La Presse Anarchiste

La lutte sociale dans les champs de mines de l’Illinois

[[extraits du jour­nal d’un mineur]]

[/8 août 1932/]

Nous sommes en grève depuis le 1er avril parce que les patrons des mines de ce dis­trict (12e région syn­di­cale de la Unit­ed Mine Work­ers d’Amérique) veu­lent impos­er une diminu­tion de 25 p. 100 sur les tar­ifs précé­dents. Avec cette réduc­tion, nous-autres, piqueurs de char­bon, nous gag­nerons deux dol­lars à deux dol­lars et demi par jour, pas davan­tage, avec notre tra­vail qui est le plus dur.

Naturelle­ment, nous nous sommes refusés à accepter cette exi­gence bru­tale ; mais nos organ­isa­teurs syn­di­caux, John L. Lewis, prési­dent de la U.M.W. et John H. Walk­er, son sous-ordre pour la 12e région, se sont enten­dus avec les patrons des mines, avec l’in­ten­tion de nous impos­er la rat­i­fi­ca­tion de leurs accords. Lors d’un pre­mier référen­dum, ces deux canailles, flan­quées de leurs gardes du corps, ont vu repoussé par la presque una­nim­ité des mineurs leur pro­jet de con­cor­dat. Mais ils ne se sont pas con­sid­érés comme vain­cus. Au lieu d’ac­cepter le vote des mineurs organ­isés pour l’ap­pli­quer, comme cela aurait été leur devoir de fonc­tion­naires de l’U­nion, ils se sont com­portés comme des patrons ; ils l’ont annulé et ils ont organ­isé un deux­ième référen­dum avec l’e­spoir de bris­er nos résis­tances par la pro­pa­gande et par les men­aces et de nous faire chang­er d’avis. Leur argu­ment prin­ci­pal con­sis­tait à dire que dans les autres régions minières, au Ken­tucky, en Vir­ginie de l’Ouest, etc., les mineurs non syn­diqués tra­vail­lent avec des salaires encore plus bas, de sorte que si nous défendions nos tar­ifs, la pro­duc­tion de ces bassins houillers ferait une con­cur­rence désas­treuse à la pro­duc­tion de l’Illi­nois. Avec de tels raison­nements on dirait vrai­ment que la fonc­tion des chefs syn­di­caux con­siste à impos­er à leurs organ­isés l’oblig­a­tion de tra­vailler pour des salaires inférieurs à ceux qu’on gag­nait jusqu’à présent, pour se met­tre au même niveau que les tra­vailleurs non organ­isés, au lieu d’en­cour­ager ceux-ci par une assis­tance active à réclamer de leurs patrons une aug­men­ta­tion de salaire, et à faire remon­ter ain­si leur paye au même niveau que la nôtre. Et c’est ain­si. Les chefs de l’U.M.W. of A. pré­ten­dent nous faire subir les salaires de famine que les mineurs du Ken­tucky, du West-Vir­ginia et autres ont été con­traints d’ac­cepter, non sans lutte. Au lieu de défendre con­tre les patrons les tar­ifs qui ont été en vigueur chez nous jusqu’au 31 mars, et au lieu d’en­cour­ager, ce qui était à peine néces­saire, les mem­bres de ce dis­trict à une résis­tance qui aurait été le pre­mier pas vers l’ar­rêt du déclin fatal des con­di­tions de vie faites à tous les mineurs dans ces dernières années, au lieu de faire ce pre­mier pas vers la reprise de la lutte pour amélior­er ces con­di­tions, les chefs syn­di­caux, payés avec les coti­sa­tions suées par les ouvri­ers, se font les alliés des patrons con­tre les mai­gres salaires des exploités.

Mal­gré tout, le sec­ond référen­dum con­fir­ma les résul­tats du pre­mier : les mineurs refusèrent d’ac­cepter la réduc­tion sanc­tion­née par la trahi­son des chefs. Mais ceux-ci ne se sont pas avoué vain­cus, et, usant d’un faux igno­minieux, pour proclamer l’en­trée en vigueur des nou­veaux tar­ifs, ils ont ordon­né aux mem­bres de la région syn­di­cale de repren­dre immé­di­ate­ment le travail.

John L. Lewis et John H. Walk­er, avec leurs acolytes, ne sont plus les fonc­tion­naires de l’U­nion, ils en sont les patrons, et pré­ten­dent, ce que n’osent ni ne peu­vent faire les patrons ou les autorités, oblig­er des dizaines et des dizaines de mil­liers de mineurs à redescen­dre dans la mine, au prix d’une renon­ci­a­tion hon­teuse. Com­ment vivre avec deux dol­lars par jour ? Ici, pen­dant l’été, on ne tra­vaille presque pas ; l’hiv­er, on ne tra­vaille pas plus de trois ou qua­tre jours par semaine ; au total une cen­taine de jours dans l’an­née. À quoi cela équiv­aut-il pour un mineur ? Avec les nou­velles réduc­tions, cela sig­ni­fie qu’il faut vivre pen­dant douze mois avec 200 à 250 dol­lars, somme absol­u­ment insuff­isante pour tromper la faim.

La grève, donc, con­tin­ue. Nous avons con­tre nous, l’en­ne­mi le plus acharné et implaca­ble, l’ad­min­is­tra­tion de notre pro­pre union syn­di­cale, ensuite les autorités et le patronat. Mais renon­cer à la résis­tance et nous soumet­tre voudrait dire sanc­tion­ner notre con­damna­tion et vivre dans une famine perpétuelle.

Résis­ter n’est pas seule­ment une néces­sité, c’est aus­si la seule chose qui nous reste à faire.

[/20 août/]

La fourberie des fonc­tion­naires régionaux de l’U.M.W. dis­trict n°12, cou­verte par la haute autorité du prési­dent Lewis, est vrai­ment sans limite.

L’e­scro­querie con­som­mée à l’oc­ca­sion du deux­ième référen­dum est patente. Prévoy­ant la façon dont les choses allaient se pass­er, nous, les mineurs, nous eûmes soin de compter les votes dans les sec­tions avant de con­sign­er les urnes à l’ad­min­is­tra­tion du dis­trict, et nous savons très bien que les résul­tats furent absol­u­ment et caté­gorique­ment con­traires à l’ac­cep­ta­tion du con­cor­dat. Les salops de la bureau­cratie du dis­trict ont employé qua­tre jours à dépouiller les votes ; lorsqu’ils ont vu que les comptes ne pou­vaient pas être tournés en leur faveur, ils con­fièrent des bul­letins à deux de leurs hommes de main, lesquels prirent la fuite en auto. Quand les fuyards furent en sécu­rité, les bureau­crates syn­di­caux se mirent à crier au voleur et firent croire, grâce à la com­plai­sance et à la vénal­ité des jour­naux, que c’é­tait les mineurs qui leur avaient volé les urnes avec les bulletins.

Prof­i­tant de la panique créée par cette agres­sion simulée, ils ordon­nèrent, d’au­torité, l’en­trée en vigueur immé­di­ate des nou­veaux tar­ifs et la reprise du tra­vail, menaçant d’ex­pul­sion les sec­tions locales qui refuseraient de se soumettre.

Dans les mines de la « Peabody » cer­tains mineurs obéirent et reprirent le tra­vail ; mais la majorité con­in­ua la grève, organ­isant prompte­ment le tra­vail de piquetage.

Ici, à Spring­field, et dans presque tout le sud de l’Illi­nois, les grévistes, d’après ce qu’on a pu savoir, for­maient un bloc com­pact. À Peo­ria, on tra­vail­lait dans les qua­tre mines de la « Peabody ». À Kin­caid et à Tay­lorville, dans quelques mines le tra­vail avait été repris par les mineurs ter­ror­isés par les « gun­men » (assas­sins à gages). Le prob­lème qui s’im­po­sait de prime abord aux grévistes était donc de faire en sorte que ceux qui avaient repris le tra­vail l’a­ban­don­nassent le plus tôt pos­si­ble. Dans les meet­ings très suiv­is qui se tenaient quo­ti­di­en­nement à Spring­field on déci­da de se porter en masse pour organ­is­er les piquets dans ces mines.

Kin­caid fut la pre­mière étape désignée. On y arri­va vers les deux heures après-midi, sous la forme d’une foule d’en­v­i­ron 15.000 grévistes, grossis­sant à vue d’œil par l’af­flux d’autres grévistes venus de toutes les direc­tions. Comme on nous l’avait annon­cé, les mineurs des deux mines qui avaient repris le tra­vail avaient déjà débrayé de nou­veau, frater­nisant avec nous. Il ne restait plus que les mines n° 9 et n° 58 de Tay­lorville, buts acclamés avec ent­hou­si­asme par la mul­ti­tude pour le lendemain.

Le jour précé­dent, au meet­ing organ­isé dans le Watch Fac­to­ry Park, on avait fait courir le bruit que les chefs de la police de Tay­lorville avaient men­acé de bar­rer aux grévistes l’en­trée de la « Chris­t­ian Coun­ty ». Or on sait qu’à la suite de la récente loi fédérale le pique­tage paci­fique est per­mis et garan­ti en droit. Les policiers de Tay­lorville n’au­raient pu l’in­ter­dire sans tomber dans l’ar­bi­traire. Pour plus de sûreté, les élé­ments les plus for­mal­istes de notre comité de grève, préoc­cupés de ne pas se met­tre en con­flit avec l’au­torité, insistèrent pour qu’on fit appel au gou­verneur de l’Illi­nois ; il s’agis­sait d’in­vo­quer sa tutelle dans l’ex­er­ci­ce du droit de pique­tage. Le gou­verneur ne daigna pas recevoir la com­mis­sion chargée de cette mis­sion. Il se por­ta malade et lui refusa audi­ence. La com­mis­sion fit appel au vice-gou­verneur, mais celui-ci était absent. Elle alla enfin chez le chef de la police, qui déclara qu’il n’é­tait pas de sa com­pé­tence d’ac­corder cette autorisation.

Le meet­ing dans lequel on fit un compte-ren­du de cette démarche déci­da d’aller en masse à Tay­lorville coûte que coûte.

On y alla le ven­dre­di, 19. Le matin on arri­va vers huit heures à Kin­caid où per­son­ne ne reprit le tra­vail. Vers les onze heures on se mit en marche pour Tay­lorville. À la lim­ite de la « Chris­t­ian Coun­ty » on ne ren­con­tra per­son­ne pour s’op­pos­er à notre marche, de sorte qu’à Tay­lorville où nous arrivâmes vers deux heures, nous étions une masse imposante de 25 à 30.000 per­son­nes de tout âge et des deux sexes.

Les habituels bruits alarmistes, évidem­ment propagés par des gens intéressés à jeter la panique au milieu d’une foule aus­si vaste, fai­saient croire qu’à Tay­lorville on allait nous empêch­er de par­ler. Au con­traire, nos meet­ings se déroulèrent sans inci­dents. Femmes et hommes expliquèrent les raisons et les buts de cette imposante man­i­fes­ta­tion. Les fonc­tion­naires de l’or­gan­i­sa­tion locale n° 58 se présen­tèrent avec quelques mem­bres jurant qu’ils étaient sol­idaires. avec nous et se chargeaient de piqueter avec nous dans la région de Taylorville.

Ain­si notre présence deve­nait super­flue et nous nous en retournâmes à Spring­field avec l’in­ten­tion de veiller au développe­ment des événements.

Sur la base des infor­ma­tions reçues de tout l’Illi­nois, on ne tra­vaille plus main­tenant que dans deux mines, la n° 1 et la n° 2 de « l’Ori­ent », près de la « West-Franc­fort ». Cer­tains bruits nous parvi­en­nent qui nous font dire que même le per­son­nel de ces mines serait main­tenant sol­idaire des grévistes.

L’im­pres­sion générale est que jamais l’ac­tion des mineurs n’a trou­vé autant de réper­cus­sion ni provo­qué autant d’u­nité dans ce bassin. L’en­t­hou­si­asme est énorme et les réso­lu­tions exprimées par les mineurs don­nent bon espoir dans la réus­site de la grève.

Per­son­ne n’ose se représen­ter les con­séquences humiliantes et désas­treuses d’une défaite. Ce serait un coup mor­tel, non pas seule­ment pour nous, mais pour tout le pro­lé­tari­at des mines. Et peut-être pas seule­ment pour celui-ci.

[/23 août/]

Il y a dans le monde une grande quan­tité de gens cor­rom­pus. En vérité, la société bour­geoise ne se main­tient que par la cor­rup­tion. Mais les plus cor­rom­pus de tous sont les jour­nal­istes Les plumi­tifs du jour­nal­isme bour­geois ont su attein­dre un degré de pros­ti­tu­tion invraisem­blable. Ceux de notre ville, évidem­ment payés par la « Peabody », accu­mu­lent sur la grève tous les men­songes pos­si­bles. Il leur faut bien servir ceux qui les payent. Ils font divers­es édi­tions de jour­naux pour la ville et pour la région. Dans les édi­tions des­tinées à des local­ités éloignées de Spring­field, on annonce que le tra­vail a été repris, tan­dis que les édi­tions des­tinées à la ville sont pleines de men­aces et d’in­tim­i­da­tions des­tinées à propager la panique dans nos rangs. Heureuse­ment, la manœu­vre a fait long feu. Il n’en est pas de même des armes des mer­ce­naires. Joe Col­bert, de « l’Ori­ent » fut tué le 17 août, et les assas­sins sont naturelle­ment introuvables.

Avec les men­songes des jour­naux et les faux bruits répan­dus à des­sein dans nos rangs, il n’est pas tou­jours facile de savoir la vérité. Ain­si par exem­ple, chez nous, on avait cru depuis quelque temps que les mineurs de « l’Ori­ent » étaient sol­idaires avec nous. Au con­traire, nous savons main­tenant qu’ils tra­vail­lent. Alors nous avons décidé d’y aller demain en masse. C’est loin, mais prob­a­ble­ment nous y arrive­ri­ons demain soir. De Tay­lorville, entre temps, nous arrive le bruit que les fonc­tion­naires de la « Peabody » exer­cent toutes sortes de chan­tages. Il sem­ble qu’ils ont promis dou­ble paie pour pouss­er les mineurs à bris­er la grève. Jusqu’à ce moment-ci les hommes résis­tent, mais le nerf de la résis­tance se trou­ve pré­cisé­ment dans ce bassin, et s’ils com­mençaient à vac­iller, ce serait la déban­dade. Jusqu’i­ci, ce dan­ger n’a pas pris corps.

Main­tenant, l’en­t­hou­si­asme est sans lim­ite. Quelqu’un a pro­posé que l’ex­pédi­tion de demain se fasse en armes pour être en sit­u­a­tion d’af­fron­ter les événe­ments, quels qu’ils soient La propo­si­tion était naïve. L’idée d’y aller armés était très bonne, mais s’en aller le crier sur les toits était une impru­dence et deman­der l’ap­pro­ba­tion des chefs, une grosse naïveté. Il y a des choses qu’on ne doit dire que le fait une fois accom­pli. En tout cas, le point de vue qui a pré­valu est de par­tir tous sans armes, pour ne pas don­ner aux autorités à pré­texte d’in­ter­venir. La loi donne aux grévistes le droit juridique de piqueter paci­fique­ment ; l’opin­ion générale est que per­son­ne n’osera vio­l­er ce droit. C’est bien ain­si, mais pour com­bi­en de temps ?

[/24 août (écrit par ma femme)/]

« Nos hommes sont par­tis ce matin, en une longue colonne lancée vers le sud, s’é­ten­dant sur plusieurs milles. Je sais qu’ils vont accom­plir une mis­sion de devoir, mais je dois rester ici, en arrière. L’at­tente est oppres­sante. Au com­mence­ment, on croy­ait que nous autres, femmes, seri­ons par­ties avec eux, mais ensuite on a con­sid­éré oppor­tun de nous faire rester ici dans l’at­tente des événements.

Nous les avons accom­pa­g­nés jusqu’à Staunton. Main­tenant, nous atten­drons qu’on nous appelle pour leur porter des vivres et des sec­ours. Com­ment est-ce que ça fini­ra ? Hier, ils ont tué un autre mineur, blessé plusieurs femmes, et enlevé le fils du mort, un garçon de dix ans.

On ne blague pas de l’autre côté. Nous, main­tenant, faisons ce que nous pou­vons pour assis­ter nos hommes et per­suad­er les femmes de la bon­té de la cause pour laque­lle nous luttons. »

[/27 août/]

Notre marche vers « l’Ori­ent » s’est ter­minée dans un désas­tre. Lorsque notre colonne arri­va à Pick­neyville, elle avait de 6 à 7 milles de long. En plus, des auto­mo­biles, des camions chargés d’hommes et de vivres, une vraie migra­tion de tout un peu­ple, rap­pelant les mou­ve­ments des mass­es humaines d’autre­fois. Une sec­onde colonne s’a­vançait du côté de Mount-Ver­non, et une autre encore mar­chait plus au sud. Le plan était d’ar­riv­er simul­tané­ment dans l’après-midi du mer­cre­di. Vers les trois heures de l’après-midi, le chemin de notre colonne se trou­va bar­ré par le shérif de Pick­neyville, qui pré­tex­ta les exi­gences du traf­ic dans la ville pour oblig­er la tête de la colonne à dévi­er de son parcours.

Évidem­ment, c’é­tait un guet-apens, car trois ou qua­tre milles après Duquoin, dans la « Franklin Coun­ty » que les barons de la mille avaient mis en état de siège, la route était envi­ron­née par une véri­ta­ble brigade de mer­ce­naires armés jusqu’aux dents qui nous attendaient en embuscade.

Je me trou­vais dans le corps de la colonie ; quand j’ar­rivai à Duquain, il me fut impos­si­ble d’aller plus loin. Après quelques min­utes d’in­cer­ti­tude, nous fûmes oblig­és de faire demi-tour.

À mi-chemin entre Duquoin et Pick­neyville, nous cam­pâmes dans l’at­tente du matin. Dès qu’il fit jour, nous allâmes à Coul­telville, où se trou­vait fixé le point de con­cen­tra­tion, pour décider de ce qu’on devait faire. Mais vers les dix heures nous fûmes encer­clés par un batail­lon de policiers armés de fusils et de mitrailleuses, qui nous ordon­nèrent de quit­ter les lieux sur le champ. Et nous, désar­més comme nous étions, fûmes con­traints d’obéir.

Ceci doit être un exem­ple inou­bli­able pour ceux qui avaient insisté pour par­tir désar­més, met­tant leur con­fi­ance dans la pro­tec­tion de la loi. Beau­coup s’é­taient laiss­er met­tre dans l’il­lu­sion que la loi accep­tée au Con­grès – à con­tre-cœur, il est vrai – par le prési­dent, pou­vait être appliquée à des mineurs qui osaient faire grève au mépris des patrons, de leurs sicaires, et du bureau­cratisme syn­di­cal. Ils appren­dront pour une autre fois qu’ils n’avaient qu’à suiv­re les avis de leur con­science. Le droit à un morceau de pain moins dur et à la con­sid­éra­tion des patrons et des fonc­tion­naires du syn­di­cat ne s’ac­quiert pas et ne se défend pas en restant les bras croisés ou en fréquen­tant des meet­ings, ni même en marchant en car­a­vanes pen­dant des milles et des milles sur les blanch­es routes frap­pées par le soleil d’août. Il nous fau­dra appren­dre par cette expéri­ence que nos illu­sions n’ar­riveront jamais à obtenir quelque chose, mais seule­ment à encour­ager l’in­so­lence des mer­ce­naires et les appétits bes­ti­aux des patrons, dans leur œuvre scélérate de repré­sailles et de vengeance.

…On ne sait pas encore s’il y a eu des morts. On sait en tout cas qu’il y a eu beau­coup de blessés, dont une femme âgée, mourante, qui est la mère d’une jeune pro­pa­gan­diste de Tay­lorville, dévouée corps et âme à notre cause. Cette lâche agres­sion avait cer­taine­ment pour but de faire des morts, et s’il n’y en avait pas, ce serait un mir­a­cle. Avec des armes de toutes sortes, jusqu’à des mitrailleuses, on a tiré sur notre colonne à tra­vers les champs de maïs où elle s’é­tait dispersée.

Com­bi­en étaient-ils ? Le shérif Brown­ing Robin­son, l’or­gan­isa­teur du guet-apens, se con­for­mant aux ordres don­nés par les barons des mines, avait organ­isé une véri­ta­ble armée. Des mer­ce­naires recrutés dans les bas-fonds et par­mi les paysans d’une men­tal­ité arriérée, for­maient une troupe de cinq mille hommes env­i­ron, lev­ée illé­gale­ment pour ter­roris­er les mineurs du comté et pour empêch­er quiconque, mineur ou non, d’ap­porter son sec­ours ou encour­age­ment. Cette canaille renou­velle dans la Franklin Coun­ty les hor­reurs du Ken­tucky. Le soir du 24, les forces de la police aux­il­i­aire étaient répar­ties sur les trois fronts des colonnes en marche. On cal­cule que deux mille cinq cents policiers avaient été placés sur notre route, un mil­li­er sur celle du Mount-Ver­non et autant sur celle de West-Frank­fort. Com­bi­en coû­ta-t-elle aux feu­dataires du char­bon, cette imposante mobil­i­sa­tion ? Cer­taine­ment des sommes énormes. Mais pour eux, cela n’a aucune impor­tance. Ils n’ont aucune illu­sion, ils ne se leur­rent pas sur l’im­por­tance de la bataille. Ils savent que notre défaite sig­ni­fierait l’av­ilisse­ment pour tous les mineurs d’Amérique, le décourage­ment et l’im­puis­sance pour quelques années au moins. Et ils savent aus­si que notre suc­cès serait le sig­nal de la revanche pour tous les esclaves des mines éparpil­lées à tra­vers le con­ti­nent. Ils veu­lent vain­cre, et ils ne regar­dent pas à la dépense. Après tout, celui qui paye, c’est tou­jours l’ouvrier.

Nous sommes de retour et main­tenant nous comp­tons nos pertes. Sans décourage­ment inutile. Si les patrons com­bat­tent pour leurs priv­ilèges et pour leur super­flu, nous lut­tons pour notre pain et pour celui de nos enfants, pour l’indis­pens­able. Cette mau­vaise expéri­ence nous a un peu humil­iés, mais n’a pas vain­cu notre élan, ni notre unité. Et même l’en­seigne­ment qu’il faut en tir­er nous oblig­era à compter un peu plus sur notre force, et un peu moins sur la tutelle des lois, que les autorités et les patrons sont tou­jours les pre­miers à ignor­er et à piétin­er. Si nous con­tin­uons la lutte avec la pré­pa­ra­tion néces­saire et avec courage, sur tous les fronts où l’en­ne­mi nous attaque, nous serons bien­tôt en état de remédi­er au mal résul­tant de la déban­dade de l’autre jour.

(l’Aduna­ta dei Refrat­tari)


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