La Presse Anarchiste

Ma vie

La vie que je vis main­te­nant ! Presque com­plè­te­ment ont dis­pa­ru les tor­tures de cinq années de mala­dies que les méde­cins fameux ne sur­ent pas gué­rir et que j’ar­ri­vai à faire dis­pa­raître par l’ef­fort de la volon­té, par l’hy­giène, par la méthode — grâce à l’eau, au soleil, à la lumière, à l’air. Je mène une vie quiète et pai­sible comme les eaux d’un grand lac. J’ai rom­pu les rela­tions avec le monde exté­rieur et je par­viens à peine à contem­pler le monde intime de mon, « moi ». Ma com­pagne et ma fille sont à mes côtés. Et quelle joie dans le sou­rire inno­cent du petit être ! Quel triomphe ! Quelle gloire !

Je me suis confié à la Nature toute puis­sante. Man­geant des fruits, buvant de l’eau, res­pi­rant de l’oxy­gène, je passe mes jours dans une séré­ni­té que rien ne par­vient à trou­bler : je jar­dine dans mon ver­ger ; je pioche la terre ; je fais alter­ner le tra­vail de l’es­prit avec celui du corps ; fré­quem­ment je pra­tique l’hy­dro­thé­ra­pie… et la joie me for­ti­fie et me vivifie.

De temps à autre on frappe à la porte. Est-ce un ami ? Qu’il soit le bien­ve­nu ! Qu’il secoue la pous­sière de ses san­dales souillées par la ville et qu’il entre. Nous cau­se­rons. Puis nous nous ren­drons au plus pro­fond de la forêt prochaine.

Oh ! le doux enchan­te­ment des soirs pas­sés sous les sapins, nous emplis­sant les pou­mons de bon air, man­geant des fruits, conver­sant de choses agréables ! Il n’y a pas de villes, de Paris, de Rome, de Venise qui vaillent la magie de cette petite mai­son de cam­pagne où ma fille gazouille et où, tout proche, les coni­fères pointent vers le ciel leur cime verte et résineuse.

SEUL, com­bien je suis heu­reux ! La ville est comme une chose loin­taine dont je conserve à peine quelques faibles sou­ve­nirs. Peu à peu, j’ai dû cou­per les liens qui m’at­ta­chaient encore à elle.

Intri­guez, mor­dez, men­tez, calom­niez, gavez-vous — ô esprits mes­quins, ô hommes-matière, ô carac­tères sor­dides ! Loin de vous, seul avec ELLES, je suis heu­reux je vous méprise.

Que celui qui se sent quelque affi­ni­té spi­ri­tuelle et morale frappe à ma porte j’ou­vri­rai. Que les autres passent au large.

« L’homme le plus fort du monde, c’est celui qui est le plus seul. »

Ange­lo Jorge

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