La Presse Anarchiste

Les 90 ans de Bernard Shaw

Bernard Shaw vient de franchir allè­gre­ment le cap des 90 ans et, à cette occa­sion, il a été beau­coup ques­tion de lui de l’autre côté de la Manche. Son regard est aus­si clair que jamais, il se tient droit et s’il ne fai­sait pas usage d’une canne pour s’aider à mon­ter les escaliers, on ne ver­rait rien de changé en lui, car sa vital­ité, sa vivac­ité. son brio sont demeurés les mêmes. Il a dom­iné son temps, comme Voltaire dom­i­na la moitié du dix-huitième siè­cle. Il est telle­ment fam­i­li­er avec la pen­sée de la mort, déclarait-il récem­ment à un jour­nal­iste ami, qu’il n’y songe même plus. Qu’est au fond Bernard Show ? Un grand dra­maturge, un émi­nent prosa­teur, un moral­iste qui dénonça l’hypocrisie, l’im­bé­cil­lité, l’in­tolérance de ses con­tem­po­rains. Il est resté un puri­tain, tein­té forte­ment de social­isme, ne rec­u­lant pas devant la néces­sité de l’emploi de l’au­torité pour redress­er le monde. Ah certes, ce monde il ne l’aime pas, son impuis­sance et sa cru­auté le dégoû­tent, et il ne s’est pas fait faute de stig­ma­tis­er le con­ven­tion­nal­isme et les autorités qui le sou­ti­en­nent. Mais à l’in­star de Car­lyle, Shaw croit que les instru­ments du pro­grès sont les héros et les saints, les êtres d’ex­cep­tion que met­tent à mort les gens raisonnables épris de loi et d’or­dre ; il ne pense pas que les gens ordi­naires soient aptes à se gou­vern­er eux-mêmes, ce qui lui a fait faire quelque­fois bon marché de la lib­erté indi­vidu­elle, louer Mus­soli­ni et, pen­dant un temps, défendre Hitler. Pour­tant il pos­sède l’amour de la lib­erté et s’est écrié : « le pro­grès dépend de notre refus à utilis­er les moyens bru­taux, même s’ils sont effi­caces », tout en con­sid­érant comme une absur­dité le gou­verne­ment du peu­ple « par le peu­ple ». Révo­lu­tion­naire autori­taire, préoc­cupé des prob­lèmes moraux et religieux de son temps, se ser­vant de l’arme de la satire pour dénon­cer la sot­tise de son époque, con­tra­dic­toire sou­vent, mais visant tou­jours à faire penser ceux avec qui il vient en con­tact intel­lectuelle­ment, tel est Shaw. 

H.-G. Wells, lui, n’a pu attein­dre aux qua­tre-vingts ans. Avant de mourir, il s’é­tait attaqué à la famille royale anglaise l’ac­cu­sant d’avoir soutenu finan­cière­ment le mou­ve­ment fas­ciste anglais, qui dis­po­sait, paraît-il, de fonds énormes et était sub­ven­tion­né par Mus­soli­ni. Le chef du fas­cisme bri­tan­nique, Sir Oswald Mosley, a nié, mais Wells, dans un arti­cle du « Social­ist Leader », organe tra­vail­liste indépen­dant, a men­acé la famille royale d’une accu­mu­la­tion de révéla­tions qui se fer­ont jour. Il con­seil­lait à la monar­chie de s’en aller avant qu’on la mette — et sans ménage­ments — à la porte. C’est un fait que les familles royales d’Eu­rope ont à peu près toutes pêché dans les eaux trou­bles du fascisme !


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