[/Peut-être s’y trouvera-t-il des justes ?
(Genèse XVII, 35)/]
et le feu et le soufre du ciel descendirent sur la cité
et l’embrasèrent et la détruisirent de fond en comble
avec tout ce qu’elle renfermait ― ainsi que Gomorrhe, sa voisine.
Pas même dix justes !
En trouverait-on autant de notre temps
dans les cités que les hommes de nos jours ont édifiées ?
Dix justes qui n’aient point fait tort à leur prochain,
qui n’aient jamais spéculé ― dix justes qui n’aient point profité
de la faiblesse ou de la misère d’autrui pour tenter de s’enrichir,
dix justes qui ne se soient pas mêlés à la politique,
aux combinaisons et aux intrigues des ligues et des partis ;
dix justes qui soient demeurés intègres, purs de tonte compromission,
que n’aient jamais souillé le mensonge, la dissimulation ou l’hypocrisie ;
dix justes fidèles à leurs amitiés, incapables de trahir la confiance
placée en eux, de renier la parole donnée ;
dix justes qui n’auraient de toute leur vie
fait verser une larme, une seule larme ;
justes auxquels nul ne pourrait reprocher d’avoir été
instruments de douleur physique, facteurs de souffrance morale.
Dix justes qui n’auraient matériellement lésé personne,
ni jeté le trouble ou le doute en l’esprit de qui que ce soit ?
Et voici que je me prends à penser :
si du ciel, comme en ces temps-là, le feu descend sur les villes épouvantées,
sur les villages atterrés, engloutissant, rasant les demeures,
tuant, mutilant, blessant les infortunés qui y habitent,
est-ce parce que ces dix justes ne s’y rencontrent point ?
E. Armand, 15 novembre 1943