La Presse Anarchiste

Budget 1972 : hausse des prix et chômage, allégements fiscaux pour le capital

Après avoir été mis en forme cet été, par le min­istère de l’é­conomie et des finances, le bud­get 1972 a été déposé le 15 sep­tem­bre 1971 sur le bureau des assem­blées. Son adop­tion n’in­ter­vien­dra que fin novem­bre 1971. Nul n’est besoin d’er­got­er sur ce que seront ou ne seront pas les min­imes mod­i­fi­ca­tions que le sys­tème par­lemen­taire bour­geois pro­pose ou adopte. Ce qui reste acquis, c’est que le prochain bud­get comme du reste les précé­dents vise avant tout à col­mater et à per­pétuer l’ex­ploita­tion des mass­es ouvrières par le capital.

Une fiscalité de classe

Com­mençons au préal­able par un court rappel.

L’ensem­ble des recettes budgé­taires com­prend deux caté­gories : les recettes fis­cales et les recettes non fis­cales. La pre­mière com­prenant l’im­pôt sur le revenu (IRPP), l’im­pôt sur les sociétés (impôts sur les béné­fices), l’im­pôt à la con­som­ma­tion (TVA et autres tax­es) et enfin les enreg­istrements, les tim­bres, etc., dont les parts respec­tives dans l’ensem­ble des recettes sont actuelle­ment de 19 %, 10 %, 60 % et 5 %. La sec­onde caté­gorie représen­tant le pro­duit des entre­pris­es nation­al­isées et des ser­vices publics, pro­duit dont la part rel­a­tive­ment au total des recettes est actuelle­ment de 6 %. Or ces deux caté­gories évolueront dif­férem­ment. La pre­mière crois­sant de 9,45 %, la dernière enfin de 0,37 % (ce dernier chiffre, inférieur à la hausse des prix pour 1971 — 5,6 % — s’ex­pli­quant par la réduc­tion des sub­ven­tions aux entre­pris­es publiques prévue au VIe Plan). À com­par­er avec les 8,1 % d’aug­men­ta­tion du bud­get mil­i­taire, et on a la maxime : Les ser­vices publics doivent être rentables !

L’ensem­ble des charges budgé­taires se scinde lui aus­si en deux : charges de fonc­tion­nement, charges d’équipement. Les charges de fonc­tion­nement étant les dépens­es affec­tées au paiement des fonc­tion­naires, à la créa­tion de postes nou­veaux (!), aux sub­ven­tions des entre­pris­es publiques, etc. Les charges d’équipement (autori­sa­tion des pro­grammes) étant les investisse­ments. Après ces pré­ci­sions rébar­ba­tives mais indis­pens­ables, on peut exam­in­er le bud­get en détail.

Voyons tout d’abord les recettes.

Les charges budgétaires, tout un programme

Si le total impôt sur le revenu pro­gresse en valeur de 11,92 %, les parts acquit­tées par cha­cun évolueront dif­férem­ment. En effet, on ne peut par­ler, comme le font les per­ro­quets du cap­i­tal, de fis­cal­ité et de con­tribuables quand les uns — les tra­vailleurs — tirent leur unique revenu de leur salaire, alors que les autres — les cap­i­tal­istes égale­ment soumis au fisc — pos­sè­dent en moyenne trois ou qua­tre types de revenus (salaire, revenu com­mer­cial, revenu des actions, etc.), le salaire pro­pre­ment dit ne représen­tant que 15 à 20 % de leur revenu total. Ain­si, rien d’é­ton­nant que les « petits con­tribuables » (lire les tra­vailleurs) acquit­tent en 1972, 15 à 20 % d’im­pôts sup­plé­men­taires, par le jeu com­biné de l’élé­va­tion des revenus acquis de vive lutte, et du faible élar­gisse­ment (5 %) des tranch­es de barèmes, alors que les tit­u­laires de hauts revenus par suite de la sup­pres­sion des majo­ra­tions excep­tion­nelles insti­tuées en 1968, voit leur quote-part fis­cale aug­men­tée de 6 à 9 % seulement !

Mais ce n’est pas tout ! Les impôts indi­rects prélevés sur les alcools à bouche et le tabac aug­menteront et ce, passé la péri­ode dite de « blocage des prix » : le pro­duit de cette opéra­tion éle­vant de quelque 700 mil­lions de francs les deniers publics.

Enfin, le cadeau au patronat « nou­velle trou­vaille du bud­get bour­geois » : l’amé­nage­ment prochain de la règle du butoir. De quoi s’ag­it-il ? Sur l’in­té­gral­ité des marchan­dis­es qu’il vend à ses clients, chaque cap­i­tal­iste fac­ture la TVA et doit la revers­er à l’État. Cepen­dant, con­traire­ment aux col­lec­tiv­ités locales et aux tra­vailleurs, il a le droit d’en déduire la TVA acquit­tée à ses four­nisseurs. Or, si la TVA qu’il a lui-même ver­sée (par­ti­c­ulière­ment sur ses investisse­ments) dépasse celle fac­turée aux clients, la dif­férence ne lui est pas rem­boursée par l’État. C’est cela la « règle du butoir ». L’amé­nag­er (lire sup­primer) revient à encour­ager les investisse­ments des grandes entre­pris­es, celles qui peu­vent s’of­frir des investisse­ments mas­sifs. Cet allège­ment fis­cal, qui ne manque pas d’ex­citer M. Fer­ry, prési­dent de l’A­GREF (Asso­ci­a­tion des grandes entre­pris­es français­es) ne peut être com­pen­sée que par force tax­es sup­plé­men­taires, payées cette fois-ci par les tra­vailleurs et leurs familles (voir plus haut).

Voilà donc pour les recettes, pas­sons aux charges.

L’ex­a­m­en des charges du bud­get laisse appa­raître deux tendances :

  1. Diminu­tion pro­gres­sive du nom­bre des tra­vailleurs employés dans les ser­vices publics dont voici les chiffres pour 1968, 1971, respec­tive­ment 73.848 et 36.240 !
  2. La pro­gres­sion impor­tante des dépens­es d’équipement (13 %) rel­a­tive­ment à celles de l’ensem­ble des dépens­es budgé­taires (9,4 %). Pour éclair­er ceci rien ne vaut de citer la presse bour­geoise (« Entre­prise », n° 835 du 9-15-1971).

« Le manque de main‑d’œuvre s’est sen­si­ble­ment allégé par rap­port à 1970… mais l’é­conomie con­tin­ue à s’a­chem­iner dans une zone inter­mé­di­aire entre plein emploi et sur-emploi. » Avant de pour­suiv­re, une remar­que s’im­pose. Pour les écon­o­mistes bour­geois, plein emploi sig­ni­fie 97 % des tra­vailleurs employés, les trois pour cent restants (actuelle­ment 420.000 tra­vailleurs s’in­ti­t­u­lant « chô­mage résidu­el inélim­inable ». Par con­tre il y a sur-emploi lorsque le « chô­mage résidu­el » descend au-dessous de 3 %. Cette pré­ci­sion faite, revenons à « Entreprise ».

« Le manque d’équipement reste, lui, très vive­ment ressen­ti par les entre­pris­es, qui le citent comme le prin­ci­pal fac­teur empêchant de pro­duire davan­tage. » (Enten­dre : de piller davan­tage les tra­vailleurs.) Il ressort de la con­fronta­tion de ces extraits d’avec l’ori­en­ta­tion du bud­get, qu’en plus des allège­ments fis­caux dont ils béné­ficieront (voir la règle du butoir), les cap­i­tal­istes (dénom­més « entre­pris­es ») peu­vent se féliciter de mesures pris­es par leur tout dévoué Gis­card tant sur le plan d’un ren­force­ment du chô­mage que sur celui de l’amé­nage­ment de leur convoitise.

Quant aux tra­vailleurs, s’ils casquent en chô­mant et en voy­ant leur pou­voir d’achat régress­er, « Entre­prise » et toute la presse bour­geoise der­rière elle, ne s’en soucient guère (l’in­verse eût éton­né!). Mais dia­ble, nous allions oubli­er l’ac­croisse­ment des dépens­es mil­i­taires ! (8,1 %) dont les investisse­ments représen­tent déjà 40 % de l’ensem­ble des investisse­ments publics con­tre 2,7 %… aux affaires sociales !

Dou­tons que cette dernière mesure ne con­sole de beau­coup la classe ouvrière !

Toutes ces dépens­es devraient assur­er, aux dires du cap­i­tal et de ses com­mis, une expan­sion réelle de 5,2 % de la pro­duc­tion intérieure pour 1972. Cette dernière, paraît-il, étant déci­sive dans le mode de pro­duc­tion cap­i­tal­iste, et de l’emploi et de l’évo­lu­tion des prix. Or, ce taux d’ex­pan­sion est bien inférieur à celui fixé par le VIe Plan (6 % par an), taux seul capa­ble d’as­sur­er le « plein emploi ».

Nous con­sta­tons donc, qu’en plus des com­pres­sions d’ef­fec­tifs employées dans les ser­vices publics, généra­tri­ces de chô­mage, le taux d’ex­pan­sion choisi pour ce « nou­veau bud­get », n’est qu’un taux de chômeurs !

Cepen­dant l’a­mi Gis­card promet pour 1972 aux tra­vailleurs une pro­gres­sion de 3,9 % des prix.

Sou­venons-nous que l’évo­lu­tion des prix pour 1971 prévue à 3,5 % par le précé­dent bud­get, a dépassé 5,6 % si l’on en croit l’IN­SEE, mal­gré ses tri­pa­touil­lages d’indices.

Compte tenu et de la crise inter­na­tionale que tra­verse le cap­i­tal­isme, crise due à la fois à la dégénéres­cence de son sys­tème moné­taire (Voir « Sol­i­dar­ité Ouvrière » de sep­tem­bre) aux manœu­vres des mil­liar­daires de la spécu­la­tion pro­fes­sion­nelle (base de la libre entre­prise) et au ren­force­ment des con­tra­dic­tions économiques et sociales (crise du loge­ment et spécu­la­tion immo­bil­ière ; mis­ère des retraités et force de frappe ; chô­mage et Mirage ; hausse des prix au détail et hausse des tar­ifs publics, la bour­geoisie française se mon­tre démesuré­ment opti­miste. Et pour preuve : sa ten­ta­tive dés­espérée d’u­nité (pour six mois seule­ment!) par la mise en œuvre d’un « blocage des prix » de ses marchan­dis­es (et pourquoi pas, des salaires?) qui, pour un peu qu’on ait quelque mémoire, n’est pas la pre­mière du genre à se ter­min­er par un fias­co (voir en 1969), aux grands cris de vio­la­tion du principe — défini­tive­ment usé — de la libre entre­prise. Devant pareil tableau, gageons que ne vienne s’a­jouter, la grogne, sinon la cogne des travailleurs.

La Com­mis­sion économique


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