La Presse Anarchiste

Illusions sociologiques

Les des­tins de l’es­prit humain ne sont point limi­tés à ceux de notre exis­tence. Ils ne sont point asser­vis aux besoins et aux exi­gences de nos maté­ria­li­tés péris­sables, non plus qu’au besoin de se défi­nir et de se révé­ler, ni aux mul­tiples ser­vi­tudes des formes d’effectivité. 

Que sont notre exis­tence maté­rielle et notre rôle humain dans l’in­fi­ni­té ? Moins qu’un souffle. Que sont-ils dans l’exis­tence du monde ter­restre ? Un fait mathé­ma­tique aus­si com­plet en soi que s’il était indispensable. 

Nous sommes davan­tage en ser­vi­tude avec le monde ter­restre qu’a­vec l’in­fi­ni­té, avec le rota­tif qu’a­vec l’ab­so­lu, avec de vaines appa­rences qu’a­vec l’im­muable vérité. 

Mieux nous conce­vons com­ment nous pou­vons nous accom­mo­der de notre force humaine d’exis­tence, moins nous obte­nons du genre humain de le pou­voir librement. 

Mieux nous démon­trons com­ment il est aisé de conci­lier les exi­gences anta­go­nistes de notre forme humaine d’exis­tence et de ses apti­tudes, moins le genre humain semble dis­cer­ner que la véri­té se mani­feste à lui autant que les moyens de déci­der selon ses ensei­gne­ments. Nous n’ex­pli­quons ce phé­no­mène qu’au béné­fice de l’ordre social condi­tion­nel, tem­po­raire, rela­tif et sophis­tique ― et qu’au détri­ment de l’ordre natu­rel, équi­table et ensei­gné par nos acquies­ce­ments mêmes.

Que nous décou­vrions ou puis­sions faire du nou­veau dans ce monde où nous sommes, nous n’en demeu­rons pas moins cer­tains que nous n’y chan­ge­rons rien d’es­sen­tiel avec des résul­tats aus­si néces­sai­re­ment durables que ses lois propres d’existence.

Aus­si, les rai­sons d’être de cette erreur sont-elles plus pure­ment humaines encore que ter­restre ; et cette erreur nous met en pré­sence de deux imper­fec­tions : celle du monde ter­restre et celle de l’humanité.

Le monde ter­restre est impar­fait dans ses apti­tudes et l’hu­ma­ni­té est trop impar­faite dans l’u­sage qu’elle fait des siennes. À coup sûr, les inap­ti­tudes du monde ter­restre font obses­sion sur les apti­tudes du genre humain. 

La per­fec­tion humaine, la per­fec­tion socio­lo­gique, elles semblent au genre humain inuti­li­sables dans le monde terrestre. 

Ce n’est peut-être pas une illu­sion ni un men­songe que le genre humain est tel qu’il semble pou­voir être : il n’offre pas davan­tage d’im­pu­ni­té abso­lue que de véri­té défi­ni­tive. Aus­si, est-ce trop opti­miste de le croire tel volon­tai­re­ment ; aus­si est-ce trop ingé­nu de le sup­po­ser tel par pur hasard.

Mais alors, si ces per­fec­tions y sont inuti­li­sables, à quoi bon ordon­ner des méthodes de n’y obte­nir rien que d’im­par­fait et d’in­suf­fi­sam­ment perfectible ?

Si le vice du monde ter­restre est tel, nous pou­vons par­ve­nir pro­gres­si­ve­ment à en neu­tra­li­ser les risques sans nous astreindre à les ima­gi­ner ni à les imi­ter par anticipation.

M. Gri­vet-Richard

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