont on peut voir l’a­gence­ment et l’ef­fi­cac­ité dans son livre « Mus­soli­ni à la con­quête des Baléares ».

Relisant aujour­d’hui ces arti­cles, réu­nis en brochure sous le titre « Guerre de classe en Espagne » et, entre autres, la « Let­tre ouverte à la cama­rade Fred­er­i­ca. Montse­ny » — « Atten­tion ! Tour­nant dan­gereux » — « Entre la guerre et la révo­lu­tion » — « La sagesse d’un proverbe », nous sommes éton­nés de la vérité et de la lucid­ité des con­stata­tions et des vues qu’ils con­ti­en­nent, dont cer­taines sont d’une hal­lu­ci­nante actu­al­ité. Mais, ce dont nous ne sommes pas sur­pris, par con­tre, c’est qu’elles n’aient pas été enten­dues au moment où elles parais­saient et où elles avaient une valeur immédiate.

Écou­tons Berneri :

« Le pro­lé­tari­at français et le pro­lé­tari­at anglais ne fer­ont rien en faveur du pro­lé­tari­at espag­nol. Il est inutile de nous faire des illu­sions. Il serait mal­hon­nête de nous en faire. »

Et ceci :

« Déjà aujour­d’hui, l’Es­pagne est entre deux feux : Bur­gos et Moscou. »

Et ceci encore :

« L’om­bre de Noske se des­sine. Le fas­cisme monar­chiste-catholique-tra­di­tion­al­iste n’est qu’un des secteurs de la con­tre-révo­lu­tion. Il faut s’en sou­venir. Il faut le dire. Il ne faut pas se prêter aux manœu­vres de cette grande « Cinquième Colonne » dont six ans de République espag­nole ont démon­tré la vital­ité tenace et le red­outable mimétisme. »

Nous pour­rions mul­ti­pli­er les cita­tions de cette dernière péri­ode de son exis­tence. Nous pour­rions aus­si tir­er des « Pen­sieri e Battaglie », de sa biogra­phie, des brochures qu’il pub­lia, d’autres textes qui illus­tr­eraient la vie de nomade que fut la sienne depuis son départ d’I­tal­ie, pour­chas­sé qu’il était par toutes les polices, fas­cistes comme démoc­rate. tou­jours sous l’ef­fet d’un man­dat d’ar­rêt ou d’un arrêté d’ex­pul­sion. Nous pour­rions aus­si rap­pel­er l’in­flu­ence que Berneri, par sa col­lab­o­ra­tion impor­tante à la presse lib­er­taire et sa pub­li­ca­tion de nom­breuses brochures, avait acquise en France. Tout cela ne ferait que ren­forcer notre cer­ti­tude que le mou­ve­ment lib­er­taire mon­di­al a per­du eu lui, en pleine matu­rité des idées, un mil­i­tant indis­pens­able, irrem­plaçable. Nous ne lui appli­querons pas davan­tage les épithètes de voy­ant ou de prophète, bien gal­vaudées, mais nous dirons que ses vues étaient prophétiques.

Relisons donc les textes dans lesquels il les dévelop­pa, aujour­d’hui où, dans la lueur de la « vic­toire des démoc­ra­ties sur le fas­cisme », les nuages et les tem­pêtes s’ac­cu­mu­lent sur les mass­es mobil­isées, capo­ral­isées, assu­jet­ties à tant d’in­térêts qui ne sont pas les leurs. Et, les ayant lus ou relus, faisons-en notre prof­it, car ce sont des pré­ceptes d’ac­tion, dans notre lutte con­tre nos enne­mis de tous bor­ds : con­tre les endormeurs, con­tre le fas­cisme, con­tre le cap­i­tal­isme, con­tre l’État.


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