La Presse Anarchiste

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…Ni l’é­ga­li­ta­risme extrême, ni l’a­ris­to­cra­tisme extrême n’est la véri­té. La réa­li­té n’ad­met rien d’ex­trême ; sa com­plexi­té infi­nie répugne à tout sim­plisme, tout ce qui vit et se réa­lise est une syn­thèse d’élé­ments diver­gents, est une har­mo­nie faite de dis­so­nances, est un com­pro­mis. Aus­si peut-on sou­te­nir que la théo­rie sociale qui aura chance de vivre et de s’a­dap­ter à la réa­li­té, sera celle qui sau­ra récon­ci­lier et com­bi­ner les deux grandes ten­dances que nous avons carac­té­ri­sées. Elle dira avec le socia­lisme qu’une vie vrai­ment humaine est due à tous les humains, qu’à l’au­to­no­mie morale et juri­dique il fau­dra que s’ad­joigne l’au­to­no­mie éco­no­mique, et que dans la cité nou­velle, tous les citoyens, sans excep­tion, seront asso­ciés au labeur com­mun et à la richesse commune.

Mais elle dira aus­si, avec l’In­di­vi­dua­lisme Anar­chiste, que ce nivel­le­ment éco­no­mique n’im­plique, nul­le­ment le nivel­le­ment intel­lec­tuel, l’at­té­nua­tion de toute ori­gi­na­li­té, l’a­bais­se­ment de toute supé­rio­ri­té ; mais qu’au contraire avec la sub­sis­tance et les loi­sirs assu­rés, toutes les supé­rio­ri­tés auront l’oc­ca­sion de se mani­fes­ter sans entraves et que, bien loin de vou­loir faire redes­cendre l’hu­ma­ni­té dans les bas-fonds d’où elle a eu tant de peine à sor­tir, la socié­té nou­velle aura pour tâche der­nière de conduire tous les hommes vers ces hau­teurs qui, jus­qu’à pré­sent, n’é­taient acces­sibles qu’à quelques pri­vi­lé­giés ; que bien loin d’an­ni­hi­ler toutes les aris­to­cra­ties, elle vou­dra faire de tous les hommes, selon le vœu du noble héros de Ros­mer­sholm d’Ib­sen, des aris­to­crates véri­tables, c’est-à-dire des êtres nobles, purs et bons.

Mal­gré toutes ses évi­dentes lacunes et ses bar­bares conclu­sions, l’in­di­vi­dua­lisme anar­chiste conserve le mérite d’a­voir pro­cla­mé, avec une ardeur pas­sion­née et la logique la plus pres­sante, que, quelle que soit la forme de la Socié­té future, il fau­dra pour qu’elle vive, que, dans la conscience col­lec­tive, la conscience per­son­nelle puisse sub­sis­ter ; il fau­dra que, dans l’im­mense ruche de tra­vail que sera sans doute la Cité, le Moi — et non seule­ment le Moi du pen­seur et le Moi artiste, mais encore le Moi le plus pauvre et le plus humble, — ait sa place ; il fau­dra que tout en vivant pour les autres et dans les autres, l’in­di­vi­du ait sa vie propre, il fau­dra que, tout en deve­nant une vague de l’im­mense Océan social dont chaque mou­ve­ment sera pré­dé­ter­mi­né et mis au ser­vice de la force uni­ver­selle, la per­sonne intel­lec­tuelle et morale conserve par un sub­til arti­fice de méca­nique sociale, des mou­ve­ments autonomes, 

V. Basch (L’In­di­vi­dua­lisme anar­chiste : Max Stir­ner)

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