Dans le monde de la pensée sociale se présentent deux conceptions du monde absolument incompatibles. L’individualisme repose sur l’autonomie de l’individu ; le collectivisme expose le point de vue du groupe. Le premier recherche la plus grande somme de liberté individuelle, pour l’individu considéré comme tel ; le second cherche à rendre l’individu heureux dans une forme quelconque d’existence corporative — il est toujours à la découverte d’un plan idéal d’association ; ceux qui le préconisent sont essentiellement des organisateurs. Mettant au premier rang le bien-être matériel, le collectivisme est en premier lieu matérialiste. Alors que l’individualisme, visant à la liberté inconditionnée de l’individu, pourrait être dénommé, faute d’un meilleur terme, spiritualiste, ou plutôt idéaliste.
L’individualisme ne propose pas de forme spécifique d’association mais stipule, à la place, que n’importe quelle forme d’association compatible avec la liberté, ne saurait exister que par vertu du consentement volontaire des participants, c’est-à-dire être mutuelliste. Le collectivisme, d’autre part, affirmant la nécessité de l’interdépendance et recherchant des formes d’association imposée, se base sur des devoirs rigoureusement fixés, à la fois envers chacun et envers l’ensemble de la collectivité. Sous le prétexte d’humanitarisme, cette coopération obligatoire se réalise dans le socialisme, le communisme, le nationalisme coopératif, l’état corporatif, le syndicalisme d’état — qui ne sont que des manifestations d’une seule et même idée de troupeau — et y clôture ses adhérents. Ce sont deux états d’esprit fondamentaux différents. Le collectivisme se base sur une conception organique de la société, l’individualisme adopte le point de vue anarchiste et la bataille se poursuivra jusqu’à ce que le problème soit résolu : oui ou non, l’individu devra-t-il submerger son individualité dans la masse ? (Il ne faut pas déduire de ce qui précède que tous ceux qui se qualifient actuellement d’« individualistes » acceptent le point de vue anarchiste. Nombreux sont ceux d’entre eux qui ne sont que des hommes de troupeau, apologistes du statu quo démocratique).
Il importe de noter ici certaines conséquences de l’activité associationniste obligatoire : moins les devoirs prescrits sont définis et plus insidieux et débilitant s’avère le contrôle collectif, ce qui aboutit finalement à la méfiance mutuelle et, en dernier ressort, à la désagrégation. Tous les gouvernements, tous les plans gouvernementaux, toutes les formules d’association de masses ne sont que des applications de l’instinct grégaire en vue de courber l’individu devant le soi-disant bien général — destinées à s’écraser contre le roc dès que l’individu se reconnaît, lui, le respect de soi-même et sa dignité, comme un être unique. Car l’individu est indestructible ; il exista antérieurement à toutes les institutions et formes de contraintes ensemblières, il leur est supérieur et lorsqu’il se réalisera, il n’acceptera que les devoirs qu’il se sera volontairement imposés.
Laurence Labadie