La Presse Anarchiste

Haute école

10. – Ignorance, mensonge, illusion

La grande trou­vaille de l’hu­man­ité, ç’a été de baser son exis­tence sur l’irréel.

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Dans une étude sur Ibsen et Bjor­son [[ Le Temps, 13 mai 1940.]], M. Robert Kemp par­le de la théorie du « men­songe vital », qu’il repousse lorsque servi à grandes dos­es, mais con­sid­ère comme « tolérable à petites dos­es ». Lais­sons de côté la ques­tion de la ligne de démar­ca­tion. Le men­songe dans les doc­trines philosophiques, sociales ou morales est mor­tel, et non vital, ce qui n’est pas dif­fi­cile à prou­ver. Mais comme M. Kemp n’est pas un révolté ― et pour cause ― il admet très volon­tiers la petite dose. Or la petite mène peu à peu et fatale­ment à la grande. C’est d’ailleurs celle-ci qu’au­jour­d’hui on nous fait absorber. Et toute notre vie en est empoisonnée.

Ou la moral­ité indi­vidu­elle et les sociétés seront fondées sur la vérité sans sophis­ti­ca­tion, même à petites dos­es, ou bien les humains souf­friront et crèveront du men­songe mor­tel sur lequel ils vivent (si l’on peut appel­er ça vivre), demain comme à présent et comme hier.

Et ce sera jus­tice, ― jus­tice biologique.

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Le théolo­gien : un pré­posé au men­songe vital, ― vital pour les bénéficiaires…

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C’est nu leit­mo­tiv des élu­cubra­tions des jour­naleux et autres écrivassiers que « les Français ont besoin d’une mys­tique ». Aus­si leur en sert-on de divers­es et de nombreuses. 

La plus séduisante pour ce peu­ple qui crève de faim, c’est évidem­ment la « mys­tique de l’abondance » !

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Dès que tu ren­con­tres le sub­stan­tif « mys­tique » dans l’in­ter­pré­ta­tion d’un fait ou dans la con­struc­tion d’un sys­tème philosophique. social ou poli­tique, tiens-toi sur tes gardes. 

Ou c’est un imbé­cile qui te par­le sérieuse­ment et tu n’as pas de temps à perdre.

Ou c’est une canaille qui, se foutant de toi, médite de te lig­ot­er intel­lectuelle­ment, et c’est une autre rai­son de faire la sourde oreille.

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Une mys­tique se forme et se développe autour d’un mythe (= fable = inven­tion = men­songe) et elle fleu­rit en illusion.

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Pour trou­ver une mys­tique, il faut s’adress­er au bazar de croy­ances qu’on appelle pragmatisme.

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De l’aveu même de ses pro­tag­o­nistes, tout prag­ma­tisme est basé sur un men­songe. C’est avec le men­songe qu’il fait la vérité, ― la « vérité » du pragmatiste.

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Sur maints plans de l’ex­is­tence, abuser les enfants, leur racon­ter des men­songes, leur far­cir l’e­sprit d’il­lu­sions que bon nom­bre d’en­tre eux con­serveront jusqu’à la fin a leur grand dam, car elles fer­ont d’eux des dupes et des vic­times ; ou les main­tenir, sans même l’om­bre d’une expli­ca­tion, dans l’ig­no­rance la plus crasse, igno­rance qui, aux yeux des clair­voy­ants, se révèle jour­nelle­ment meur­trière, ― voilà le via­tique que l’homme donne à sa progéni­ture pour se diriger dans la vie. 

Quels beaux résul­tats il obtient, il suf­fit de regarder autour de soi pour s’en ren­dre compte.

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C’est lorsque le prophète est un mys­tique que sa prophétie ne se réalise pas et qu’il appa­raît par la suite si ridicule. 

Lorsqu’une prophétie est rigoureuse­ment sci­en­tifique, elle se réalise, ― nécessairement.

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C’est pour se con­serv­er les valeurs matérielles que tant de politi­ciens, de prêtres et de gens de let­tres prébendés tra­vail­lent à restau­r­er ce qu’ils appel­lent les « valeurs spirituelles ».

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Que de gens pré­ten­dent vivre pour l’e­sprit qui, en réal­ité, vivent de l’esprit !

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L’hu­man­ité souf­fre de maintes mal­adies de l’e­sprit : croy­ance en « Dieu », croy­ance à une final­ité de l’u­nivers, croy­ance à l’an­thro­pocen­trisme, voire an géo­cen­trisme, croy­ance au libre arbi­tre, etc. 

Ce sont ces mal­adies qu’il lui faut d’abord extir­p­er de son fonc­tion­nement men­tal si elle veut vivre une vie saine.

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À force de les scruter, on arrive à com­pren­dre que cer­tains pré­ceptes des reli­gions, à l’o­rig­ine. n’é­taient pas dénués de rai­son réelle, qu’ils valaient par l’in­ten­tion ― sinon par l’ex­pres­sion, la plu­part du temps trop sym­bol­ique ― et visaient à une amélio­ra­tion de l’homme. C’é­tait au temps des sincères, il y a longtemps, bien longtemps ! 

Seule­ment, ils étaient basés sur un men­songe ini­tial et n’ont rien pro­duit de bon, au contraire.

Ce n’est pas impuné­ment qu’on dirige les hommes par le men­songe : l’échec ne tarde pas à apparaître. 

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Un grand obsta­cle à l’évo­lu­tion pro­gres­sive de l’hu­man­ité, c’est l’in­nom­brable gob­eur qui prend l’im­age pour la réal­ité : un aspect du manque d’e­sprit critique. 

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Une image peul être belle : si tu l’in­ter­prètes et la goûtes avec ravisse­ment, tu es un artiste ; si tu la prends au pro­pre, tu es. un crétin. 

Le plus grand nom­bre des humains ne sont que des reflets. 

Toute­fois, il y a des degrés dans la réflexion. 

Être le reflet du génie, passe encore. 

Mais les pires des reflets sont les hommes qui reçoivent leur « lumière » de ceux qui ne méri­tent pas d’être reflétés. 

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Tout com­pren­dre, c’est tout par­don­ner, a dit, à peu près en ces ter­mes, Mme de Staël. C’est l’év­i­dence même, mais de cet apho­risme d’au­cuns ont ten­té de faire une maxime selon laque­lle on devrait se résign­er à tout. 

Rec­ti­fions donc : 

Tout com­pren­dre, c’est tout par­don­ner, mais ce n’est pas tout subir. 

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Le défaut de l’homme est de tou­jours vouloir, con­sciem­ment ou non, situer sur un plan « supérieur » les caus­es de phénomènes humains qui, en réal­ité, sont d’or­dre sim­ple­ment physique. 

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La plu­part des vic­times de la société ne s’aperçoivent même pas qu’elles sont telles. 

Car elles le sont d’abord par l’intellect. 

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Le prêtre à ses ouailles : 

― Quand le doute approche et frappe à la porte, je me hâte de pouss­er le ver­rou et je me sauve en me bouchant les deux oreilles. Faites comme moi. 

Ou la volon­té de demeur­er igno­rant et esclave. 

Mais, en vérité, il s’ag­it tout bon­nement de con­serv­er une clientèle. 

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C’est avec quelque honte pour lui-même que j’en­tends Durand oppos­er à un pro­pos issu de l’expérience : 

― Moi, je crois que.… 

Pau­vre type, il ne craint pas le ridicule !

Manuel Devaldès


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