Le sinistre Painlevé avait remplacé les Conseils de guerre par des Tribunaux militaires. On sait en quoi a consisté cette pseudo-réforme, destinée à calmer les factices indignations de quelques démocrates attardés : la nouvelle justice est bâtarde de civile et de militaire, mais est tout aussi féroce que l’ancienne, les récentes condamnations d’objecteurs de conscience viennent de le prouver surabondamment. Au procès de notre camarade Odéon, le Président se prit, selon l’expression d’un journaliste bourgeois, pour « un adjudant accomplissant ses périodes ». Il renvoya les témoins cités avec une brutalité que ne désavoueraient pas les « juges » staliniens ou mussoliniens, lesquels ont au moins le mérite de la franchise. On sait comment s’est terminé le procès Odéon : après un simulacre de jugement, notre camarade fut condamné au maximum de la peine, à un an de prison au droit commun, comme avait été condamné auparavant notre camarade Guillot. On sait quel était le « crime » de ces deux copains : ils s’étaient refusé à faire le pantin l’un pendant 1 an et l’autre pour 28 jours. En un mot, ce sont des objecteurs de conscience. On peut ne pas être partisan de cette forme d’action, on est obligé de s’incliner devant la beauté d’un tel geste. Je suis sûr d’être l’interprète de tous les rédacteurs de la « Revue Anarchiste » en protestant énergiquement contre le scandale des condamnations des objecteurs de conscience. Je pense que tous les hommes de cœur seront unanimes pour flétrir les gardes-chiourme de la Prison du Cherche-Midi, qui ont acculé nos malheureux camarades à la suprême ressource des prisonniers : à la grève de la faim. La prison du Cherche-Midi jouit de la triste renommée d’être la plus ignoble, la plus sale, les geôliers sont réputés comme les plus féroces de toutes les maisons d’arrêt de France et de Navarre. Il faut réellement que nos compagnons aient été poussés à bout pour recourir à ce moyen désespéré.
Les grévistes de la faim sont dans une situation angoissante lorsqu’ils prennent leur rôle au sérieux. Nos camarades ont déjà donné bien des preuves de leur énergie, ne serait-ce que pour accomplir leur geste d’objecteurs de conscience, pour que nous puissions douter de l’issue de leur entreprise : la Direction cessera ses odieuses brimades, ou ils succomberont. Des meetings de protestation seront organisés prochainement le cas de Guillot, d’Odéon et des 2 autres camarades détenus sera porté devant l’opinion publique, et il faudra bien que les bourreaux reculent
Cependant, la protestation ne suffit pas. Guillot, comme Odéon, laisse une compagne et un enfant. On sait que dans notre jolie Société une femme ne gagne jamais autant qu’un homme, même à travail égal. C’est pourquoi nous ne devons pas abandonner les familles des objecteurs de conscience, de ceux qui ont courageusement risqué et perdu leur liberté pour une meilleure Société, où la Liberté ne serait pas une fiction pour frontons de monuments. Vous tous, en vos moments de plaisir, songez à ceux qui souffrent. Votre obole, si modeste soit-elle, amènera un peu de joie dans des foyers désunis par la faute de valets déguisés en juges. Nous donnons ci-dessous l’adresse des comités Odéon et Guillot. Nous voulons espérer que les compagnons anarchistes comprendront que la solidarité ne doit pas être un vain mot en nos milieux. Nous avons confiance en vous tous, lecteurs connus et inconnus, et c’est pourquoi nous vous disons par avance, du fond du coeur, merci !
Pierre Roggers
N. B. — Adresser les fonds
1° Pour Guillot, à André Montigny, 12, rue Guy de la Brosse, Paris (5e). CC.Paris, 1.400 — 20 ;
2° Pour Odéon, à Marcel Pételot, 4, Passage Maslier, Paris (19e)