La Presse Anarchiste

Le parlementarisme à fait son temps

Pen­dant plus de vingt-cinq ans, d’a­près ma propre expé­rience, le soi-disant « socia­lisme » par­le­men­taire n’a négli­gé aucune parade ni aucun boni­ment pour per­sua­der à la pau­vre­té labo­rieuse de lui confier à West­mins­ter le soin d’être la voix de son silence. Les dépu­tés tra­vaillistes devaient tout dire, et l’é­man­ci­pa­tion sociale serait le résul­tat de leur besogne.

Toutes les illu­sions ont une fin et le par­le­men­ta­risme touche à la sienne. Qu’on se tourne vers les ministres tra­vaillistes du gou­ver­ne­ment de coa­li­tion natio­nale, ou vers leurs ex-col­lègues de l’op­po­si­tion, le son de cloche est le même. Les pro­messes dorées de pal­lia­tion sociale se sont englou­ties dans la débâcle de la livre-ster­ling. « La ques­tion n’est pas de pal­lier aux misères du capi­ta­lisme – pro­clament-ils d’une même voix – mais de savoir les supporter ».

Au com­men­ce­ment, il était dit que le par­le­men­ta­risme devait tout bou­le­ver­ser, et nous épar­gner en même temps les bou­che­ries et les misères de la révo­lu­tion. Au lieu de cela, il nous a appor­té les bou­che­ries et les misères de la paix capitaliste.

Ensuite, et cela jus­qu’aux der­nières élec­tions géné­rales, les tra­vaillistes (j’ai sous les yeux en écri­vant leurs prin­ci­paux dis­cours et décla­ra­tions de pro­gramme) se sont enga­gés à nous mener par petites secousses jus­qu’à la terre pro­mise – tan­dis que l’ac­tion, directe nous aurait pré­ci­pi­tés dans l’abîme ! –

Et main­te­nant, nous avons le der­nier mot du par­le­men­ta­risme : « Sau­vez les meubles ! Au secours de l’Em­pire ! Per­pé­tuons l’exploitation ! ».

Lorsque, voi­là bien des années, j’ai essayé de démon­trer que le par­le­men­ta­risme « révo­lu­tion­naire » fini­rait en impé­ria­lisme conser­va­teur, on m’a ri au nez et traî­né dans la boue. L’his­toire a sui­vi son cours : le bavar­dage a pro­cu­ré aux uns posi­tion et for­tune, aux autres une misère tou­jours plus noire. Mais à qui a‑t-elle don­né rai­son en fin de compte ? Est-ce que Mes­sieurs les par­le­men­taires sont prêts à nous ren­con­trer sur une tri­bune publique, devant des audi­toires pro­lé­ta­riens, et à rendre des comptes de leur étrange manière de ser­vir ? Le gant est lan­cé, qu’ils le ramassent s’ils s’en sentent encore capables.

… 1906 – 1931 ! L’é­poque du par­le­men­ta­risme ouvrier. Elle s’est ouverte par la rené­ga­tion du socia­liste John Burns, qui a lâché le dra­peau rouge pour man­ger dans la vais­selle d’or du roi ! Elle s’est ter­mi­née par la domes­ti­ca­tion de tout le mou­ve­ment tra­vailliste offi­ciel à la vais­selle d’or et à la pari­té-or ! La misère qui exis­tait au com­men­ce­ment est là, plus que jamais. Les rêves dorés de la pal­lia­tion sociale se sont écra­sés contre le mur d’or. Je puis me tour­ner vers la décla­ra­tion anti-par­le­men­ta­riste ini­tiale de 1906, fort d’une expé­rience accrue et d’une lutte élar­gie. L’an­ti-par­le­men­ta­risme est confir­mé. Il touche à son but :

L’é­ta­blis­se­ment d’un Conseil d’Ac­tion per­ma­nent à Glas­gow a été déci­dé à une confé­rence des ouvriers et chô­meurs, tenue le same­di 19 sep­tembre aux Halles Cen­trales. Envi­ron deux cents délé­gués repré­sen­tant, entre autres orga­ni­sa­tions de la classe ouvrière, la Bourse du Tra­vail et l’U­nion locale, diverses sec­tions poli­tiques et de nom­breux syn­di­cats, assis­tèrent à l’as­sem­blée, qui était convo­quée par le Comi­té d’Ac­tion pour la liber­té de parole, de Glasgow.

Une réso­lu­tion fut adop­tée qui met­tait en évi­dence la valeur de l’u­ni­té pra­tique réa­li­sée sur le ter­rain de la lutte contre la police pour impo­ser la liber­té de pro­pa­gande poli­tique en plein air dans le parc de Glas­gow, et qui dési­gnait comme le besoin vital du moment la créa­tion d’un mou­ve­ment d’u­ni­té englo­bant toutes les orga­ni­sa­tions de la classe ouvrière et des chô­meurs dans le but de concen­trer une agi­ta­tion de masse contre le rac­cour­cis­se­ment des salaires et la sup­pres­sion des indem­ni­tés de chô­mage, buts avoués du capi­ta­lisme.

La base du Comi­té d’Ac­tion de Glas­gow pour la libre parole devait donc être élar­gi confor­mé­ment au des­sein d’é­ta­blir un nou­vel ordre de socié­té. Pen­dant deux heures envi­ron, les délé­gués dis­cu­tèrent des lignes géné­rales du pro­gramme dont la rédac­tion devait être remise entre les mains d’un Comi­té pro­vi­soire. On adop­ta fina­le­ment un pro­jet, pré­sen­té par les Anti­par­le­men­ta­ristes, qui fixait comme tâche au Conseil d’Ac­tion de déve­lop­per les ins­tru­ments néces­saires pour en finir avec la crise éco­no­mique per­ma­nente qui est deve­nue l’é­tat nor­mal du régime capi­ta­liste, et pour pour­suivre le trans­fert du pou­voir, ou action poli­tique, et de toute auto­ri­té sociale entre les mains des Conseils d’ou­vriers dûment délé­gués et établis.

Les termes exacts de la réso­lu­tion sont les suivants : 

« La confé­rence décide

  1. – De consi­dé­rer les voies et moyens par les­quels pour­ront être pré­pa­rés et déve­lop­pés les ins­tru­ments néces­saires pour en finir avec la crise éco­no­mique per­ma­nente qui est deve­nue l’é­tat nor­mal du régime capitaliste.
  2. – De pour­suivre le trans­fert, dans chaque dis­trict, de tout le pou­voir d’ac­tion poli­tique et de toute auto­ri­té sociale à des Comi­tés d’Ac­tion repré­sen­ta­tifs des ouvriers, dûment délé­gués et établis.
  3. – De lais­ser aux orga­ni­sa­tions de pro­pa­gande affi­liées à ces Conseils leur droit d’a­gi­ta­tion indé­pen­dante et d’au­to-admi­nis­tra­tion confor­mé­ment à leurs concep­tions par­ti­cu­lières, et afin d’in­fluen­cer l’o­pi­nion publique de la classe ouvrière ; pour­vu que cette agi­ta­tion ne soit pas en contra­dic­tion avec une adhé­sion loyale aux déci­sions pra­tiques du Conseil d’Ac­tion et avec un sou­tien fidèle de sa poli­tique sur toutes les ques­tions qui pour­ront sur­gir, à par­tir du moment où elles auront été dis­cu­tées et tran­chées par un vote ».

Les Par­le­men­ta­ristes n’ont pas d’autre pro­gramme qu’un pro­gramme de capi­tu­la­tions ména­gées devant l’at­taque capi­ta­liste. Les anti-par­le­men­taires ont une consti­tu­tion et un pro­gramme de résis­tance inté­grale : Construi­sez les Conseils pro­lé­ta­riens d’ac­tion, l’or­ga­ni­sa­tion com­plète de lutte et de soli­da­ri­té de la classe ouvrière toute entière ! Construi­sez la consti­tu­tion natio­nale des oppri­més ! Que chaque pro­lé­taire, homme ou femme, en tra­vail ou en chô­mage, tech­ni­cien ou manuel, sans dis­tinc­tion de croyance ou de ten­dance poli­tique devienne un membre du ou des Conseils d’Ac­tion ! Qu’il se fasse leur pro­pa­gan­diste. Action directe et orga­ni­sa­tion inté­grale. Tout le pou­voir aux tra­vailleurs en Conseils. Telle est la réponse des ouvriers au car­rié­risme par­le­men­taire. L’an­ti-par­le­men­ta­risme touche au but avec un pro­gramme pour la classe tra­vailleuse toute entière.

G.A. Aldred (Grande-Bre­tagne)

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