La Presse Anarchiste

L’autre son de cloche

[/​Quelque part en Amé­rique (si vous tra­dui­sez et insérez
jamais cette, dia­tribe, ce que je ne crois pas,
peu importe son ori­gine. Vos lec­teurs s’en
insou­cient et vous de même, je sup­pose bien)./]

Je reçois régu­liè­re­ment votre revue, je la lis, m’en régale et com­ment ! Alors, vous ne pou­viez pas vous tenir tran­quille et, à l’ins­tar de Can­dide, culti­ver votre jar­din. Ça vous tient tant que ça ? Vous en avez à revendre, de l’op­ti­misme ! Ain­si vous conti­nuez à exhor­ter les gens à se conver­tir à l’in­di­vi­dua­lisme comme pana­cée à tous les maux humains. Et cela alors qu’il est clair comme la lumière du jour que tout homme, femme ou enfant qui a vécu, vit et vivra, est, dans tous les temps, un indi­vi­dua­liste pur sang, agres­sif, ain­si créé par la Nature. Alors que même ils vou­draient, se for­cer à le faire, ils ne se déli­vre­ront jamais de leur indi­vi­dua­lisme inné, agres­sif (égoïsme = per­son­na­lisme). Le socia­lisme le plus sin­cère, le com­mu­nisme le plus abso­lu se révèle, quand on le gratte, un indi­vi­dua­lisme agres­sif, pure­ment et sim­ple­ment. C’est cause de cela que ne se réa­li­se­ront jamais le socia­lisme ni le com­mu­nisme, puisque le tout ne peut être sem­blable qu’à ses parties.

Mon cher ami, votre sublime contra­dic­tion consiste en ceci : c’est que vous louez l’in­di­vi­dua­lisme comme l’i­déal le plus éle­vé qui soit, tan­dis que vous condam­nez tous les genres d’Au­to­ri­té (domi­na­tion, oppres­sion, etc.). Et cela, alors que qui­conque capable d’a­na­lyse s’a­per­çoit de suite que l’Au­to­ri­té est le point culmi­nant de l’in­di­vi­dua­lisme pros­père. L’in­di­vi­dua­lisme satis­fait, agres­sif, mène à la popu­la­ri­té, à la pré­émi­nence, à la richesse, et de là au pou­voir et à l’au­to­ri­té. Il est évident que l’In­di­vi­dua­lisme est la cause de l’Au­to­ri­té, qui est un effet. Celui-là est un moyen, celle-ci une fin. De sorte que celui qui prêche l’in­di­vi­dua­lisme annonce aus­si la haïs­sable Auto­ri­té. L’au­to­ri­té est le rêve réa­li­sé de l’individualiste.

Je vous accorde que toute auto­ri­té est immo­rale, qu’elle mène à l’a­bus, à la cor­rup­tion, mais j’a­joute : tout indi­vi­dua­lisme inen­tra­vé [[Ce mot (c’est moi qui ai sou­ligne) suf­fit à détruire la plus grande par­tie de l’ar­gu­men­ta­tion de mon cor­res­pon­dant incon­nu, en lequel il me semble recon­naître (grâce au style) quel­qu’un qui gra­vi­ta autour du mou­ve­ment créé par Liber­ty. — E. A.]] (pros­père) est •aus­si immo­ral ; qu’il conduit éga­le­ment et inva­ria­ble­ment à l’a­bus, à la cor­rup­tion, etc. La « phi­lo­so­phie de l’ex­pé­rience » — le Pes­si­misme, en face des dix mille ans (ou davan­tage) d’his­toire (expé­rience actuelle) nie logi­que­ment la pos­si­bi­li­té d’a­mé­lio­ra­tion, eu égard aux maté­riaux dis­po­nibles. Elle ne voit, en réserve pour l’a­ve­nir, que la simple répé­ti­tion du pas­sé. C’est la seule pers­pec­tive rai­son­nable. Alors que, figu­ra­ti­ve­ment par­lant, le breu­vage quo­ti­dien du Pes­si­miste est de l’eau claire, natu­relle ; l’A­nar­chiste, le Socia­liste, le Com­mu­niste, le Chré­tien, l’Au­to­ri­taire, I’In­di­vi­dua­liste, le Réfor­miste, l’A­mé­lio­riste, etc. — met dans son eau une dose de nar­co­tique : « espé­rance », « théo­rie », « édu­ca­tion », « socié­té meilleure », « temps nou­veaux », « mora­li­té », « reli­gion », « dogme », « culture », « mys­tique », « magné­tisme », « hyp­no­tisme » — que sais-je encore ?

Tout cela, bien enten­du, pour RIEN, la force bru­tale demeu­rant l’ar­bitre unique et final de toutes choses sur notre planète. 

Qu’est-ce que l’u­ni­vers ? Ein ewig Kom­men, ein ewig Ver­ge­hen : une allée éter­nelle, une éter­nelle venue. En voi­ci un atome, notre propre globe. Cho­que­rai-je l’a­nar­chiste si j’ex­pose la véri­té toute nue, c’est-à-dire que le monde où nous vivons est un amas de fumier, rési­du d’es­pèces végé­tales et ani­males innom­brables, mas­sa­crées ou éteintes, accu­mu­lées de siècle en siècle (car la matière ne se perd jamais), amas sur lequel se pour­suit l’é­ter­nel mas­sacre, consé­quence de cette loi natu­relle qui domine toutes choses : la loi de l’é­goïsme agres­sif = indi­vi­dua­lisme. Ain­si, de cette accu­mu­la­tion du fumier de ses propres espèces, de l’at­mo­sphère envi­ron­nante — eau, cha­leur, etc. — notre globe pro­duit d’autres espèces pour l’u­nique résul­tat appa­rent d’ac­croître son volume. Ain­si, la pro­duc­tion et la des­truc­tion se suc­cèdent indé­fi­ni­ment ; mais comme ce pro­cé­dé laisse ou consti­tue un gain constant de volume pour la terre, ou pour­rait le nom­mer sans se trom­per pro­grès ou même évolution.

Mais il n’y a pas de pro­grès ou d’é­vo­lu­tion sociale. Toute « révo­lu­tion sociale » a été sui­vie, inva­ria­ble­ment par une réac­tion, un retour à l’an­tique régime indi­vi­dua­liste (cha­cun-pour-soi, le bon dieu pour tous). Aujourd’­hui ce régime est res­pon­sable de tous nos maux sociaux, de notre cor­rup­tion. Il en a été et en sera tou­jours ain­si. Et pour­quoi ? Parce que « l’In­di­vi­dua­lisme » des indi­vi­dua­listes se résume en une ten­dance et un désir constant d’en­va­hir, de res­treindre, et fina­le­ment d’é­li­mi­ner l’in­di­vi­dua­lisme d’au­trui. On s’y prend par la ruse, par la per­sua­sion, mais l’ar­bitre final, c’est la force bru­tale. En tant que méthode, elle plaît à l’in­di­vi­dua­liste, parce qu’elle abou­tit à des résul­tats défi­ni­tifs et durables. Et à tout moment, il est dis­po­sé à mettre en com­mun une bonne par­tie de son indi­vi­dua­lisme avec celui des autres, afin d’ob­te­nir les avan­tages convoi­tés sur les masses — et encore est-ce pour le bien de sa « classe ».

L’in­di­vi­dua­liste est tout juste assez « socia­le­ment » dis­po­sé à confondre son inté­rêt avec celui d’une « classe », par néces­si­té ou par socia­bi­li­té. Mais il ne consen­ti­ra jamais à végé­ter en com­pa­gnie des masses ; ce qu’il veut d’elles, c’est leur peau.

O sainte sim­pli­ci­té ! Ain­si vous écri­vez : « Je vais mon che­min, je suis ma voie » et vous négli­gez ce vilain fait qu’il existe un autre indi­vi­dua­liste et que lui et sa famille pos­sèdent depuis des siècles toutes les routes où vous déam­bu­lez, qu’il peut vous en inter­dire l’ac­cès ou vous tirer des­sus. Son indi­vi­dua­lisme, à lui, est un indi­vi­dua­lisme pros­père, satis­fait, alors que toute votre vie durant, vous n’a­vez fait, vous ne faites que « reven­di­quer » le vôtre. Si vous y pen­siez un peu ? 

Le lec­teur sans nom

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