Monsieur Mussolini est vraiment un grand homme.
Comme tous les grands hommes, il sait user des femmes. Et il ne fait rien, en Italie, qui ne soit « colla permissione della signora ».
Au reste, si la signora hésite ou tarde à donner sa permission, on peut toujours l’envoyer voir aux îles Lipari si l’on est féministe.
Donc, Mussolini a bien voulu aller naguère jusqu’à causer chiffons avec les citoyennes fascistes.
Il leur a composé un costume, pour les affranchir de l’asservissement aux modes étrangères.
Et maintenant que les voilà bien nippées, avec une belle cagoule bien pointue et une belle traîne bien chaste, il songe qu’il serait temps, si j’ose dire, qu’elles fissent des petits…
Seulement, quelque que soit la servilité féminine (et celle-ci ressemble fort à la servilité masculine, ce qui n’est pas peu dire), un enfant ne se fait pas, comme ça, au commandement de trois.
Et l’illustrissime signor a eu la mortification de n’être pas obéi.
Les petites chochottes transalpines sont bien éprises du snobisme qui consiste à adorer Mussolini, ruais si elles tiennent à ne pas le contrarier, elles tiennent encore bien davantage à ne pas voir leur petit ventre enflé, leurs petits seins déformés, et à ne pas subir les épreuves désagréables qui attendent une future mère, une fois le premier bon moment passé.
Quant aux femmes sérieuses, eh bien, elles pensent ce que pensent toutes les femmes au monde : qu’un enfant. coûte cher, et qu’il est d’une élémentaire sagesse d’attendre, avant d’en faire un, d’avoir au moins un espoir de pouvoir le rendre heureux et bien portant.
Aussi les sévères prescriptions du tyran sont-elles demeurées lettre morte. Et si l’on a pu constater une modification dans les statistiques concernant la natalité, c’est dans le sens de la régression.
Alors, Mussolini a eu une idée remarquable. Il crée un escadron volant, non de reproductrices, mais de zélatrices.
Leur nom est tout un programme. Elles s’emploieront. avec zèle à persuader à leurs soeurs de faire des enfants, avec zèle aussi.
Quel joli rôle
On n’a pas encore de détails sur la façon dont il sera rempli.
Mais il est assez facile de les imaginer, ces détails…
La zélatrice en uniforme (costume d’infirmière ; un, deux ou trois galons sur la manche, un biberon brodé sur le hausse-col, un forceps à la main, comme insigne) aura le droit, sur présentation de sa carte, de pénétrer et de demeurer dans les chambres nuptiales, où elle dirigera les opérations.
Les jeunes époux, sous peine d’exil avec confiscation de leurs biens, seront tenus de se conformer strictement à ses indications.
Une fois l’opération terminée, aux cris de « Evviva l’Italia ! » la jeune femme devra, réglementairement, être enceinte.
Si elle ne l’est pas, un mois plus tard, un simple avertissement lui fera connaître qu’elle manque à son devoir : les sanctions viendront ensuite.
Mais elle le sera.
Alors, la zélatrice la prendra sous sa surveillance pendant 269 jours. Le 270e, elle devra accoucher d’un garçon conforme à un gabarit établi d’avance ; il sera aussitôt revêtu d’une petite chemise noire.
Un mois plus tard, nouvelle opération, contrôlée comme précédemment. Mais la mère en service commandé aura droit à une fille, ad libitum.
Et ainsi de suite, de seize à quarante-cinq ans, sans débrider.
Grâce à cet excellent système, chaque Italienne devra fournir une moyenne de trente-six enfants (car on peut bien compter sur quelques grossesses gémellaires).
Avouons que c’est une belle rigolade !
Parbleu, me diront les gens bien pensants, vous nous la baillez bonne, vous et votre belle rigolade ! Vous inventez là des détails ridicules, et personne ne vous a dit que la mission de ces zélatrices s’accomplira de cette manière aussi grotesque qu’invraisemblable !
D’accord. Mais je trouve toujours ridicule, invraisemblable et grotesque l’intention de réglementer, sous quelque forme que ce soit, les petites affaires d’alcôve des gens.
Et il faut croire que je ne suis pas la seule, puisque, toujours, l’Histoire a enregistré une chute verticale de la natalité chez tous les peuples où l’on s’est mêlé d’organiser officiellement la repopulation.
Allez, signor Benito, vous n’y entendez rien. On ne fait pas des enfants parce qu’une vieille bique indiscrète et autoritaire vous l’est venue conseiller.
Donnez aux familles d’Italie la paix, l’indépendance et la liberté. Laissez procréer qui veut : instruisez largement les jeunes gens, si vous voulez, des peines et des joies de la reproduction : instruire n’est jamais mauvais. Assurez aux filles la certitude d’être respectées quand elles auront la fantaisie d’accomplir leur destin de femme ; faites que leur fils ne crève pas de misère étant petit et, qu’étant grand, il ne soit pas exposé à périr soit sous les matraques fascistes, soit sur quelque champ de bataille, en l’honneur du droit et de la civilisation. Faites que leur fille n’aille pas enrichir les bordels de Naples ou de Florence ; faites que leurs petits ne soient pas voués à l’esclavage industriel à l’âge où l’on joue encore à saute-mouton, pour crever, usés, à l’âge où d’autres plus heureux jouissent encore de tontes leurs forces.
Faites… et vous verrez qu’elles vous feront des enfants, tant que vous en voudrez.
Seulement… est-ce que vous en aurez encore besoin, alors ?
Maximilenne