La Presse Anarchiste

Dans le jeu de quilles

Fameux le com­plot ita­lien ! Le coup de la ched­dite dépo­sée chez les anti­fas­cistes par un agent pro­vo­ca­teur n’est pas inédit, mais il a per­mis aux jour­naux de droite d’a­meu­ter l’o­pi­nion contre les réfu­giés ita­liens et les com­mu­nistes russes : d’une pierre, deux coups ; mais cette ched­dite était mouillée, sans doute, car l’af­faire a fait long feu.

Triste !

Pour conso­ler les patriotes, les édiles pari­siens ont offert un bijou de 80.000 francs à la demoi­selle du roi Albert à l’oc­ca­sion de son dépu­ce­lage offi­ciel, ain­si le coït prin­cier ita­lo-belge coûte cher aux contri­buables fran­çais qui n’ont même pas droit à un jeton de voyeur !

80.000 francs ! Peste, Marie José tu ne « baises pas à l’œil » !

Tan­dis qu’à l’Hô­tel-de-Ville ces mes­sieurs font les michés, la Cité est dans les larmes : les épouses res­pec­tives du com­mis­saire Nicolle et de son direc­teur Bar­thé­le­my sont deve­nues mortes… las, las ! Des écho­tiers assurent que les cam­pagnes d’une presse maligne seraient cause de cette mort.

Ah ! les vaches !

Mme Bar­thou aus­si vient de mou­rir, quant à la reine des bour­riques elle est tou­jours aus­si moche et bien por­tante, elle arbore sur son nichon gauche une superbe légion d’hon­neur, comme gro­tesque c’est assez réussi.

Le petit Corse de la Cité est furieux et il envie l’heu­reux Bar­thou qui ne se frappe pas mais se fait « mar­ti­ni­ser » par son ami le lar­bin lit­té­raire Jean-Jacques Brous­son, satis­fait de se ven­ger des coups de pan­toufle de son ancien maître.

Sont-ils assez raf­fi­nés ces « roués » de la civi­li­sa­tion bour­geoise ! Et l’u­sage qu’ils font de notre argent témoigne que le sens esthé­tique est tou­jours vif dans notre pays, ain­si l’autre jour, à l’hô­tel Drouot un ama­teur a payé 155.100 francs un aigle de dra­peau du Pre­mier Empire, tan­dis que l’un de nos plus riches indus­triels se fai­sait adju­ger pour 11.000 francs une pen­dule à rocailles Louis XV, ça lui reve­nait à 918 francs l’heure, si ses esclaves lui coû­taient aus­si cher ! Un conseiller à la Cour d’ap­pel ache­ta 14.500 francs un vieux plat en faïence de Rouen.

Le sens moral est tou­jours vif à l’é­gal du sens esthé­tique grâce aux cham­pions qu’en­tre­tient Me Camille Aymard, l’an­cien très hon­nête homme : sa « Liber­té » réclame le droit, pour la police, d’a­battre sans expli­ca­tion les délin­quants et vante les mérites des flics de tous poils tan­dis que M. Omes­sa (dont le nom dévoile les goûts) « s’in­cline bien bas devant la cou­ra­geuse espionne qu’é­tait Gaby Des­lys ». Évi­dem­ment… entre collègues !

La Reli­gion, comme la Morale, est en hausse : les tarifs des ser­vices funèbres ont aug­men­té de 90 %; l’eau bénite, elle aus­si subit le contre-coup des assu­rances sociales. Sept mille cinq cents francs un enter­re­ment de pre­mière classe ! N’im­porte, le duc de Guise et son porte-coton Dau­det ont payé pour avoir des coups de gou­pillon com­mé­mo­ra­tifs en l’hon­neur de Louis XVI et du chef des bour­riques du Roy que mou­cha fort pro­pre­ment Ger­maine Ber­ton, il y a sept ans.

À pro­pos de jus­ti­cier, Phi­li­pon­net qui exé­cu­ta le poli­cier Bayle a été acca­blé d’une lourde condam­na­tion bien que les témoins eussent démon­tré toute l’i­gno­mi­nie de ce pseu­do savant.

À l’oc­ca­sion l’hor­reur du cloaque poli­cier a été encore entre­vue… des rédac­teurs de la Liber­té à l’«honorable » M. Amy, tout ce qui fait par­tie de la Pré­fec­ture de Police s’a­vère digne de l’i­gnoble Socié­té qui l’entretient.

Pour nous éva­der de cette époque où le flic est roi, allons cher­cher un peu de beau­té au salon des Indépendants.

Hélas, la cri­tique d’art est entre les pattes d’un com­mis­saire de police qui vient de décro­cher les toiles qui ne lui plaisent pas ! Une œuvre atten­tait à sa pudeur et l’autre à ses sen­ti­ments patrio­tiques : un artiste insi­nuait que la guerre n’est pas tou­jours « fraîche et joyeuse », du moins
pour ceux qui la font.

Et pour­tant nos maîtres ne parlent que de paix, et l’A­mi­ral Leygues a déjà débar­ras­sé nos ports du croi­seur-école « Edgar-Qui­net ». Tous les élèves-enseignes ont été sau­vés, je le regrette très sin­cè­re­ment s’il est vrai que pour eux « mou­rir pour la patrie, c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie » !

En cas contraire pour­quoi avoir fait payer si cher à Guillot et Odéon leur objec­tion à cette sublime poésie ?

Pour­tant nos diri­geants ont des sen­ti­ments de pitié : si le pré­sident de la Répu­blique a vou­lu faire subir au petit Jean Four­rier (16 ans) la lente et atroce ago­nie du bagne à per­pé­tui­té, il s’est mon­tré, par contre, pitoyable pour le petit Ughet­to, cet ado­les­cent de dix-sept ans que Mes­sieurs les jurés ont condam­né à mort : on lui a sec­tion­né le cou devant le public satis­fait et confor­mé­ment au désir des juges popu­laires… Tou­te­fois, un autre poète me revient en mémoire et je m’é­tonne, avec le doux Racine :

Qu’un peuple tout entier tant de fois triomphant
N’ait dai­gné conspi­rer que la mort d’un enfant.

Le Chien

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