La Presse Anarchiste

Amour libre et pacifisme

Quand jadis nous par­lions d’«amour libre » nous avions dans l’i­dée la recherche d’af­fi­ni­taires véri­tables et notre union avec eux, sans nous sou­cier du maire, du curé, de l’ap­pro­ba­tion fami­liale ou sociale. Aucun cal­cul d’in­té­rêt n’en­trait dans nos réa­li­sa­tions. Peu impor­tait la situa­tion éco­no­mique, l’a­ve­nir plus ou moins cer­tain, nous nous pré­oc­cu­pions avant tout de construire de l’har­mo­nie. Nous par­tions joyeux, confiants l’un en l’autre, ayant foi les uns dans les autres, ne sen­tant nulle néces­si­té de pas­ser contrat écrit, sachant que les épreuves, les temps dif­fi­ciles ne nous éloi­gne­raient pas les uns des autres, qu’une fois pas­sés les jours d’ad­ver­si­té nous nous retrou­ve­rions tels que nous nous étions quit­tés. S’il adve­nait qu’en cours de route, nous trou­vions utile et agréable de nous adjoindre de nou­veaux affi­ni­taires, de nou­veaux com­pa­gnons de voyage, cela avait lieu en toute fran­chise et loyau­té, en plein accord avec les autres. Leur venue ne ser­vait qu’à accroître et for­ti­fier cette har­mo­nie dont il est ques­tion ci-des­sus. Cet appoint n’en­traî­nait ni jalou­sie, ni sépa­ra­tion, ni dimi­nu­tion des affec­tions déjà pra­ti­quées. La famille que nous avions créée, issue de notre volon­té et de nos sen­ti­ments com­muns, s’a­gran­dis­sait, s’am­pli­fiait par le jeu du consen­te­ment una­nime et c’é­tait tout.

Paci­fistes, en amour comme ailleurs, c’est dans l’har­mo­nie que nous cher­chions la paix. Mais nous ne vou­lions alors entendre à aucun prix par­ler de « guer­riers en amour ». Nous avions hor­reur des femmes qui font des « conquêtes », des hommes qui tiennent inven­taire de leurs bonnes for­tunes. Les uns et les autres nous répu­gnaient à l’ins­tar des sou­dards qui s’in­sou­cient des ruines qu’ils accu­mulent sur leur pas­sage, et ajoutent chaque jour à la liste des villes qu’ils ont for­cées. Nous n’i­gno­rions rien des pré­textes qui émaillaient leurs dis­cours : « les sen­ti­ments ne se com­mandent pas », « l’a­mour ne se com­mande pas », « l’a­mour n’a jamais connu de loi, etc., qui cachaient mal leur morale de maîtres, leur impé­ria­lisme éro­tique, leur appé­tit de domi­na­tion sexuelle. L’ex­ploi­ta­tion des pré­textes et des slo­gans ne vaut pas mieux que n’im­porte quelle autre exploi­ta­tion. Quoi qu’il en soit, entre eux et nous s’é­ten­dait un abîme : celui qui sépare les paci­fistes des conquérants.

Or, je crois que la réa­li­sa­tion de la paix dans le domaine de l’a­mour contri­bue­rait gran­de­ment à la réa­li­sa­tion de la paix uni­ver­selle.

L’U­nique pro­pose cette thèse que la liber­té de cha­cun s’ar­rête là où elle menace d’en­gen­drer de la souf­france chez autrui. J’au­rais pré­fé­ré, pour ma part, qu’il fût ques­tion de liber­tés (au plu­riel) plu­tôt que de liber­té (au sin­gu­lier). La liber­té de l’a­mour n’est qu’une de ces liber­tés, comme toutes les autres elle ne se conçoit pas sans la res­pon­sa­bi­li­té cor­res­pon­dante. Disons donc : de même que pour toutes les liber­tés, son exer­cice s’ar­rête là où elle s’a­vère arme de guerre, fac­teur de des­truc­tion, dis­sol­vant d’har­mo­nie. C’est à quoi je vou­lais en venir.

Vera Livins­ka

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