La Presse Anarchiste

L’homosexualité relativement à la société

Le der­nier n° de l’en dehors ren­ferme une petite note concer­nant deux pério­diques alle­mands qui pour­suivent l’a­bo­li­tion des lois de ce pays (ain­si que d’autres États) qui font un délit de la pra­tique de l’ho­mo­sexua­li­té entre hommes (car de l’ho­mo­sexua­li­té pra­ti­quée entre les femmes, les lois ne s’oc­cupent, au moins à ma connais­sance, nulle part, ni ne la punissent).

Comme E. Armand n’a­joute presque aucun com­men­taire à cette petite note, je serais bien aise que les lec­teurs de l’en dehors connaissent l’o­pi­nion que j’ai expri­mée depuis de longues années sur cette ques­tion, et qui offre, je crois, une solu­tion très simple au pro­blème de l’ho­mo­sexua­li­té, solu­tion qui satis­fait tous ceux qui pensent que le bien le plus pré­cieux, c’est la liber­té.

Quand j’ai pra­ti­qué comme spé­cia­liste des mala­dies sexuelles, il me fut don­né d’a­voir affaire de temps en temps à des homo­sexuels, et d’être consul­té exprès par cer­tains de ces anor­maux, qui vou­laient être débar­ras­sés de leur ano­ma­lie. Je fus ain­si conduit à étu­dier tout spé­cia­le­ment la men­ta­li­té et les mœurs de ces per­sonnes. De pareilles études ont été d’ailleurs faites par Krafft Ebing en Alle­magne, Have­lock-Ellis en Angle­terre et d’autres méde­cins, mais je n’en par­le­rai pas ici. D’une manière géné­rale, on peut divi­ser les homo­sexuels en deux catégories:les homo­sexuels de nais­sance (chez les­quels, lors­qu’on sera arri­vé à dis­tin­guer le centre céré­bral rela­tif à la vie sexuelle, on trou­ve­ra sans doute que ce centre est consti­tué chez l’homme homo­sexuel comme il doit l’être chez la femme nor­male, et chez la femme homo­sexuelle comme il doit l’être chez l’homme nor­mal) et ceux qui ne sont que des pseu­do-homo­sexuels, c’est-à-dire que nés nor­maux, ils ne sont deve­nus tels que par suite d’ha­bi­tudes et de cir­cons­tances défavorables.

Je fus le pre­mier méde­cin à émettre cette expli­ca­tion des phé­no­mènes si sur­pre­nants de l’ho­mo­sexua­li­té et l’ex­pé­rience de ma pra­tique en Confir­ma l’exac­ti­tude, car jamais aucun trai­te­ment ne m’a don­né le moindre résul­tat chez les homo­sexuels de nais­sance, tan­dis que chez les pseu­do- homo­sexuels j’ar­ri­vais avec plus ou moins d’ef­forts à réédu­quer leur men­ta­li­té pervertie.

Chez les pseu­do-homo­sexuels, il existe presque tou­jours le désir d’être nor­maux, tan­dis que chez les homo­sexuels de nais­sance, ce désir, s’il existe, n’est jamais qu’un regret d’être pla­cés en marge de la socié­té et expo­sés aux dan­gers résul­tant des conti­nuels essais de chan­tage ou de pour­suites cri­mi­nelles, car je pra­ti­quais en Dane­mark, où existent en cette matière les mêmes lois qu’en Allemagne.

Dans l’an­cienne Grèce, le pays qui, sous tant de rap­ports, peut consti­tuer le type d’une civi­li­sa­tion remar­quable — mais sur­tout au point de vue esthé­tique et d’un idéal de vie heu­reuse ― la pra­tique de l’ho­mo­sexua­li­té fut, comme on sait, lais­sée sans entrave aucune, et les Grecs ne s’en por­taient pas plus mal pour cela.

Voi­ci le remède aux maux, qu’ils soient réels ou ima­gi­na­tifs, de l’ho­mo­sexua­li­té — la liber­té. Que la socié­té soit orga­ni­sée de telle façon que la satis­fac­tion du désir sexuel puisse avoir lieu depuis l’âge où ce désir se mani­feste, c’est‑à dire long­temps avant que le corps soit arri­vé à son déve­lop­pe­ment défi­ni­tif, et l’o­na­nisme — ce ter­rible fléau ― avec son accom­pa­gne­ment, la débi­li­té sexuelle : état presque tou­jours défi­ni­tif et ingué­ris­sable et qui a rui­né tant d’exis­tences, les pri­vant des jouis­sances sexuelles — n’exis­te­ra plus, ni la pseu­do-homo­sexua­li­té, pro­ve­nant presque tou­jours de la même source : la pri­va­tion des rap­ports sexuels pen­dant l’adolescence.

Il est scien­ti­fi­que­ment indis­cu­table — et c’est ce qu’in­dique la nature — que les rap­ports sexuels sont légi­times, quel que soit l’âge des indi­vi­dus, quand l’a­do­les­cent peut pro­créer et la jeune fille deve­nir enceinte.

Ceci est tel­le­ment évident que mal­gré l’hy­po­cri­sie qui règne en maî­tresse dans le domaine de la vie sexuelle offi­cielle, (car par­tout, en secret, on déso­béit aux lois dic­tées par cette hypo­cri­sie) cer­tains États de l’A­mé­rique du Nord, par exemple, pays puri­tain par excel­lence, ont cepen­dant abais­sé l’âge légal du mariage à qua­torze ans pour l’homme et douze ans pour la femme.

La socié­té actuelle est à l’en­vers sous bien des rap­ports : celui qui vit dans le plus grand luxe ne tra­vaille pas et celui qui est dans la gêne tra­vaille le plus dure­ment. En matière sexuelle, est consi­dé­ré comme « immo­ral » ce qui peut contri­buer à rendre la vie agréable et heu­reuse, c’est-à-dire la jouis­sance sexuelle. Mais pour que la liber­té de la vie sexuelle puisse être com­plète, il faut de toute néces­si­té que l’exis­tence maté­rielle soit garan­tie et ce sera tou­jours ce but qui domi­ne­ra toute l’é­vo­lu­tion sociale jus­qu’à ce qu’il soit atteint — car de la garan­tie de l’exis­tence maté­rielle dépend toute digni­té humaine.

Du reste, les rap­ports sexuels chez les ani­maux ont tou­jours lieu long­temps avant le déve­lop­pe­ment com­plet de l’individu.

Tôt ou tard seront abo­lies toutes les lois qui entravent la liber­té entière des rap­ports sexuels, et cela au plus grand pro­fit, non seule­ment de la jouis­sance de vivre, dont il est absurde de contra­rier aucun fac­teur ou de lais­ser pas­ser aucune occa­sion, mais aus­si au pro­fit de la sélec­tion humaine qui, alors seule­ment, se fera sans entraves ; l’at­trac­tion mutuelle jouant uni­que­ment, tout bas et vil motif étant exclu.

Dans un état sem­blable de par­faite liber­té, les homo­sexuels seraient natu­rel­le­ment aus­si libres de vivre sui­vant leurs goûts, et alors on ver­rait dimi­nuer de plus en plus cette pra­tique, car actuel­le­ment les homo­sexuels — même dans les pays où elle est punie comme un crime — se marient pour éga­rer les soup­çons qui pèsent sur leur tem­pé­ra­ment. Ain­si, ils per­pé­tuent leur ano­ma­lie. Mais dans une socié­té où l’ho­mo­sexua­li­té ne serait plus mépri­sée, les homo­sexuels pré­fé­re­raient vivre unis avec un homo­sexuel de leur propre sexe et par consé­quent ne pro­crée­raient pas.

Comme je le sup­pose, l’ho­mo­sexua­li­té ne pour­ra en aucune manière être consi­dé­rée comme un avan­tage, on voit donc qu’i­ci, comme en toute chose se rap­por­tant à la vie sexuelle, la liber­té est l’u­nique remède.

Dr A Robertson-Proschowsky.

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