La Presse Anarchiste

Notre dixième fascicule

Avec ce fas­ci­cule-ci s’achève la pre­mière série de L’UNIQUE. Faisons le point. Lorsque je me suis décidé à lancer ce péri­odique, mon inten­tion bien arrêtée était non seule­ment de présen­ter une pub­li­ca­tion qui mit l’ac­cent sur l’af­fir­ma­tion pos­i­tive et le développe­ment éthique de l’u­nité humaine, mais aus­si de ne pas faire dou­ble emploi avec aucun autre organe se récla­mant de près ou de loin de l’a­n­ar­chisme. Je pense avoir réus­si. Notre ligne de con­duite générale est demeurée ce qu’elle était au temps de « l’en dehors » : indi­vid­u­al­iste anar­chiste, « l’in­di­vid­u­al­iste à notre façon » est un pro­duit de l’in­di­vid­u­al­isme anar­chiste. Nous con­tin­uons à suiv­re, d’autre part, la route frayée par les pio­nniers qui avaient nom : War­ren, Proud­hon, Stirn­er, Thore­au, Tuck­er, Ibsen, Tol­stoï, Mack­ay, Edward Car­pen­ter, Han Ryn­er, Cros­by, Palante même, et tant d’autres qu’il serait trop long d’énumér­er. Cela, il va de soi, tout en con­ser­vant notre indépen­dance à l’é­gard de leurs opin­ions, de leurs doc­trines ou de leurs enseigne­ments. Bien enten­du, tout « en faisant suite » à « l’en dehors », l’U­nique n’en­tend pas se ral­li­er aveuglé­ment à cer­taines thès­es de cette revue, sec­ondaires par rap­port à notre con­cep­tion indi­vid­u­al­iste de la vie et du monde. L’U­nique se présente avec son orig­i­nal­ité, bien à lui, et qui ne fait con­cur­rence à per­son­ne. On a pu s’en ren­dre facile­ment compte.

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Nous pour­rions embouch­er la trompette, nous van­ter qu’il n’est pas un départe­ment de la France mét­ro­pol­i­taine et de l’Afrique du Nord où ne pénètre l’U­nique ; qu’il est lu aux colonies, en Bel­gique, en Suisse, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Ital­ie, dans les deux Amériques, en Asie en Océanie et qu’il compte même un abon­né par­mi les mem­bres de la Con­sti­tu­ante (c’est pour­tant vrai !). Nous auri­ons pu rem­plir des colonnes avec la copie des let­tres d’ap­pro­ba­tion ou de félic­i­ta­tion, reçues depuis un an. Nous nous con­tenterons de citer cet extrait d’une mis­sive par­v­enue de l’Extérieur : 

« J’é­touf­fais dans cette ambiance où le pur vis­age de l’a­n­ar­chisme dis­parais sait sous les voiles dont on l’en­velop­pait. J’ai reçu l’U­nique et votre tract A qui est des­tiné l’U­nique. C’est comme si un ray­on de soleil avait illu­miné ma cham­bre. Je res­pi­rai enfin.. Voilà enfin de l’in­di­vid­u­al­isme anar­chiste… ». Nous pour­rions… Mais nous avons hor­reur des bon­i­ments et des bonimenteurs.

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« L’U­nique » étant une œuvre per­son­nelle, il ne fal­lait pas s’at­ten­dre à ce que tout ce que nous insére­ri­ons soit du goût de tous ceux qui nous lisent, d’au­tant plus que nous n’hési­tons pas à présen­ter cer­tains aspects de l’in­di­vid­u­al­isme plus ou moins par­al­lèles à notre point de vue par­ti­c­uli­er. Nous avons pour­tant la ferme, l’ab­solue con­vic­tion que dans tout ce qui a paru dans l’U­nique, il y a matière à se doc­u­menter, à réfléchir, à s’in­ter­roger et même à révis­er des tables de valeurs qu’on pou­vait croire intangibles. 

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Pour arriv­er à faire paraître ces dix fas­ci­cules, il nous a fal­lu faire face à toutes sortes de dif­fi­cultés : prob­lème des fonds à recueil­lir, du papi­er, du for­mat, de l’im­pres­sion, de l’ad­min­is­tra­tion, de l’ex­pédi­tion, etc. Pau­vres, nous le fûmes tou­jours et le sommes restés, n’ayant jamais assim­ilé la dif­fu­sion ou la lutte des idées à une mai­son de rap­port. Nous ne nour­ris­sons pas la moin­dre ambi­tion d’a­gencer de somptueux bureaux, d’embaucher du per­son­nel, d’éd­i­fi­er pignon sur rue, de nous faire une « répu­ta­tion ». Fier, mais non orgueilleux. Pour en revenir aux dif­fi­cultés, il nous fal­lut, cet hiv­er, faute de com­bustible, accom­plir dans une cui­sine l’en­tière besogne de rédac­tion et d’ad­min­is­tra­tion. Cela man­quait certes de con­fort­able, mais ne nous découragea pas, ni ne nous ren­dit envieux des mieux lotis que nous. Nous souhai­te­ri­ons seule­ment que ceux qui nous lisent se ren­dent par­fois compte de ce qu’il nous faut sur­mon­ter pour que « l’U­nique » paraisse régulièrement. 

A l’e­sprit nous vient le sou­venir des petites réu­nions et journées de plein air que j’or­gan­i­sais à ma sor­tie de St-Sulpice-la-Pointe, mon dernier camp de con­cen­tra­tion. Un cer­tain nom­bre de cama­rades assis­taient à ces ren­dez-vous clan­des­tins. Nous risquions gros, sans nous en ren­dre compte. Nous étions pour­tant si heureux de nous retrou­ver. Les temps ont changé et nous vivons dans une atmo­sphère plus libre, pour le moment du moins. Nous pou­vons com­mu­ni­quer les uns avec les autres sans nous dis­simuler. Nous ne nous ren­dons pas tou­jours compte, morale­ment et intel­lectuelle­ment par­lant, de quelle impasse nous sommes sortis.

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Nous avons par­lé des dif­fi­cultés aux­quelles nous avons eu et con­tin­uons à faire face. Savez-vous qu’­ex­pédié, chaque fas­ci­cule de « l’U­nique » nous revient à peu près à douze mille francs (12.000 fr.). Force nous est bien de vous par­ler de tout cela puisque voici arrivée à son terme la pre­mière série de dix fas­ci­cules et qu’é­choit la péri­ode des renou­velle­ments. Avez-vous songé qu’une série de dix fas­ci­cules de l’U­nique, étant don­né les car­ac­tères d’im­primerie en lesquels ils sont com­posés, équiv­aut à un vol­ume d’au moins 500 pages ? Où trou­ver­iez-vous un vol­ume de 500 pages qui vaille actuelle­ment 50, 60 ou 75 francs ? Nous n’écrivons pas cela pour van­ter notre marchan­dise (nous avons les bon­i­menteurs en hor­reur, nous le réitérons), mais si nous insis­tons un peu, c’est parce qu’au moment où « l’Unique » a passé de 12 pages à 16, le nom­bre des abon­nés nous ayant envoyé les 10 fr. sup­plé­men­taires s’est avéré restreint. On en seri­ons-nous sans l’aide des souscriptions ?

Faut-il ajouter que nous atten­dons encore l’en­voi de l’abon­nement d’assez nom­breux ex-abon­nés de « l’en dehors ». Nous avouons très sim­ple­ment que nous ne pou­vons com­pren­dre que ces ex-abon­nés (et d’autres qui ne le sont pas), lesquels sont au courant de la façon dont nous œuvrons, ne nous aient pas retourné « l’U­nique » dès sa récep­tion, au lieu de nous laiss­er dans le doute. Cela nous eût per­mis de nous adress­er à divers sym­pa­thisants. Qu’on ne s’in­téresse pas « l’U­nique », fort bien, mais qu’on reçoive fas­ci­cule sur fas­ci­cule sans don­ner signe de vie, voilà qui nous dépasse. Nous ne pou­vons envoy­er de quit­tances d’abon­nement con­tre rem­bourse­ment ni envis­ager de com­pli­ca­tions autres. Se ren­dre au plus proche. bureau de poste, faire établir un man­dat, l’in­sér­er dans une enveloppe et jeter celle-ci dans une boite aux let­tres, ce n’est pour­tant pas un tra­vail d’Hercule. 

Je ne veux pas con­clure ces notes sans adress­er nos chaleureux remer­ciements à plusieurs cama­rades d’outre-Atlantique (et d’ailleurs), lesquels, ne pou­vant nous envoy­er des fonds, nous ont expédié des col­is de rav­i­taille­ment. Voilà de la cama­raderie agis­sante on je ne m’y con­nais pas.

E. Armand


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