La Presse Anarchiste

Bribes éthérées

L’A­mour ? Crois-tu vrai­ment en cette chose si mul­tiple J’y vou­drais croire mais j’ai si peur de ne faire que rêver. Car j’ai trop cou­tume de pen­ser au-delà des réa­li­tés. Je ne vis que d’une ima­gi­na­tion triste et mala­dive. Mon âme reste sou­vent sus­pen­due entre ciel et terre. L’a­mour ? Dis-moi quelque chose…

― Mais, comme toi je rêve, je rêve, je rêve à l’i­nac­ces­sible, je cherche, je cherche en vain ce qui repré­sen­te­rait moi-même. Tu com­prends ? Moi-même, ma propre image, mes propres pen­sées, quelque chose qui se confon­drait… Enfin, j’ai tant de peine à m’ex­pri­mer, je crains que tu ne saches sai­sir ce fil qui est le mien.

 — Je te com­prends et je te com­prends d’au­tant mieux que je vou­drais vivre de ta nature de femme, en sen­tir toutes tes richesses, en un mot, m’i­déa­li­ser à l’é­gal de tes volup­tés. Mais je ne suis que l’é­ter­nel pro­prié­taire, le mari, l’homme qui par la loi a acquis aux yeux de tout le droit de te pos­sé­der. Je ne suis que cela et cela est déjà une fron­tière à l’A­mour. Nous vou­lions vivre dans notre corps, dans notre âme, des mêmes affi­ni­tés et le mariage, de par son seul nom, est deve­nu une épreuve au cours de laquelle trop sou­vent des heurts ont sur­gi, fai­sant recu­ler sans cesse les douces et inef­fables heures de nos étreintes libres. 

― Étreintes libres, oui, je me sou­viens. C’est déjà si loin, si loin. Pour vivre heu­reux, nous devions vivre cachés, nous aimer et n’a­voir que cet unique but… Que nous reste-t-il ? Oh ! tu n’es pas le seul cou­pable. J’ai accep­té dans un élan de mon âme, d’une âme lourde de pré­ju­gés, de deve­nir une femme arti­fi­cielle. Puis, après l’ar­deur de nos sens, la brève suite de notre roman d’a­mour, la bana­li­té mor­telle des jours d’époux…

― Et l’ha­bi­tude… des paren­tés, L’A­mour est un secret libre. Si on l’en­chaîne, il a tôt fait de perdre sa saveur et son but. Car il est plus qu’un acte, il est le désir de se dépas­ser, d’at­teindre le déga­ge­ment de notre âme… de pro­lon­ger à tra­vers les jours de joies qu’une huma­ni­té arti­fi­cielle et faus­se­ment mêlée désigne encore d’un doigt trem­blant de pudeur. Et nous qui osions la défier, nous pro­cla­mer amants, nous nous sommes « enchaî­nés ». Nous sommes tom­bés dans les mailles d’une rou­tine conjugale…

― Mais demain nous repren­drons ensemble le che­min de nos affi­ni­tés res­tées neuves à tra­vers l’é­preuve matri­mo­niale et les idées étroites qui nous entourent. Veux-tu ?

― Oui, mille fois oui, car rien n’a pu vaincre l’a­mour sin­cère de nos âmes ni le sou­ve­nir de ce qui nous fait connaître la vraie vie.

Daniel Natal

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