[/Aux animaux de Bikini/]
Glissait un beau navire avec des personnages
De La Fontaine, en passagers ― Un tel voyage
Ne s’était pas vu depuis les Hébreux.
Si l’arche que Noé,
Sur les conseils. de l’Éternel, avait bâtie
Avant déluge était un symbole de vie,
Il faut bien l’avouer,
Un autre sort était prévu
Pour notre paquebot et la gent animale
Que ses flancs emportaient vers une île banale ―
Quelques hommes l’avaient voulu :
Il voguait vers la mort.
Afin de mesurer les vertus meurtrières
De quelque invention, les bêtes familières
Et le navire, au port
Du néant, allait aborder.
Du cheval au mouton s’étendit la nouvelle,
Maître Renard ayant, en compagnon fidèle,
Tout le monde bien informé.
Car il savait toujours
Discerner des humains les volontés nuisibles…
De tels desseins furent jugés inadmissibles
Par chacun tour à tour.
De bâbord à tribord,
De la poupe à la proue, alors un vent de fronde
Monta dans la mâture et, sur des mots qui grondent,
Devint un réconfort
Au cœur des timorés.
« L’Union des animaux fera la paix sur terre !
« Debout pour le combat, c’est la lutte dernière,
« C’est le moment sacré !
« À bas les criminels !
« Mort aux mauvais savants, mort aux mauvais pilotes ! »
Ce n’était plus slogans d’un groupe qui complote
Mais des ordres formels,
Que l’on exécuta !
Par les cornes du bœuf, par les sabots de l’âne
Et les efforts de tous, il n’est pas un seul crâne
Qui des hommes resta
Sur l’étrange bateau.
Ils furent aux requins jetés comme pâture
Et nos bons animaux, a qui cette aventure
Avait sauvé la peau,
Sans maître désormais,
Ils se sont dirigés vers une île lointaine,
Inconnue à ce jour de notre race humaine,
Et vivent dans la paix.
Ami, je vois sur votre front
Le doute qui s’installe, en dessinant une ombre…
Allons, rassurez-vous ! Quittez cette humeur sombre !
Je ne vous ferai pas l’affront
Terminant mon fableau
De vous dire en moralité, que, chez les bêtes,
Il y a plus d’intelligence qu’en nos têtes…
Et pourtant nous avons un bandeau !
André Pernin (juillet 1946)