La Presse Anarchiste

Hier, aujourd’hui, demain : chronique de toujours

« Vous pou­vez crier, robustes gaillards aux livrées voyantes, vous pou­vez aboyer chiens de salons, vous pou­vez gar­der vos postes avan­cés, doua­niers et cara­bi­niers ; je contem­ple­rai votre pro­prié­té, qui est éga­le­ment la mienne, j’y pren­drai et j’en dirai ce que j’en pen­se­rai. (Pio Baro­ja : Mes Para­doxes et moi (Aux Quatre Vents. Les Édi­tions Susse).

Le vent qui vient du large nous laisse pres­sen­tir que la tem­pête va défer­ler avec rage tout à l’heure.

C’est le moment de prê­ter grande atten­tion à cette menace et de faire en sorte d’être de taille à se bien mesu­rer avec les élé­ments qui ne font atten­tion à personne.

Si tu n’es qu’un de ces pauvres ilotes et pan­tins qui tournent constam­ment au gré des mots et des ins­ti­ga­tions des maîtres, sous-maîtres ou autres aver­tis­seurs, brailleurs et com­man­deurs en fonc­tion sur la Grand’­Place publique, tu n’as qu’à suivre la « foule » et ne point t’oc­cu­per de ce qui va suivre… Mais, si tout au contraire, tu appar­tiens vrai­ment de fond et de race à cette lignée d’a­ven­tu­riers qui n’en ont jamais fini de lar­guer dare-dare vers la plus pathé­tique et la plus dio­ny­siaque des aven­tures, c’est à toi d’ou­vrir l’œil et « la bonne » afin de voir et d’en­tendre les Vaga­bonds magni­fiques faire des leurs.

À tra­vers le monde endor­mi se font entendre ces Voix, ces Voix qui sont tou­jours à même de racon­ter des his­toires, des his­toires qui sont autant de tranches de vie qui servent si bien de pâture à ceux chez qui la frin­gale des grands mou­ve­ments et des intré­pides opé­ra­tions est tou­jours aus­si vivace.

Ce n’est tout de même pas parce que la néga­tion. l’a­théisme et la trans­gres­sion se pas­se­ront tour à tour la main, que la solu­tion du pro­blème en sera pour cela moins forte, moins juste et moins valable.

C’est qu’il faut se bien mettre dans la tête qu’une vie d’homme, cela peut n’être rien ou peut être beau­coup cela dépend sous quel angle nous nous pla­çons, c’est-à-dire de quel « sujet » il s’agit.

Si les uns se contentent aisé­ment de vivre à très bon mar­ché et de se lais­ser enchaî­ner comme de vrais esclaves, de se prê­ter com­plai­sam­ment aux faits et gestes des construc­teurs de robots, il en est tout de même d’autres — pas beau­coup, je le veux bien — pour qui cette sys­té­ma­ti­sa­tion, ce rap­pel au déno­mi­na­teur com­mun, cette méca­ni­sa­tion totale des sens et de l’es­prit, sont des hor­reurs qu’ils fuient comme la peste.

Ces der­niers — mar­qués d’un déter­mi­nisme qui ne s’ap­pa­rente pas du tout avec la légè­re­té, la faci­li­té, la com­plai­sance, l’im­bé­cil­li­té et la veu­le­rie ino­cu­lées par tous les fabri­cants de mora­line à tous les confor­mistes du monde — passent obli­ga­toi­re­ment pour des mau­vaises têtes et des trou­bleurs de fêtes aux yeux de la gent comme il faut.

N’en déplaise à tous les bour­geois et « petits bour­geois » de la terre, il y aura tou­jours de par ce monde de misères, de canailles et de salauds, quelques véri­tables Uniques qui seront à même de four­nir de la ten­dresse à tous les cœurs vibrants, meur­tris et déchi­rés, de la rai­son à tous les esprits enclins à ren­ver­ser eux-mêmes toutes ces bar­rières éthiques qui font de la vie sociale une vaste prison.

« O, nobles gens ! O cœurs magna­nimes ! Je vous salue et vous sou­haite le plus mécon­nu des lits d’hô­pi­tal dans la plus désa­gréable salle des Sei­gneurs [[Pio Baro­ja Mes Para­doxes et moi. Aux quatre Vents. Les Édi­tions Susse.]]».

« Il y a dans mon âme, par­mi les ronces et les buis­sons, une petite fon­taine de Jou­vence. Vous direz que l’eau en est amère et vitreuse, qu’elle n’est pas claire et cris­tal­line. C’est vrai, mais elle court, elle saute, elle écume et fait du bruit. Cela me suf­fit. Je ne veux pas la conser­ver, qu’elle coure, qu’elle se perde. J’ai tou­jours eu l’en­thou­siasme de ce qui fuit [[Ibid.]]».

Le sac de peau a beau être éli­mé à force d’a­voir ser­vi, ce serait une grave erreur de croire qu’il est vide : il reste encore dedans de ces secrets et de ces réserves d’ex­pé­riences que le « pro­prié­taire » se pro­met bien de mettre à jour afin de les bien utiliser.

Puis­qu’il nous faut tou­jours entre­te­nir la Lumière pour repous­ser les ténèbres, puis­qu’il est impé­rieu­se­ment néces­saire de fécon­der de la joie pour essayer de cal­mer nos peines, allons‑y car­ré­ment de ces leçons qui n’ont pas été apprises grâce à l’aide de for­mu­laires ou bien sous l’emprise de tous les dan­seurs en rond, mais bel et bien à même les durs et rocailleux che­mins de la vie, sur les stalles liber­taires de la tra­gique Uni­ver­si­té des luttes et des com­bats per­pé­tués, par l’hu­ma­ni­mal qui, parce qu’il peul à peu près se tenir debout, croit vrai­ment qu’il a décro­ché la lune.
Il y aura dans nos chro­niques du sel et du sucre, des épines et des fleurs, du bien et du mal : mais tout cela sera vécu et cha­cun pour­ra choi­sir la part de profits. 

A. Bailly

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