La Presse Anarchiste

Panaït Istrati

La pre­mière fois que j’ai vu Istra­ti, il était per­ché au som­met d’un arbre immense. Sans se sou­cier du vent qui le balan­çait par­mi les feuilles, il chan­tait à plein gosier le refrain joyeux de la petite por­teuse d’eau de Braïla :

Ner­rant­sou­la foundoti !

Ner­rant­sou­la moucondi !

Pour me pré­sen­ter à lui on cria très fort, les mains en porte-voix. Du haut de son per­choir il ne pou­vait rien voir d’autre que le vaste mou­ton­ne­ment de la forêt et comme je ne me sou­ciais pas d’al­ler le retrou­ver sur sa haute branche, il lan­ça une der­nière fois son appel vers le soleil et des­cen­dit avec l’a­gi­li­té d’un singe, accom­pa­gné par un grand bruis­se­ment de feuilles. Aus­si­tôt à terre il me ten­dit la main en disant :

—Salut Tex­cier ! Je suis heu­reux de te voir.

Panaït Istrati

Je garde un inou­bliable sou­ve­nir de cette pre­mière jour­née pas­sée dans la forêt avec l’é­cri­vain le moins homme de lettres que j’aie jamais ren­con­tré. Un homme, un vrai, comme on n’en voit plus. Un homme du Danube, fou­gueux vaga­bond au cœur pur, veillant farou­che­ment sur son indé­pen­dance. De même que son héros Adrien Zograf­fi, il appa­raît et dis­pa­raît comme un fan­tôme. Per­sonne ne peut se van­ter de l’a­voir rete­nu quand il vou­lait par­tir. À ce moment, Istra­ti m’ap­pa­rut comme une jeune et joyeuse force sau­vage. À peine déli­vré des entraves de la misère il allait appor­ter l’es­pé­rance aux esclaves du monde entier en racon­tant aux hommes les tra­giques et mer­veilleuses his­toires qui font de son œuvre comme les Mille et une Nuits de la souf­france. Nuits faites de soleils noirs, de crasse, de têtes cas­sées, de soû­le­ries, de larmes, de cris et de chan­sons… Ce gar­çon au regard si net et si brû­lant, au visage rava­gé, aux attaches noueuses, aux mains usées par les durs tra­vaux, il me sem­blait que rien ne pour­rait jamais bri­ser son enthou­siasme et que ce don de soi, fait avec tant d’é­lan, allait invin­ci­ble­ment réveiller toutes les ardeurs endor­mies. En atten­dant, écri­vain de langue fran­çaise, il appor­tait à notre lit­té­ra­ture, assou­pie dans ses salles d’at­tente, un fameux enri­chis­se­ment : le soleil de la grand’­route, le vent de la plaine, les mur­mures de la forêt…

C’é­tait en 1927.

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Né à Braï­la en Rou­maine en 1884, il n’a que neuf mois quand meurt son contre­ban­dier de père, poi­tri­naire et épi­lep­tique. Dès lors, sa mère se met à tra­vailler comme blan­chis­seuse, de six heures du matin à huit heures du soir, pour trente sous par jour. Dési­reux de l’ai­der, le petit Panaït, sans lui deman­der d’au­to­ri­sa­tion, s’embauche à douze ans chez un caba­re­tier pour 60 francs par an, nour­ri, logé et habillé. Mais roué de coups par son patron, il se sauve au bout de la pre­mière année. Il est tour à tour gar­çon épi­cier, gar­çon bou­lan­ger, appren­ti ser­ru­rier, docker et ouvrier peintre, se mêle au mou­ve­ment révo­lu­tion­naire, est arrê­té, bat­tu, empri­son­né. En 1906 il quitte pour la pre­mière fois son pays, s’embarquant en cachette sur un bateau qui va en Égypte. Il visite Le Caire, Athènes, Naples, Alexan­drie, Port-Saïd, Jaf­fa, Jéru­sa­lem, Bey­routh, Damas, Constan­ti­nople. Presque tous ses voyages il les effec­tue sans billet, tan­tôt débar­qué, tan­tôt accep­té à condi­tion de tra­vailler à bord. Sur terre il che­mine à pied ou s’ac­croche aux trains qui passent. Pour vivre il accepte n’im­porte quel tra­vail : lave la vais­selle dans les res­tau­rants, décharge les navires dans les ports, fait l’homme-sand­wich dans les rues. À Naples il lui arrive de ne man­ger que quatre fois dans une semaine et de dor­mir tout un mois à la belle étoile. En cours de route, il ne cesse de dévo­rer les livres qui lui tombent sous la main, apprend l’i­ta­lien, l’al­le­mand et un peu l’a­rabe. De retour en Rou­ma­nie, il essaie de faire l’é­le­vage des porcs, mais, au bout de dix mois, comme il en a assez, il s’en va en Suisse. Nous sommes en 1916. Il se met à apprendre le fran­çais et, pour ses débuts, à l’aide d’un dic­tion­naire, déchiffre mot par mot Télé­maque. Ses pro­fes­seurs s’ap­pellent alors : Féne­lon, J.-J. Rous­seau, Vol­taire, Mon­tes­quieu, Pas­cal, Mon­taigne, La Roche­fou­cauld, Mmede Sévi­gné, Saint-Augus­tin et Male­branche. Pen­dant quatre mois, à Ley­sin, Istra­ti connaît, grâce à ce labeur, la plus grande joie intel­lec­tuelle de sa vie. Mais, hélas ! le pro­duit de la vente des porcs — quinze cents francs — est vola­ti­li­sé. Une nou­velle période de détresse sur­vient. Il plante des poteaux de télé­graphe dans la val­lée de l’Orb, il attaque avec la pioche les routes où il flâ­nait quelques semaines aupa­ra­vant en lisant Rous­seau. Il balaie la neige sur les pati­noires, il est ter­ras­sier à Lau­sanne et à Fri­bourg, conduit des trac­teurs dans le can­ton de Valais. Malade, il est hos­pi­ta­li­sé dans un sana­to­rium. À ce moment un cama­rade lui prête le Jean Chris­tophe de Romain Rol­land. Pour la pre­mière fois lisant un livre, il découvre un homme. Son cœur bat à rompre sa poi­trine. Il quitte la mai­son de san­té, s’embauche comme peintre au garage Peu­geot à Genève et achève de lire l’œuvre entière de son nou­vel ami. Mais la mala­die de nou­veau le ter­rasse. Se croyant prêt de mou­rir, une idée de gosse lui passe par la tête. Il écrit à Romain Rol­land et, tout en pleu­rant, lui raconte sa vie… La lettre revient au bout de quatre jours sans avoir réus­si à tou­cher son des­ti­na­taire. Dans l’im­pos­si­bi­li­té abso­lue de trou­ver un emploi quel­conque, Istra­ti s’ouvre la gorge.… Six mois après sa sor­tie d’hô­pi­tal, il reçoit la réponse de Romain Roland, qui a fini par rece­voir la lettre du déses­pé­ré : « Ce n’est pas seule­ment parce que vous souf­frez que votre lettre m’a ému. Non, c’est parce que j’y vois luire par éclairs, le jeu divin de l’âme… Mais je n’at­tends pas de vous des lettres exal­tées, j’at­tends de vous une œuvre…» Istra­ti se sent sau­vé. Pour vivre, il se fait pho­to­graphe ambu­lant à Nice. En mai 1922 son grand ami Iones­co, le bot­tier rou­main, en l’hé­ber­geant chez lui, lui four­nit le moyen d’é­crire pen­dant six mois sans sou­cis maté­riels. C’est ain­si que le vaga­bond écrit, à Hau­til-sur-Triel d’a­bord et ensuite dans un sous-sol de la rue du Coli­sée : Oncle Anghel et Kyra Kyra­li­na. Les deux livres sont, sur le conseil de Romain Rol­land, confiés à Jean-Richard Bloch et à Léon Bazal­gette et Istra­ti repart avec son appa­reil à Bagnolles de
l’Orne et au Mont Saint-Michel. Il échoue à Para­mé. Il pleut, il fait froid ; c’est la misère encore une fois. Il couche dans un tau­dis sans nom où l’on ne peut entrer que par la fenêtre. Que va-t-il deve­nir ? Errant un jour dans la rue il s’ar­rête devant la vitrine d’un libraire et il aper­çoit la revue Europe entou­rée d’une bande por­tant en gros carac­tères : « Romain Rol­land : Un Gor­ki bal­ka­nique » et en des­sous « Panaït Istra­ti : Kyra Kyra­li­na ». Il court au bureau de poste télé­gra­phier à son édi­teur et, quelques heures après, ses pre­miers droits d’au­teur lui par­viennent : quatre cent cin­quante francs. Il prend le train pour Paris et va aus­si­tôt embras­ser Iones­co qui danse de joie. 

C’est la fin de la misère. Il leur semble à tous deux que quelque chose de grand va commencer.

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Qui a lu les livres d’Is­tra­ti ne peut les oublier. La force des sen­ti­ments agit ici avec une vio­lence sin­gu­lière, de même que le pathé­tique des situa­tions. On est peut-être moins sai­si par le pit­to­resque des per­son­nages que par leur nature même qui bru­ta­le­ment vous étreint et vous oppresse. Ces per­son­nages ne res­semblent guère à ceux de Gor­ki ou du moins ils s’ap­prochent de nous avec des manières assez dif­fé­rentes. Ceux de Gor­ki font notre siège avec ruse et il y a chez eux un cer­tain halo d’in­quié­tude qui les estompe à nos yeux. Ceux d’Is­tra­ti ont des arêtes vives et ils sont immé­dia­te­ment sur nous sans crier : gare ! Com­ment oublier Codine, Oncle Anghel, Ner­rant­sou­la, Epa­mi­non­da, Dra­go­mir, Cos­ma et tant d’autres ? Les œuvres elles-mêmes ont une démarche si natu­relle, un son à la fois si humain et si légen­daire qu’il n’y a guère de lec­ture plus atta­chante. Par-des­sus tout, Istra­ti est maître dans l’art du récit, mais vous pen­sez bien qu’il ne raconte pas comme Mau­pas­sant ou comme Méri­mée et que s’il y a pré­mé­di­ta­tion cela n’ap­pa­raît guère. Il semble revivre des sou­ve­nirs et vous les racon­ter de vive voix avec des arrêts, des retours sur soi-même, des rêve­ries et des galops. Il semble qu’on l’en­tende par­ler. Mêlée d’ar­got popu­laire, la langue dont il se sert est d’une étrange poé­sie. Par­fois rude comme dans Kyra ou Oncle Anghel, par­fois d’une infi­nie déli­ca­tesse comme dans les Char­dons du Bara­gan. Mais Istra­ti ne s’embarrasse guère des lois. Il fait sa loi et dans le même récit il lui arrive de chan­ger de ton avec désin­vol­ture. L’ef­fet est admi­rable. Dans la nar­ra­tion c’est le mou­ve­ment qui commande.

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Cette œuvre bru­tale et pas­sion­née où se trouve le récit de tant de crimes et de tant d’hor­reurs est une œuvre d’a­mour et de pitié. Son pre­mier livre écrit, Istra­ti a sen­ti peser sur lui une énorme res­pon­sa­bi­li­té, car en Orient on ne badine pas avec les hommes qui inau­gurent leur vie publique par des enga­ge­ments de conscience. Son pre­mier article fut un article de com­bat. Là est sa destinée.

Deux ans sont pas­sés depuis cette pre­mière ren­contre. Après un pre­mier voyage en Rou­ma­nie dont on trouve l’é­cho très amer au seuil de Dom­nit­za de Sna­gov, Istra­ti est allé faire un long séjour en Russie.

Je l’ai revu à son retour. Je l’ai revu dans le même sous-sol de Iones­co où il écri­vit avec tant d’en­thou­siasme Kyra Kyra­li­na. Je l’ai revu, mais je ne l’ai pas retrou­vé. Où êtes-vous, Istra­ti qui, tout au haut du Hêtre Rouge, chan­tiez le refrain de Ner­rant­sou­la, por­teuse de soleil ? Où êtes-vous, Istra­ti, joyeux com­pa­gnon qui sau­tiez comme un jeune ani­mal sau­vage par des­sus les buis­sons et les rivières ? Où êtes-vous jeune pro­phète au cœur bat­tant, héros impatient ?

J’ai vu un Istra­ti sans joie, dont le visage dur­ci paraît gar­der ran­cune à l’u­ni­vers. La bouche amère, le regard loin­tain, je l’ai trou­vé accou­dé sur la petite table où, jadis, il écri­vit fié­vreu­se­ment tant de récits brû­lants. Immo­bile, il buvait à grandes gor­gées les bols de café qui sou­tiennent sans cesse un corps amai­gri. J’ai vu un Istra­ti dont tous les res­sorts m’ont paru bri­sés. Avec un pauvre sou­rire bles­sé, par­mi les mules d’or et les peaux de ser­pents que le doux Iones­co, tout habillé de blanc, polit avec amour, un nou­vel Istra­ti m’a parlé. 

—Tex­cier, si tu écris quelque chose à pro­pos de moi, dis bien que je n’ai jamais vou­lu faire de la lit­té­ra­ture. Qui donc a racon­té que j’a­vais jadis envoyé des manus­crits à Romain Rol­land ? Je ne lui ai envoyé qu’une lettre de quelques pages. Écrite l’é­té 1919, elle ne lui est par­ve­nue qu’en 1921. Pen­dant un an et demi, il a insis­té auprès de moi pour que j’é­crive. Ce m’est qu’en mai 1922 que j’ai com­men­cé à cou­vrir d’é­cri­ture des feuilles de papier et c’est en sep­tembre 1924 que paraît Kyra… Non, bien sûr, mon inten­tion n’é­tait pas de deve­nir un homme de lettres. Le suis-je deve­nu parce que j’ai écrit quelques livres ? Si je croyais ce mal­heur arri­vé, je me mépri­se­rais tel­le­ment que, cette fois-ci, je réus­si­rais bien à me sup­pri­mer… J’ai tou­jours sen­ti que le monde n’a pas tant besoin d’ar­tistes que d’hommes. L’homme véri­table, pour moi, c’est le révol­té qui ne se contente pas de triom­pher seul dans la vie… Qu’im­porte, dès lors, un suc­cès lit­té­raire ? Le mien ne m’a pas ébloui. Il n’a chan­gé ni ma men­ta­li­té, ni ma façon de vivre… 

« Mon erreur ce fut de croire qu’en deve­nant un homme connu, je pour­rais être utile aux hommes qui souffrent maté­riel­le­ment. J’ai cru que je pour­rais appor­ter un sou­la­ge­ment à la misère humaine. Vois ma détresse ! Je ne le crois plus… Et ce n’est pas une simple impres­sion, c’est une convic­tion pro­fonde. J’ai vu se déve­lop­per depuis douze ans une expé­rience sociale qui s’é­tend sur vingt et un mil­lions de kilo­mètres car­rés et qui inté­resse cent cin­quante mil­lions d’êtres humains. L’œuvre accom­plie, je l’ai vue à fond, avec mon sang… Je n’ai pas le droit de dire que c’est la faillite de tout espoir humain, mais à mes yeux qui ont encore quelques années à voir la lumière, c’est réel­le­ment une faillite. Entends-moi, Tex­cier, et com­prends bien que tu n’as plus devant toi l’homme que, il y a deux ans, tu as enten­du chan­ter des chan­sons haï­douks, et jouer comme un enfant. Je ne savais pas à ce moment ce que je sais aujourd’hui…»

Istra­ti res­ta un moment silen­cieux. Puis il reprit sa confes­sion, len­te­ment, douloureusement :

—Mon frère que je connais­sais par vingt-cinq ans d’ex­pé­rience, arri­vé au pou­voir, est deve­nu un tyran bour­ré de doc­trine et il écrase « les siens » pour don­ner satis­fac­tion à la doc­trine. Pour moi ce fait est plus dou­lou­reux que si j’a­vais per­du mes yeux dans la bataille. Je sais donc aujourd’­hui que l’homme tel que je le conçois, n’est pas de mon temps et qu’il n’ar­ri­ve­ra pas, de mon temps, à réa­li­ser cette jus­tice qu’il m’a­vait pro­mise, et dont j’at­ten­dais le règne glo­rieux… Voi­là d’où je pars pour révi­ser toutes les valeurs morales et artis­tiques. Que veux-tu que cela me fasse main­te­nant d’être un écri­vain connu au lieu d’être le va-nu-pieds d’hier ? Il ne s’a­git pas de mon bon­heur per­son­nel. Crois-moi, dès mon ado­les­cence j’au­rais pu par­ve­nir à être un petit per­son­nage dans le monde : rédac­teur de jour­nal et maire de ma com­mune natale. N’est-ce pas joli, pour un fils de blan­chis­seuse ? Mais j’a­vais une autre ambi­tion. J’ai aujourd’­hui une force en main. Je veux la mettre au ser­vice du bien. Per­sonne n’en veut ! Voi­là pour­quoi je n’ai aucun res­pect pour les arts et pour les artistes qui triomphent. Dou­lou­reuse expé­rience, mon ami ! Je ne sais que faire de mon oeuvre de demain ni de ma vie d’aujourd’hui…

J’é­cou­tais par­ler Istra­ti. Sa voix trem­blait d’é­mo­tion, mais ses yeux tout à l’heure si loin­tains s’é­taient faits plus brillants. 

—Istra­ti, serait-ce donc vrai que l’é­toile de ton haï­dou­cie se couche ce soir pour tou­jours et que tu vas par­tir comme Adrien Zograf­fi pour te faire berger ? 

—Oui, Tex­cier, je vais par­tir. Une force invin­cible me pousse vers l’o­ri­gine, vers mon vil­lage, mes marais, mon Bara­gan et les hommes simples qui souffrent depuis des siècles et souf­fri­ront sans doute des siècles durant… Rede­ve­nir un des leurs, les com­prendre, les aider si je puis, me semble une plus grande œuvre que d’ha­bi­ter Paris et de conti­nuer à pondre des livres qui n’ont aucun sens puis­qu’ils ne me per­mettent pas de sou­la­ger un peu la souf­france des hommes d’au­jourd’­hui. J’ai fait fausse route en croyant pou­voir agir sur l’O­pi­nion par l’in­ter­mé­diaire de la lit­té­ra­ture. J’ai honte de mon impuis­sance. Puis-je me rési­gner à n’être que le conteur qui réus­sit à dis­traire le public ? Est-ce que vrai­ment tout dans ce monde doit finir par des chan­sons haïdouk ?

—Dom­nit­za le croyait, Istra­ti, mais, rap­pelle-toi qu’A­drien sur la tombe de celle qui avait déses­pé­ré criait encore après la défaite : « Oui, tout finit, mais aus­si tout com­mence par une chan­son haï­douk, et c’est cela la vie ! » Il repar­tit alors, au gré du des­tin, répandre le meilleur de sa jeu­nesse et de sa bonté.

—Mais j’ai tout don­né. Je suis hideu­se­ment pauvre. Là-bas seule­ment je rede­vien­drai un homme. 

—Alors, pars, Istra­ti, nous avons confiance en toi. Mais renon­ce­rais-tu à écrire ?

—Com­ment le pour­rais-je sans mou­rir ? Je me sens plein de tant de visions, de tant d’ex­pé­riences nou­velles que sans le secours de l’art, je crois vrai­ment que j’é­cla­te­rais. C’est donc encore à lui qu’il faut reve­nir et deman­der l’a­pai­se­ment. Com­ment renon­cer à écrire avec la tête que j’ai aujourd’­hui ? On m’a chauf­fé à blanc le cœur et le cer­veau. Tout chez moi fonc­tionne autre­ment qu’a­vant. Des écluses ont été ouvertes, com­ment les fer­mer ? Tout ce que je res­sens actuel­le­ment trou­ve­ra son écho dans les trois volumes que j’é­cri­rai un jour.

—Et com­ment s’ap­pel­le­ra cette œuvre nou­velle, Istrati ?

Vers l’Autre Flamme.

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Depuis cet entre­tien, qui date de mai 1929, les deux pre­miers volumes de Vers l’Autre Flamme ont paru chez Rie­der, et Istra­ti est traî­né dans la boue par la presse communiste.

Il s’y atten­dait et c’est volon­tai­re­ment qu’il s’est expo­sé à la fureur des partisans.

Jean Tex­cier

La Presse Anarchiste