La Presse Anarchiste

Bibliographie

Cla­vel sol­dat, par L. Werth [[Un volume, 4 fr.50 chez Albin Michel]]. – Cla­vel est un de ces anar­chistes lit­té­raires comme il y en a tant. Sur­pris par la guerre, il se trouve tout à fait déso­rien­té, et suit le courant.

À la suite de « la masse », il com­prend – ou croit com­prendre – que l’a­gres­sion alle­mande n’est pas seule­ment une menace à la « Patrie », mais une menace à la civi­li­sa­tion entière. Il entre­voit vague­ment que la vic­toire alle­mande ne serait pas un simple chan­ge­ment maîtres, mais une aggra­va­tion de notre exploi­ta­tion poli­tique et éco­no­mique à laquelle tout homme sen­sé doit résister.

Puisque la guerre n’a pu être empê­chée, cette guerre doit être la fin des guerres. Ce doit être la der­nière des guerres. Et pour prou­ver la valeur de son anti­mi­li­ta­risme, il s’engage.

Mais, peu à peu, il s’aperçoit que l’es­prit des chefs n’est pas chan­gé, que leur mili­ta­risme vaut, ou plu­tôt, ne vaut pas mieux que le mili­ta­risme alle­mand. Quant aux simples « gri­biers », ils sont aus­si bes­tiaux et pillards que les Alle­mands, n’at­ten­dant nul­le­ment d’être en pays enne­mi pour piller et ran­çon­ner par où ils passent.

Cette guerre, que si jus­te­ment on a appe­lé une guerre d’u­sure, se pro­lon­geant, for­çant les com­bat­tants pen­dant des jours, des semaines, à res­ter immo­biles dans les tran­chées, finit par peser sur le moral des sol­dats. L’en­nui, lourd, oppres­sant, dépri­mant des­cend peu à peu sur les indi­vi­dus, leur ôtant toute per­son­na­li­té, les ava­chis­sant dans le train-train journalier.

Cla­vel finit par s’a­per­ce­voir que le meilleur moyen de tuer la guerre n’est pas de la faire. Que ceux qui s’en­tre­tuent feraient bien mieux de sa ser­rer la main et de lais­ser leurs maîtres vider leurs petits dif­fé­rends comme ils l’entendraient.

Pour démon­trer l’ab­sur­di­té de la guerre, son atro­ci­té, le livre de Werth est admi­rable. À ce point de vue, il n’y a que des éloges à lui faire. Seule­ment, je ne sais si je me trompe, il me semble qu’il a vou­lu prou­ver davan­tage. Il fait fausse route, et cela nous gâte le reste du livre.

Il nous démontre l’in­ca­pa­ci­té des gou­ver­nants alliés, les fins égoïstes de leur poli­tique qui, en bien des cas, est toute aus­si impé­ria­liste que celle de l’Al­le­magne. Cela est indis­cu­table, cela est bien.

Mais lors­qu’il cherche à nous api­toyer sur les pauvres Alle­mands, de pauvres diables qui ne sont pas res­pon­sables de la méga­lo­ma­nie de leurs maîtres, je demande à faire quelques restrictions.

Si ces pauvres « inno­cents », ces « blancs agneaux » étaient res­tés chez eux, je n’au­rais rien à objec­ter. Mais lors­qu’ils se laissent mettre un fusil dans les pattes, et se pré­ci­pitent, par mil­lions, chez nous pour nous faire goû­ter les charmes de leur « kul­tur », il me semble que leur robe d’in­no­cence à subi un rude accroc. Et je com­prends que ceux qui sont mena­cés, se dressent pour résister.

« Il aurait pu se fait, que, par la volon­té de nos maîtres, ce soit nous qui aurions été lan­cés à l’as­saut de chez eux ! »

Cela est fort pos­sible. Je n’en sais rien. En ce cas, c’est nous qui aurions eu tort, et ce sont eux qui auraient eu rai­son de nous résister.

Quel­qu’un a dit « que, pour se battre, il fal­lait être au moins deux ». Cela est vrai dans le sens qu’il faut bien qu’il y en ait au moins un pour rece­voir les coups, s’il y en a un pour les don­ner. Mais dans une socié­té d’in­di­vi­dus ou de nations, il suf­fit qu’il y en ait un de réso­lu à se battre pour déclen­cher la guerre, tant que ceux qui l’a­bo­minent ne seront pas assez intel­li­gents pour s’u­nir en un fais­ceau assez fort pour faire réflé­chir à deux fois ceux qui ne rêvent que plaies et bosses.

Et cela veut dire aus­si que, à moins de méri­ter le licou qu’on vou­drait leur mettre, les peuples mena­cés seront bien for­cés de se défendre tant qu’il n’exis­te­ra pas une entente entre eux pour empê­cher le retour de la folie sanglante.

Si le livre de M. Werth m’ins­pire ces réflexions, c’est que, en plus des pas­sages aux­quels je fais allu­sion ci-des­sus, son roman se ferme sur le cri d’une mère dont la fils a été tué :

« Pour qu’il ne soit pas mort, je don­ne­rais la France et l’Allemagne ! »

Je com­prend très bien le cri du « cœur » de cette pauvre mère, mais ce que je ne com­prends pas, c’est que cela nous soit don­né comme conclusion.

Cela peut être la conclu­sion d’un indi­vi­dua­liste, pas de ceux qui se réclament d’une idée sociale. Quel que soit l’an­ta­go­nisme qui puisse exis­ter entre les dif­fé­rentes classes sociales, quelles que soient leurs dif­fé­rences d’in­té­rêts, il y a des cata­clysmes qui ne peuvent atteindre les uns sans se réper­cu­ter sur les autres, contre les­quels « tous » doivent résis­ter, sous peine de voir s’empirer leur propre situation.

Cela me confirme cette réflexion que, depuis long­temps, je me suis déjà faite, c’est qu’il faut se méfier de la lit­té­ra­ture et des lit­té­ra­teurs. Plus elle est exer­cé avec talent, plus elle est dangereuse.

J. Grave

Correspondance

D, rue C, à Paris. – Je ne puis pas­ser mon temps à res­sas­ser les argu­ments que j’ai four­nis pen­dant pris de cinq ans. Vous n’êtes pas convain­cu, je le regrette. Je ne puis consta­ter que ceci : « J’a­vais jusque-là eu l’illu­sion que les anar­chistes étaient des indi­vi­dus exempts de pré­ju­gés, de dogmes et de par­ti-pris ; sachant juger par eux-mêmes. Les évé­ne­ments qui viennent de se dérou­ler m’ont démon­tré qu’une grande par­tie d’eux étaient aus­si sec­taires, aus­si dog­ma­tiques que des mar­xistes et que, pour eux, les for­mules et les idées toutes faites l’emportent sur les faits.

J.G.

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