La Presse Anarchiste

Le rôle de l’individu dans l’anarchisme

Pour gui­der la foule vers notre idéal com­mun ― l’A­nar­chie — il faut sus­ci­ter dans la socié­té actuelle des ini­tia­teurs de la socié­té future, autre­ment dit des hommes pou­vant consciem­ment pré­sen­ter a cette foule les véri­tés entre­vues, les lui expli­quer, les lui faire com­prendre, l’en­traî­ner par leur propre exemple. 

Mais avant d’être un « ini­tia­teur », il faut être un « ini­tié » car com­bien de cama­rades, dési­rant en toute sin­cé­ri­té l’af­fran­chis­se­ment de l’être humain, la liber­té totale de l’in­di­vi­du, attendent eux-mêmes pour se libé­rer l’im­pul­sion de quel­qu’un ou de quelque chose ? 

Il faut avant de viser à cette libé­ra­tion totale, être sûr d’être soi-même un libé­ré, être conscient de sa valeur, de sa digni­té d’homme, agir selon l’im­pul­sion de ses propres apti­tudes, apprendre à éva­luer ses faci­li­tée, car c’est dans la varié­té des apti­tudes, des ten­dances et des adap­ta­tions, que les anar­chistes pour­ront faci­li­ter l’a­vè­ne­ment. d’une nou­velle socié­té toute d’harmonie. 

Pour cela, il est néces­saire de s’im­pré­gner, de se péné­trer de ces deux axiomes :

Le pre­mier : Connais-toi toi-même.

Le second : Affran­chis-toi toi-même.

C’est donc, à mon sens, dans les cer­veaux qu’il nous faut avant tout faire ce que l’on nomme une Révo­lu­tion, c’est en nos habi­tudes, en nos actes, qu’il faut faire table rase des pré­ju­gés séculaires. 

Il faut que l’in­di­vi­du se trans­forme lui-même dans ses concep­tions, dans ses manières de faire. 

S’il est exact que le milieu trans­forme l’in­di­vi­du, de son côté l’in­di­vi­du, à coup sûr, trans­forme le milieu, et il ne peut y avoir de trans­for­ma­tion durable que celle qui opère à la fois sur l’in­di­vi­du et sur le milieu. 

Modi­fions une façon de pen­ser aujourd’­hui, abat­tons une erreur demain ; entraî­nons aujourd’­hui dans le sillage de notre façon de pen­ser et d’a­gir, un adepte, qui, à son tour, pour­ra demain en entraî­ner un autre, et peu à peu, il s’é­ta­bli­ra une façon d’a­gir plus conforme à notre manière de voir. 

Démon­trons aux anar­chistes qui s’i­gnorent, que la vraie morale consiste à agir d’ac­cord avec leur conscience, leurs concep­tions intimes, et non plus en obéis­sant, par timi­di­té, par peur, aux pres­crip­tions d’une morale cou­rante arbi­trai­re­ment établie. 

Nous amè­ne­rons ain­si, gra­duel­le­ment, les indi­vi­dus à un degré d’é­vo­lu­tion où tout leur être étant en désac­cord com­plet avec l’ordre des choses exis­tant, la rup­ture sera ren­due inévi­table, par l’in­fil­tra­tion lente peut-être, mais conti­nue, d’une façon de pen­ser et d’a­gir nou­velle, faci­li­tant ain­si le pas­sage d’hier à demain, sans contrainte ni coercition. 

Il y a là, cer­tai­ne­ment, une grande besogne à accom­plir, un tra­vail de taupe, une pro­pa­gande de bouche à oreille, d’in­di­vi­du à indi­vi­du, plu­tôt que d’une mino­ri­té à une majorité. 

Même dans nos milieux, à com­bien de pré­ju­gés ne se laisse-t-on pas aller dans la vie cou­rante, par consi­dé­ra­tion pour l’o­pi­nion publique, pré­ju­gés dont il serait si facile, pour­tant, de se débar­ras­ser et dont la chute aide­rait à se libé­rer de bien d’autres idées préconçues ? 

Com­bien de cama­rades anar­chistes ayant une action per­son­nelle, lut­tant depuis tou­jours contre les pré­ju­gés ances­traux, sont consi­dé­rés comme des non-révo­lu­tion­naires, et qui le sont pour­tant, je dirai presque plus que les révo­lu­tion­naires qui s’af­fichent tels. 

Car ce n’est que par la réper­cus­sion d’in­di­vi­du à indi­vi­du, de groupe à groupe, de milieu à milieu que se trans­forment les impurs ; c’est parce qu’il y a des com­pa­gnons qui agissent sans s’oc­cu­per de ce que pense l’o­pi­nion publique, ou même les milieux anar­chistes, que, peu à peu, se trans­forment les rela­tions, entre les hommes, les façons de voir et d’agir. 

De tout temps on a prê­ché avec tant d’in­sis­tance à l’in­di­vi­du la dis­ci­pline, l’ab­né­ga­tion, l’ef­fa­ce­ment de sa per­son­na­li­té, l’a­bais­se­ment de sa volon­té devant les fan­tômes qui se nomment État, Patrie, Reli­gion, Famille, Socié­té, qu’il est temps qu’il sache qu’il n’y a rien à attendre de qui que ce soit, que tout doit venir de lui, et que la trans­for­ma­tion qu’il sou­haite d’ac­com­plir dans le milieu où il vit doit au préa­lable être accom­plie en lui. 

Il faut trans­for­mer notre men­ta­li­té, nos pen­sées, nos façons d’a­gir, et, avec des façons nou­velles, envi­sa­ger les rap­ports indi­vi­duels ― ne pas gar­der une façon de pro­cé­der décou­lant de nos pré­ju­gés anté­rieurs, de notre édu­ca­tion faus­sée et servile. 

Don­ner à l’in­di­vi­du pleine conscience de sa digni­té, de sa force, de sa vraie valeur, redres­ser les carac­tères, n’est-ce pas la besogne qui doit accé­lé­rer l’a­vè­ne­ment de l’ère nou­velle, la rendre durable ? Voi­là à mon sens ce que doit être la concep­tion indi­vi­duelle de l’a­nar­chisme qui pré­pa­re­ra le ter­rain à la socié­té future, hâtant la ruine et la décom­po­si­tion de la socié­té actuelle.

Alber

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