La Presse Anarchiste

L’imprimé, la scène, l’écran

Fagus : Vers et Proses, choix et avant-pro­pos de Hen­ri Mar­ti­neau, illus­tré d’a­près les bois ori­gi­naux de Constant le Bre­ton. (Ed. De « l’A­mi­tié par le Livre ».) – On ne se sou­vient plus guère de Fagus, un de nos bons poètes qui mou­rut le 9 novembre 1933 comme il ren­trait chez lui, ren­ver­sé par un camion au seuil de sa mai­son. Ce fils de fonc­tion­naire de la Com­mune, d’a­bord liber­taire évo­lua vers le catho­li­cisme, (tels Huys­mans, Ret­té, Max Jacob), le roya­lisme, le patrio­tisme et même l’an­ti­sé­mi­tisme. Tout cela ne l’empêchait pas d’être éru­dit jus­qu’au bout des ongles ― un let­tré véri­table dou­blé d’un poète authen­tique et sin­cère. Humble, effa­cé, mal­me­né par un sort déce­vant, il pas­sa pour le « der­nier bohème ». Les édi­tions de « l’A­mi­tié par le Livre » ont bien fait de le rap­pe­ler au sou­ve­nir des contemporains.

Voi­ci d’ailleurs un poème de Fagus, qui fera com­prendre sa manière mieux qu’au­cun commentaire :

Les spectres

Grands frères qui dor­mez sous la calme bruyère
Tan­dis que les four­mis vous tra­vaillent les yeux ;
La chair pleine de plomb, plein la bouche de terre
Où tremble la pous­sière auguste des aïeux
Dor­meurs de la guerre,
Dor­mez, les heureux !
… … … … … … … … … … … …
Ces spectres dont plus tard on fera des statues
Ont un nom déri­soire à force d’être grand :
Poètes ! Leur génie les sou­lève et les tue,
Demi-dieux éga­rés dans des cer­veaux d’enfants.

J’ai vu Alfred Jar­ry dans la rue Mazarine
Dîner de quatre sous de schnick et pas toujours ;
Laforgue par mor­ceaux qui crache sa poitrine,
Samain ago­ni­sant et Gué­rin à son tour.

J’ai vu Jean Lor­rain mort ; vu Charles Baudelaire
Retrous­sant en avare un pan­ta­lon limé,
Et Paul Ver­laine, hélas, ivre à rou­ler par terre,
Que sou­te­nait, pleu­rant, Sté­phane Mallarmé :
Dor­mants de la guerre,
Dor­mez nos aimées !

J’ai vu Léon Deu­bel, sur la dalle gluante
Que bai­sa le front blanc de Gérard de Nerval,
J’ai vu Fran­cis Latouche, amas de chair fumante,
Apla­ti contre un mur par l’au­to­bus trivial

Albert Fleu­ry traî­ner jus­qu’à Dieu, son squelette,
Moréas accueillant la mort par­mi les fleurs,
Charles-Louis Phi­lippe, Hen­ri Degron, Lafayette,
Et tous ceux que j’ou­blie ou qui sont morts ailleurs :
Dor­mants de la guerre,
Ber­cez les dormeurs !

Signo­ret lapi­dé par le voyou des rues
Bar­bey d’Au­re­vil­ly risé du cocodès,
Rim­baud en qua­ran­taine ain­si qu’un incongru,
Vil­liers de l’Isle-Adam tutoyé par Mendès !

Et je me suis vu, moi, hagard et famélique,
Qui racle son génie, ulcère après son flanc,
Me com­plaire au métier de la fille publique,
Pour appor­ter du pain à mes petits enfants :
Dor­meurs angéliques,
Soyons vos enfants !

Qu’im­porte ! Ridi­cules mar­tyrs que nous sommes,
Cœurs infirmes d’a­mour dévo­rés, dieux proscrits,
Pour tous saigne au-delà de la ruée des hommes
La face pleine de rayons de Jésus-Christ.

[|― O ―|]

Jacques Duboin : Éco­no­mie dis­tri­bu­tive de l’a­bon­dance. Mesures tran­si­toires. Réponses aux objec­tions (Édi­tions Ocia). 50F. – J’ai tou­jours sui­vi avec sym­pa­thie l’ef­fort « abon­dan­ciste », bien que je ne croie pas qu’au­cune refonte éco­no­mique vaille sans une refonte cor­res­pon­dante de l’u­ni­té humaine. Ceci dit, je note que dans cet opus­cule, Jacques Duboin répond avec clar­té, bon sens et habi­li­té aux objec­tions que sou­lève le sys­tème dont il est l’un des plus brillant pro­ta­go­niste. Qu’il soit tou­jours convain­cant, c’est une autre ques­tion. À pro­pos, pour­quoi veut-il conser­ver l’É­tat, alors qu’un simple bureau de sta­tis­tiques suf­fi­rait pour la bonne marche de l’«Économie dis­tri­bu­tive » ? Je n’en­tends d’ailleurs pas polé­mi­quer. Jacques Duboin nous assure qu’en régime d’é­co­no­mie dis­tri­bu­tive, on sera libre au point de vue moral de pen­ser et d’a­gir, et sans doute de s’as­so­cier, comme on vou­dra, à condi­tion de ne point nuire au prochain.

E.A.

Léon Las­son : Ceux qui nous guident (Ed. René Debresse, 150F.) – Je me suis tou­jours plus ou moins méfié de l’oc­cul­tisme, et je sais que la grande majo­ri­té des lec­teurs de « l’U­nique » par­tagent ce point de vue, pour ne pas dire davan­tage. M. Léon Las­son n’a pas rédi­gé dans « Ceux qui nous guident », un trai­té d’as­tro­lo­gie, mais il s’est sur­tout appli­qué, convain­cu qu’il est de l’in­fluence des astres sur le com­por­te­ment des hommes, à rele­ver l’er­reur « énorme » qui s’est glis­sée, selon lui, dans l’as­tro­lo­gie actuelle et à enga­ger public et astro­logues à révi­ser leurs concepts rela­tifs à cette « science ». Nous sommes bien trop pro­fanes pour prendre posi­tion, mais nous ne sau­rions, sans mau­vaise foi, mécon­naître le labeur et la peine qu’ont coû­tés à M. Las­son les recherches aux­quelles il s’est livré. Qu’il y a loin de cela au char­la­ta­nisme de l’as­tro­lo­gie publicitaire !

Comme cas de coïn­ci­dence curieuse, je m’en vou­drais de ne pas citer celui de Mus­so­li­ni et de Mme Lebrig, cais­sière à Vienne (Autriche). « Cet exemple, écrit M. Las­son, avait été pré­sen­té il y à une dizaine d’an­nées, pour démon­trer qu’une dif­fé­rence minime d’heure et de lieu à la nais­sance, suf­fit pour modi­fier la des­ti­née. Mus­so­li­ni, né le 29 juillet 1883, à 14 heures, près de For­li, avait eu évi­dem­ment une des­ti­née autre­ment brillante que la modeste cais­sière née à Vienne (Autriche), le même jour, mais une demi-heure plus tard. Celui qui a mon­té en épingle cet exemple ne se dou­tait pas alors que l’a­ve­nir allait se char­ger de démon­trer au monde que des ciels voi­sins ont tou­jours, quelles que soient les dif­fé­rences qu’ils com­portent, des ten­dances com­munes que la vie réa­lise ! La fin tra­gique de Mus­so­li­ni en 1945 a, en effet, été iden­tique à la fin tra­gique de la cais­sière vien­noise, abat­tue d’un coup de feu le 4 décembre 1930.

E.A.

Alors que la bête régnait (15F. fran­co, au bureau de « l’U­nique) – Ceux des abon­nés de « l’U­nique » qui n’ont pu se pro­cu­rer ses pre­miers numé­ros trou­ve­ront dans cette bro­chure de 66 pages la repro­duc­tion d’un cer­tain nombre d’ar­ticles d’E. Armand, parus dans les fas­ci­cules dont s’a­git. Cela leur per­met­tra de faire la mise au point de la pen­sée actuelle de l’a­ni­ma­teur de notre revue sur cer­tains sujets qu’il n’a­vait pas abor­dés jus­qu’i­ci ou qu’il a cru néces­saire de ré-appro­fon­dir… Qu’on soit ou non d’ac­cord avec lui, on y trou­ve­ra matière à réfléchir.

Ami­cus

L’I­diot – Je sais bien que la mise à l’é­cran des romans et pièces de théâtre ne jouit pas d’une bonne presse auprès de la cri­tique. Je n’ai pas été désap­poin­té jadis par « Crimes et Châ­ti­ment », plus récem­ment par « Madame de Lan­geais ». Il était dif­fi­cile de résu­mer ce roman touf­fu, aux actions enche­vê­trées, aux inci­dents entre­croi­sés qu’est « l’I­diot » de Dos­toïevs­ki. Je trouve que les auteurs ne s’en sont pas mal tirés et j’es­time que ce film est l’un des meilleurs de la pro­duc­tion fran­çaise. Le prince Mui­ch­kine, inter­pré­té par Gérard Phi­lippe, est l’i­déa­liste que nous atten­dions, pas­sion­né d’a­mour et de jus­tice, pitoyable aux mal­heu­reux, que sa sin­cé­ri­té amène à faire le trouble-fête dans le milieu social mal­sain et hypo­crite au sein duquel il évo­lue. Le mar­chand Rogo­jine, auquel se vend Nas­ta­sia, celle-ci, Aglaé Gania ne nous laissent jamais indif­fé­rents. Le seul point faible de ce film, mis en scène par Lam­pin, est qu’il n’é­meut pas suffisamment.

E.A.

La Presse Anarchiste