La Presse Anarchiste

Où Exosthène reparaît

Exos­thène s’en­tre­te­nait sou­vent avec ceux de son monde sur des sujets qu’au­cune suite ne reliait appa­rem­ment les uns aux autres. 

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C’est ain­si qu’un soir, il dis­cou­rait sur la recherche de l’i­né­dit et du raf­fi­né dans les mani­fes­ta­tions amoureuses :

« Je n’ob­jecte rien à ces recherches, disait-il. Bien au contraire, mais je veux qu’on les consi­dère comme un signe, une marque, un accom­plis­se­ment de l’a­mi­tié ou de l’a­mour, et non comme une impul­sion de vaine curio­si­té ou un jeu pué­ril ; ce sont là recherches et décou­vertes réser­vées aux purs et aux élus, et non aux bla­sés et aux débau­chés, c’est pour­quoi j’in­ter­dis l’ac­cès de ce cabi­net secret aux impurs.

Que les cor­rom­pus et les dépra­vés ne viennent pas contre­car­rer la volon­té de recherches et de décou­vertes en amour, leur souffle fétide souille­rait l’at­mo­sphère lim­pide de cette chambre haute, c’est la puan­teur des cloaques et des sen­tines qui leur convient. »

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Le même soir, il disait aussi :

« Pour qu’existe l’har­mo­nie, plu­sieurs accords sont indis­pen­sables, il n’y a pas qu’une seule voix dans un chœur, ni un seul ins­tru­ment dans un orchestre. 

Pense à la mono­to­nie de la voix de l’a­mi qui règle sa hau­teur sur la tienne, que ton ami donc n’o­pine pas tou­jours comme toi sur tous les points en dis­cus­sion, qu’il ne soit pas tou­jours du même avis que toi sur les solu­tions que pos­tulent les pro­blèmes que pose la vie, que la confiance, le par­tage des joies et des peines, la constance, la fidé­li­té, la fran­chise, la com­pré­hen­si­vi­té, le sup­port mutuel soient les pilo­tis sur les­quels repose votre ami­tié, soit le cœur de son cœur, l’âme de son âme, non le dupli­ca­ta de ses gestes, la réflexion de sa voix. »

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Un peu plus tard, Exos­thène énonçait :

« Supé­rieur à la connais­sance, au savoir, au talent, au génie, à l’art même, est l’ef­fort que tu accom­plis pour épar­gner de la peine à ton ami.

Mieux vau­drait consa­crer toute ton exis­tence à évi­ter que ton ami souffre par toi, qu’ap­prendre toutes les sciences du monde.

L’a­mi auquel tu auras évi­té de souf­frir par toi béni­ra la géné­ro­si­té tous les jours de sa vie, mais d’a­voir encom­bré ton cer­veau et des­sé­ché ton cœur, quel pro­fil en retireras-tu ? »

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Exos­thène disait enfin :

« Soyez de bons mar­chands, après avoir pro­mis de la laine, ne livrez pas du coton, sous pré­texte que la pra­tique dif­fère de la théo­rie ; le pares­seux allègue, pour ne pas se mettre en route, qu’il pleu­vra dans la jour­née, et le pusil­la­nime que le che­min est mal fréquenté. 

Crai­gnez de perdre la confiance de vos amis en insis­tant trop sur la fai­blesse de la nature humaine, car ils redou­te­ront d’être les pre­mières vic­times de votre irré­so­lu­tion et de votre apa­thie, de votre manque de har­diesse et de compassion.

Et que l’im­portent l’in­con­sis­tance et la ver­sa­ti­li­té d’au­trui pour­vu que toi, tu t’ap­pliques à faire une réa­li­té de tes principes ? »

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Et plu­sieurs de ceux qui prirent congé d’Exos­thène ce soir-là le firent en hochant la tête.

E. Armand

La Presse Anarchiste