La Presse Anarchiste

Aux compagnons

Je tiens à reve­nir publi­que­ment sur une ques­tion que j’ai déjà dis­cu­tée par lettre et que j’es­time devoir pré­sen­ter un cer­tain inté­rêt au point de vue des rap­ports entre cama­rades qui s’in­té­ressent à la pro­pa­gande des idées avancées.

Ain­si qu’on le sait, lorsque j’ai créé l’en dehors j’ai envoyé des numé­ros spé­ciaux non point à des adresses prises au hasard, mais à un cer­tain nombre de per­sonnes que je sais per­ti­nem­ment s’in­té­res­ser à la dif­fu­sion des idées anti­au­to­ri­taires, ou de celles qui com­battent la domi­na­tion et l’ex­ploi­ta­tion capi­ta­liste ou encore les pré­ju­gés de la socié­té bour­geoise. Dès lors qu’on ne me retour­nait pas les exem­plaires envoyés, je ne pou­vais dou­ter — étant don­né les des­ti­na­taires — de l’in­té­rêt qu’y por­taient ceux qui gar­daient l’en-dehors. J’es­time, en effet, qu’un mili­tant qui reçoit trois numé­ros suc­ces­sifs d’une feuille comme la nôtre, sans la retour­ner, a l’in­ten­tion de s’y abon­ner. Je répète que pour les abon­ne­ments à l’es­sai je ne m’a­dresse pas, en géné­ral, à des incon­nus, mais à des per­sonnes au cou­rant de toutes les dif­fi­cul­tés que ren­contre pour sub­sis­ter et résis­ter un organe parais­sant à inter­valles irré­gu­liers, qui ne fait aucune publi­ci­té payée, dont le rédac­teur prin­ci­pal — peu importe le titre attri­bué à celui qui en a assu­mé la publi­ca­tion — n’é­marge à aucune caisse publique ou privée.

J’es­time qu’a­près avoir oeu­vré plus de vingt ans — et peu me chaut qu’on m’ac­cuse ou non de ren­gaine — sans jamais avoir tou­ché un sou pour le labeur intel­lec­tuel que j’ai four­ni ― de l’ère nou­velle à l’en dehors — je me trouve en situa­tion jus­ti­fiée de deman­der aux anar­chistes, liber­taires, com­mu­nistes, socia­listes ou autres en révolte contre les mal­pro­pre­tés quo­ti­diennes de la bour­geoi­sie, de m’a­ver­tir, par un refus ou une carte illus­trée qui coûte deux sous d’af­fran­chis­se­ment, qu’ils ne veulent pas ou plus rece­voir, le pério­dique que j’édite.

Au bout de quelque temps — d’un trop long temps — j’en­voie une carte pos­tale à ceux de nos des­ti­na­taires qui n’ont pas encore don­né signe de vie. Je leur demande soit de m’en­voyer le mon­tant de leur abon­ne­ment, soit de me retour­ner les exem­plaires qu’ils ont reçus afin que je les fasse cir­cu­ler. Trop sou­vent, beau­coup trop sou­vent, je ne reçois rien ; ils ne me répondent pas ; ils ont dis­po­sé des jour­naux qui leur ont été envoyés sans les payer. Par­mi les auteurs de ce geste, qui n’a vrai­ment rien d’hé­roïque, il y a des indi­vi­dua­listes et des com­mu­nistes liber­taires ; des hygié­nistes, natu­ristes, végé­ta­liens, végé­ta­riens, etc.; des révo­lu­tion­naires, des fonc­tion­naires de syn­di­cats, des membres rouges ou non de l’en­sei­gne­ment, des par­ti­sans d’une langue inter­na­tio­nale. Une belle salade quoi !

À cer­tains d’entre eux que je connais per­son­nel­le­ment ou par renom­mée, je me réserve de faire pré­sen­ter une quit­tance de recou­vre­ment pos­tal du met­tant de ce qu’ils nous doivent. Pour ces sélec­tion­nés d’entre les sélec­tion­nés, je tiens à savoir jus­qu’où ils pous­se­ront leur désin­vol­ture ou leur négligence. 

Il y a aus­si l’a­bon­né de six mois dont j’at­tends le renou­vel­le­ment — celui-là qui sait fort bien, et par expé­rience, quelles luttes il faut à une feuille comme celle-ci pour sur­vivre. Il y a le dépo­si­taire qui laisse s’ac­cu­mu­ler les retards. Cite­rai-je celui-ci, du Sud-Ouest, à qui, après entente, j’ai adres­sé constam­ment 25 exem­plaires de l’en dehors, chaque fois qu’il a paru et qui ne m’a pas envoyé un cen­time. Cama­rade, la der­nière fac­ture de l’im­pri­meur s’é­lève à 533 francs.

J’in­siste et je pré­tends qu’entre cama­rades qu’u­nit tout au moins un cer­tain nombre d’as­pi­ra­tions com­munes, pareille mufle­rie n’est pas de mise. J’in­siste pour ame­ner éman­ci­pés et conscients orga­ni­sés ou inor­ga­ni­sés à faire montre d’as­sez de conscience pour aver­tir qu’on cesse de leur envoyer une feuille du genre de la nôtre dès lors qu’ils ne sont pas déci­dés à en payer le coût. C’est de l’é­du­ca­tion tout élé­men­taire que cette insistance. 

Un bon cama­rade que je connais gagnait sa vie à col­por­ter un livre trai­tant de la gué­ri­son des mala­dies par les simples, volume qu’il lais­sait quelques heures chez des par­ti­cu­liers — petits employés, ména­gères — bref des « incons­cients. » Il allait ensuite le recher­cher et si on n’en vou­lait pas, on le lui ren­dait et tout était dit. Il y a de braves copains, conscients ceux-là ― et com­ment ! — qui n’hé­sitent pas à gar­der sans payer huit, dix numé­ros suc­ces­sifs de l’en dehors, ce qui forme un volume de 256 à 326 pages for­mat petit in-16. Il y a un mot pour qua­li­fier cette façon de conce­voir les rap­ports entre amis ou cama­rades de même opi­nion. Je ne veux pas l’employer pour cette fois.

E. A.

La Presse Anarchiste