La Presse Anarchiste

Le mensonge du « protectionnisme »

Pour je ne sais quelle rai­son, la ques­tion du « Pro­tec­tion­nisme » ou du « Libre-échange » ne semble inté­res­ser que peu de monde en France. Pas assez pour avoir quelque influence sur la poli­tique finan­cière de nos maîtres politiques.

Dans les batailles élec­to­rales, on met toutes sortes de réformes en avant — bonnes ou mau­vaises, cela, c’est une autre ques­tion —. On demande aux can­di­dats s’ils sont monar­chistes, impé­ria­listes ou répu­bli­cains ? S’ils sont conser­va­teurs, libé­raux, socia­listes, radi­caux ou « Par­tis ouvriers », que sais-je ! mais, jus­qu’i­ci, il me semble que l’on s’in­quiète fort peu de deman­der au can­di­dat, s’il est pour une poli­tique « pro­tec­tion­niste » ou « libre-échangiste » ?

Si cer­tains can­di­dats l’ont insé­ré dans leur pro­gramme, — tout est pos­sible — je n’ai pas vu qu’il se soit enga­gé, là-des­sus, de bataille d’au­cune importance.

Il existe bien une « Ligue du Libre-Échange » [[Adres­ser les com­mu­ni­ca­tions à M.. Lesport, 44, rue de Rennes]], mais elle fait si peu par­ler d’elle que son action passe tout à fait inaperçue.

Et cepen­dant, elle publie des choses inté­res­santes qui pour­raient faire réflé­chir le public s’il se don­nait la peine de les lire, et lui faire com­prendre com­ment on le berne en détour­nant son atten­tion sur des ques­tions qui ne peuvent qu’ac­cen­tuer ses divisions.

La ques­tion du « Pro­tec­tion­nisme » ou du « Libre-Échange » est une ques­tion de vie chère ou à meilleur mar­ché ! C’est une ques­tion qui, si le public était moins bête, devrait unir dans la même réponse, les gens de toutes classes et de toutes situa­tions. Tout le monde veut vivre au meilleur mar­ché pos­sible : c’est-à-dire, se pro­cu­rer ce dont il a besoin, au plus bas prix pos­sible ; qua­li­tés égales bien entendu.

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Aux temps féo­daux, les bri­gands qui étaient les maîtres de la terre et du bétail humain qu’ils étaient par­ve­nus à sub­ju­guer, lors­qu’ils ne se conten­taient pas de piller pure­ment et sim­ple­ment voya­geur, avaient ins­ti­tué des droits de péage que devaient payer les mar­chan­dises qui pas­saient par les voies de com­mu­ni­ca­tions qu’ils arri­vaient à commander.

Dire, que ça faci­li­tait le com­merce et les échanges, ça serait peut-être, s’a­van­cer à la légère.

En tous cas, c’é­tait un moyen un peu pri­mi­tif. Le baron féo­dal, cui­ras­sé, cas­qué, a dis­pa­ru. Le monde s’é­tant « civi­li­sé », les maîtres de l’heure pré­sente s’ha­billent comme tout le monde. Le droit du « bon plai­sir » étant, plus ou moins dis­cu­table… et dis­cu­té, on a trou­vé un moyen beau­coup plus com­mode de « tondre » le public, c’est de lui faire sanc­tion­ner les mesures qui doivent extraire son argent de sa poche sans qu’il s’en aperçoive.

Et le « pro­tec­tion­nisme » est un des moyens, que les barons de la Finance et de l’In­dus­trie, qui ont rem­pla­cé les barons féo­daux, ont trou­vé pour voler le public, sans ris­quer la Cour d’As­sises, où ils seraient cer­tai­ne­ment envoyés, s’ils s’a­vi­saient de récla­mer, sur les routes, un droit de péage, à la pointe de l’é­pée, ou de la dague.

Aujourd’­hui, le Peuple est sou­ve­rain ! c’est-à-dire il a le droit de choi­sir ceux qui feront les lois aux­quelles il devra obéir, qui déci­de­ront de ce qu’il doit payer. De quoi pour­rait-il se plaindre ?

Et voi­là pour­quoi nous sommes « pro­té­gés » en France. Voi­là aus­si pour­quoi, quoique pays d’a­gri­cul­ture et d’in­dus­trie, nous payons beau­coup plus cher les pro­duits agri­coles et indus­triels que les pays non « pro­té­gés » qui, par­fois, peuvent être moins favo­ri­sés que nous, soit au point de vue agri­cole, soit au point de vue indus­triel ou même de climat.

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Jus­qu’i­ci, l’An­gle­terre avait échap­pé à la mala­die du « pro­tec­tion­nisme », mais la guerre qui a bou­le­ver­sé tant de choses, ne va-t-elle pas, ici, lui faire un pas en arrière ? On a déjà com­men­cé. Et le mal, c’est que cela aura sa réper­cus­sion en France, en don­nant des armes aux pro­tec­tion­nistes, sous pré­texte de « réci­pro­ci­té », et qu’au lieu d’es­pé­rer la dis­pa­ri­tion de cette forme d’ex­ploi­ta­tion, nous la ver­rons s’af­fir­mer plus que jamais ; d’au­tant plus que c’est un moyen si com­mode pour les gou­ver­nants de prendre de l’argent aux contri­buables sans qu’ils s’en aper­çoivent, puisque l’im­pôt s’in­cor­pore au prix d’a­chat. Et, pour payer les sommes effroyables qu’au­ra coû­tées la guerre insen­sée qui ago­nise, les gou­ver­nants seront entrai­nés à faire flèche de tous bois. Tondre le contri­buable sans qu’il s’en aper­çoive est un de leurs moyens préférés.

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En Angle­terre, le libre-échan­gisme était, sur­tout, repré­sen­té par les libé­raux ; mais l’at­ti­tude idiote de ces der­niers, — ain­si que du Labor Par­ty — pen­dant la guerre, leur désir évident de « com­po­ser » avec l’a­gres­seur ; ce qui les fai­saient par­ler — et agir — sinon comme des pro-alle­mands, tout au moins comme leurs « excu­seurs », si je puis employer ce néo­lo­gisme, a eu le résul­tat qu’ils méri­taient, et qu’ils auraient dû pré­voir, s’ils avaient eu un peu de jugeote. Aux élec­tions, la plu­part de leurs membres qui avaient tenu cette atti­tude sont res­tés sur le carreau.

Il n’y aurait rien à regret­ter, si cela n’a­vait cet autre résul­tat : le triomphe des « Unio­nistes », c’est-à-dire des conser­va­teurs, par­ti­sans, pour la plu­part, du « protectionnisme ».

Et comme il existe par­mi les colo­nies anglaises, avec l’Aus­tra­lie et son « Pre­mier », M. Hugues en tête, un fort cou­rant d’in­té­rêts vou­lant créer, pour l’An­gle­terre et ses colo­nies, une pre­mière zone de douane ; une seconde entre les Alliés avec des tarifs se pré­fé­rence, nous avons tout à craindre ; d’au­tant plus que, si ceux qui devraient se remuer pour résis­ter à une forme de bri­gan­dage qui, pour être légale, n’en est pas moins du bri­gan­dage, res­tent inertes ; les « pro­tec­tion­nistes », eux, sont très actifs.

En France, nous ne sommes pas mieux situés. Socia­listes et révo­lu­tion­naires, au cours de la guerre se sont conduits comme des andouilles. Ou ils se sont mis pla­te­ment, à la remorque du gou­ver­ne­ment, sans avoir su exi­ger les mesures qui auraient du mettre — dans les limites du pos­sible, tout au moins — la popu­la­tion à l’a­bri du bri­gan­dage des agio­teurs et exploi­teurs de la situa­tion ; ou, comme le « Labor Par­ty » et les libé­raux anglais se sont refu­sé de voir la vraie signi­fi­ca­tion de l’a­gres­sion alle­mande, et se sont fait les apôtres d’une conci­lia­tion impos­sible, menant une cam­pagne qui, qu’ils en aient eu conscience ou non, ne pou­vait que pro­fi­ter à l’a­gres­seur et se sont, par là, alié­né l’o­pi­nion publique — qu’ils peuvent bien inju­rier, mais qui fut plus clair­voyante qu’eux, en ce qui concerne le dan­ger que com­por­tait la vic­toire alle­mande, tout au moins.

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Dévoyés par ce que les mar­xistes appellent le « maté­ria­lisme » de l’his­toire, mais n’est qu’une « défor­ma­tion », qu’ils tentent, de l’his­toire, syn­di­ca­lisme et socia­lisme se montrent impuis­sants à rien conce­voir, à rien construire.

L’a­nar­chisme, sans tom­ber com­plè­te­ment dans le « godan » de la « lutte de classes » qui conduit à la « dic­ta­ture de classe », la dic­ta­ture de la classe ouvrière, ne sut pas s’y sous­traire com­plè­te­ment. Nous voyons, aujourd’­hui, nombre de nos cama­rades, que nous aurions pu croire plus intel­li­gents, se pâmer d’ad­mi­ra­tion devant le régime bol­che­vik, qui n’est qu’une atroce défor­ma­tion de nos idées d’é­ga­li­té, de liber­té et d’é­man­ci­pa­tion économique.

La classe ouvrière étant la plus exploi­tée, la plus oppri­mée, est plus que toute autre inté­res­sée à la dis­pa­ri­tion du régime qui l’op­prime ; cela ne lui donne pas le moindre droit de sub­sti­tuer son auto­ri­té à celle qui doit disparaitre.

La liber­té et 1e bien-être pour tous, voi­là ce que nous réclamons.

Ce sont les fausses concep­tions sur la façon dont doit se faire l’é­man­ci­pa­tion humaine, qui sont venues jeter la confu­sion dans les rangs socia­listes et ouvriers ; qui ont ame­né cer­tains d’entre eux à jouer un rôle équi­voque dans des cir­cons­tances qui deman­daient que l’on fit, pour un moment, abs­trac­tion de cer­taines récla­ma­tions, légi­times sans doute, mais intem­pes­tives, pour faire face à un péril plus pres­sant ; démon­trant, en ces cir­cons­tances, qu’ils étaient aus­si égoïstes, aus­si insou­ciants du bien com­mun que les « bour­geois » qu’ils pré­tendent remplacer.

La lutte contre l’a­gres­sion alle­mande, évi­dem­ment, ne nous affran­chis­sait pas de nos propres maîtres, elle ne nous appor­tait pas, direc­te­ment, tout au moins, une aug­men­ta­tion de salaire, ni une dimi­nu­tion des heures de tra­vail. « Droit, Jus­tice, Éman­ci­pa­tion humaine ! Des mots ! les tra­vailleurs ne doivent pas se battre pour des mots ! »

Et cepen­dant, si dans les géné­ra­tions pas­sées, il ne s’é­tait trou­vé per­sonne pour s’emballer pour ce qui n’é­tait, alors, que des idées, des mots ! nous crou­pi­rions encore dans l’es­cla­vage abso­lu, dans l’i­gno­rance crasse, sans même le désir d’en sortir.

C’est parce que dans les temps pas­sés des hommes sur­ent se battre pour des idées, « pour des mots » ! sans s’in­quié­ter si eux-mêmes ver­raient leur réa­li­sa­tion, que s’est fait le pro­grès humain ; que, si nous savons le vou­loir, nous pou­vons nous ins­truire, que notre sort maté­riel, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, s’est tout de même amé­lio­ré ; que l’ou­vrier, quoique son logis laisse encore fort à dési­rer, ne loge tout de même plus dans un tau­dis ; qu’il n’est plus for­cé de tra­vailler des quinze et seize heures par jour, et peut, dans une cer­taine mesure, dis­cu­ter avec ses employeurs.

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Pour en reve­nir au « Libre-Échange », jus­te­ment, c’est une de ces mesures qui béné­fi­cie­rait à toutes les classes de la socié­té, sauf quelques mil­liers de sang­sues qui, par le « Pro­tec­tion­nisme », ont trou­vé le moyen de tour­ner l’as­so­cia­tion à leur seul profit.

Ils pré­tendent :

  1. Ache­tant le moins pos­sible à l’é­tran­ger, c’est un moyen de s’en­ri­chir„ puisque nous gar­dons notre argent. Par consé­quent, c’est tout indi­qué d’ap­pli­quer des droits d’en­trée sur les mar­chan­dises étrangères ;
  2. Le « Pro­tec­tion­nisme » pro­fite indi­rec­te­ment aux tra­vailleurs, en per­met­tant aux patrons de payer de meilleurs salaires.

Autant d’af­fir­ma­tions, autant de mensonges.

Il y a deux ou trois siècles, lorsque les hommes les plus éclai­rés n’a­vaient que de vagues notions d’é­co­no­mie poli­tique ou sociale ; lors­qu’on attri­buait la toute-puis­sance à l’or, à la mon­naie, on pou­vait sin­cè­re­ment croire qu’un pays se rui­nait lors­qu’il ache­tait à l’é­tran­ger pour plus qu’il ne vendait.

Mais le com­merce n’est pas le seul mode de cir­cu­la­tion des capi­taux. Aujourd’­hui que l’on sait mieux, aujourd’­hui que nous avons sous les yeux l’exemple des pays libre-échan­gistes, comme l’An­gle­terre entre autres, dont l’ex­cès des impor­ta­tions se chiffre en mil­liards sur les expor­ta­tions, et où, cepen­dant, la richesse conti­nue de s’ac­croître, il n’est plus per­mis de rai­son­ner ainsi.

Quant aux pays pro­té­gés, ils n’ont pas été rui­nés, il est vrai, mais la soi-disant « pro­tec­tion » n’a pu empê­cher que les impor­ta­tions excèdent les expor­ta­tions. On s’est conten­té, seule­ment, d’en­tra­ver l’une et l’autre ; d’empêcher que le com­merce s’y déve­loppe aus­si vite et aus­si lar­ge­ment que dans les pays libre-échan­gistes, arrê­tant, éga­le­ment – c’é­tait une consé­quence fatale – le pro­grès de la richesse, et aug­men­tant le coût de la vie.

Voi­ci des chiffres que je puise dans un livre très inté­res­sant, sur cette ques­tion, de Mr Schelle [[ Le Bilan du Pro­tec­tion­nisme en France, I vol. 2 fr., chez Alcan.]], qui s’ap­puie sur les sta­tis­tiques officielles.

Pour la période de 1894 – 1908, le com­merce géné­ral d’An­gle­terre a aug­men­té de 41 %; celui de la Bel­gique, de 75 %; celui des Pays-Bas, de 100 %. Ce sont des pays non protégés.

Par contre, en France, pays « pro­té­gé », son com­merce géné­ral n’a aug­men­té que de 29 %.

Pour la même période, le com­merce spé­cial — l’au­teur n’ex­plique pas ce qu’il entend sous cette déno­mi­na­tion — des pays de fran­chise, aug­men­tait, pour la Bel­gique, de 65 % pour les expor­ta­tions ; de 109 % pour les impor­ta­tions des Pays-Bas, et de 91 % pour les exportations.

En France, l’aug­men­ta­tion des impor­ta­tions était de 18 % seule­ment et de 41 % pour les exportations.

Voi­là pour la pro­tec­tion du com­merce en général.

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Quant à l’in­fluence du « Pro­tec­tion­nisme » sur le coût de la vie, elle est indé­niable. J’au­rais de quoi rem­plir ce numé­ro avec des exemples ; mais je m’en tien­drai aujourd’­hui à l’exemple du blé.

Ce qui sert à dérou­ter une foule de gens, c’est qu’ils s’i­ma­ginent que les droits de douane étant posés sur des mar­chan­dises étran­gères, ce sont les pro­duc­teurs ou com­mer­çants étran­gers qui les paient. C’est une gros­sière. erreur. Ils n’en font même pas l’a­vance ; ou, s’ils paient les droits de douane au départ, ils les portent sur la fac­ture qui sera envoyée au destinataire.

Les mar­chan­dises envoyées de l’é­tran­ger en France, quelle que soit la natio­na­li­té du com­mer­çant qui les reçoit, sont pour être ven­dues en France, à des consom­ma­teurs fran­çais par conséquent.

Il va de soi, encore, que ce mar­chand qui a payé — ou rem­bour­sé — les droits de douane, les fera entrer en compte dans le prix de revient de la mar­chan­dise pour laquelle il les a payés. En fin de compte, c’est donc bien le consom­ma­teur fran­çais qui paie.

Mais le pis, c’est que les indus­triels fran­çais qui pro­duisent les mêmes objets, se sen­tant « pro­té­gés » contre la concur­rence étran­gère, ne feront rien pour amé­lio­rer leurs méthodes de pro­duc­tion, s’ils n’ar­rivent pas à pro­duire aus­si bon mar­ché que leurs concur­rents du dehors. Les- droits d’en­trée sont là pour réta­blir l’é­qui­libre. Et s’ils pro­duisent aus­si bon mar­ché que l’in­dus­triel étran­ger, les droits de douane leur per­mettent de majo­rer de ce qu’ils veulent — jus­qu’à concur­rence des dits droits — leurs propres produits.

Qui est-ce qui paie ? Le consom­ma­teur fran­çais. Ain­si, pre­nons le blé, par exemple :

Je cite d’a­près Mr Patu­rel [[ Le Pro­tec­tion­nisme et le coût de la vie dans les familles ouvrières, une broch., au Jour­nal des Éco­no­mistes, 108, bou­le­vard Saint-Ger­main.]] qui, lui-même, cite. d’a­près Y. Guyot ou d’a­près Scheller.

Le blé est gre­vé, à son entrée en France, d’un droit « pro­tec­teur » de 7 francs par quin­tal. Selon que la récolte a été bonne, médiocre ou mau­vaise, il grève le consom­ma­teur fran­çais de 600 à 945 mil­lions par an [[C’est-à-dire de 15 à 23 francs par tête, de 75 à 125 francs pour une famille de 5 per­sonnes. C’est assez coquet.]], qui vont s’en­gouf­frer dans la poche de quelques mil­liers de gros pro­prié­taires, ou intermédiaires.

Comme mesure fis­cale, c’est le comble de l’in­sa­ni­té. Elle ne rap­porte au fisc que lorsque la récolte étant en défi­cit, venant, ain­si, ajou­ter à la gêne et à la misère.

Lorsque la récolte a été bonne ou moyenne, on importe peu on presque pas de blé. La douane encaisse peu ; mais les gros fer­miers et leurs inter­mé­diaires, eux, empochent les 7 francs par quin­tal qu’au­raient à payer ceux qui vou­draient pro­fi­ter du meilleur mar­ché du dehors.

« Mais », disent les pro­tec­tion­nistes, « si nos agri­cul­teurs n’é­taient pas « pro­té­gés » contre les pro­duc­teurs de blê et de bétail étran­gers, ce serait la ruine des 6 mil­lions de Fran­çais qui vivent de l’a­gri­cul­ture ; la ruine de notre pays » !

À cela, on peut répondre que, si ça coûte meilleur mar­ché d’a­che­ter du blé et de la viande au dehors que de les pro­duire, l’é­co­no­mie bien com­prise indique qu’il faut renon­cer à pro­duire du blé et de la viande que nous sommes for­cés de payer plus cher, pour pro­duire, culti­ver ou fabri­quer des pro­duits plus rému­né­ra­teurs. C’est l’in­té­rêt des 35 autres mil­lions de consom­ma­teurs qui l’exige.

Mais les sta­tis­tiques démontrent que, lorsque l’an­née est bonne, la pro­duc­tion fran­çaise peut sou­te­nir la concur­rence étran­gère, sans aucune espèce de pro­tec­tion. J’a­jou­te­rai même, en dépit des mau­vais effets de la protection.

J’ai avan­cé que la pro­tec­tion n’en­cou­ra­geait que l’i­gno­rance et la rou­tine. Voi­ci des chiffres à l’appui :

La France, pays pro­té­gé, pro­duit 13 quin­taux de blé à l’hec­tare ; en pays libre-échan­giste, la Bel­gique, par exemple, on en obtient 24 ; en Angle­terre, un peu plus de 23 [[Yves Guyot. — Le Libre-Échange Inter­na­tio­nal, page 13, un vol. chez Alcan, 108, bou­le­vard Saint-Ger­main.]]. Aux Pays-Bas 32, et même 38 quin­taux à l’hec­tare [[J. Pier­son – dito pages 142,43]].

Et ce défi­cit dans la culture du blé se pro­duit, en France, pour chaque espèce de culture : seigle, avoine, pommes de terre, etc., et aus­si dans l’élevage.

Donc, la « pro­tec­tion » n’est que l’ex­ploi­ta­tion de la grande masse des consom­ma­teurs au pro­fit de quelques mil­liers de pro­duc­teurs assez puis­sants pour avoir su se créer des « influences » dans les Par­le­ments et les régions gouvernementales.

J. Grave

(à suivre)

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