[(Nous présentons ce mois à nos lecteurs plusieurs informations récentes émanant de nos camarades espagnols. Ces informations se complètent et s’expliquent les unes les autres ; on verra que le capital européen (Fiat) tient à conserver en Espagne une région où la résistance à l’exploitation est faible ; en effet, la montée des luttes en Europe inquiètent nombre de « chefs d’entreprise » et les font regarder avec envie ce pays où toute organisation ouvrière est interdite par la loi et où la répression est immédiate et omniprésente. Nous ne pouvons que saluer le courage du prolétariat espagnol qui, malgré l’oppression policière constante et les meurtres frappant ces militants a réussi à bloquer pendant une semaine le bâtiment madrilène, réunissant dans la lutte plus de 25.000 grévistes.)]
[/Madrid, Barcelone… septembre, de nos correspondants./]
Début septembre, des gardes civils déguisés en ouvriers tirent sur un garçon de dix-sept ans qui participait à un piquet d’information préparant la grève générale du bâtiment prévue pour le 13 septembre. On ignore ce qu’il est devenu.
Le 13, la grève est déclenchée, 5.000 ouvriers débraient, une vingtaine de chantiers sont paralysés.
Le mot d’ordre a été lancé par les syndicats clandestins, U.G.T. (socialiste), commissions ouvrières (toutes les tendances du mouvement ouvrier y sont présentes), syndicats chrétiens, C.N.T. (anarcho-syndicaliste).
Le 14, un ouvrier qui distribuait des tracts dans le quartier de Leganés, faubourg industriel de Madrid, appelant ses camarades à se joindre à la grève est tué par la garde civile. Selon la version officielle de cet événement, l’ouvrier qui se trouvait avec plusieurs compagnons, a tenté de résister aux « forces de l’ordre » au moment où elles tentaient de l’appréhender. Déjà, 25.000 ouvriers sont dans l’action.
La grève dure jusqu’au 19 ; il semble qu’elle ait été un succès, au moins en ce qui concerne la participation ouvrière. N’oublions pas qu’en Espagne tout arrêt de travail est interdit et est passible de prison ! C’est une caractéristique de tous les systèmes d’exploitation de réprimer l’arme première de la défense des travailleurs.
L’administration américaine peut, par une loi, obliger les grèves à se suspendre pendant trois mois ; M. Heath, après les socialistes anglais, peut tenter de restreindre le droit de grève ; les bolchevicks russes peuvent l’interdire sous peine de mitraille et de déportation, nos camarades d’Espagne nous montrent qu’aucune loi, aucune police n’est assez forte pour faire travailler des bras qui se croisent.
La paix sociale par la répression
Le capitalisme espagnol sait que sa meilleure publicité auprès des investisseurs potentiels est son programme de paix sociale par le muselage de la classe ouvrière ; nous rappelons à nos lecteurs la circulaire confidentielle de la fédération patronale de la métallurgie de Catalogne parue dans « Solidarité ouvrière » de mai 1971 qui rappelait aux forces de l’État que leur rôle est surtout de réprimer et de détruire toute lutte ouvrière. Afin de justifier cette analyse, nous présentons aux camarades l’extrait suivant d’un article paru dans « Tele-Exprés » du 28 juillet 1971, à Barcelone :
[(L’USINE SEAT DE MARTORELL
On commence à reparler de l’usine que SEAT devait construire à Martorell et dont le projet avait été paralysé par suite de la pénible situation traversée par notre industrie automobile ces derniers mois. Les installations seront réalisées prochainement et formeront un impressionnant complexe industriel où seront peut-être réalisés quelque nouveau modèle pour l’Italie et l’Espagne et ceux que nous connaissons déjà.
Où placer tant de voitures si le marché présente déjà des signes graves de la possible fin prochaine du « boom » des années passées ? Nos informations, que nous n’avons pu confirmer chez SEAT, indiquent que le principal souci de la maison mère italienne FIAT est de situer ses nouvelles usines hors d’Italie, étant donné que dans ce pays l’instabilité sociale croît sans cesse. L’Espagne apparaît alors comme un lieu privilégié, non seulement à cause de l’existence de SEAT mais aussi par sa situation socio-économique qui est beaucoup plus calme que celle de l’Italie. Après tout, il est possible qu’à Martorell on construise des modèles destinés exclusivement à l’exportation à l’aide du réseau international de FIAT.
Que le lecteur se souvienne que ce cas est identique à celui qui a été présenté dernièrement par FORD au Gouvernement espagnol, Ford désirant transférer en Espagne certaines de ses usines anglaises.
LES ACTIONNAIRES DE SEAT
Ces derniers mois on s’est souvent demandé si FIAT achetait des actions en Bourse pour être majoritaire dans SEAT. Ce qui est certain, officiel, c’est que les actions de notre entreprise se distribuent ainsi :
Internazionale Holding Fiat : 36 %
Urquijo – Inrenta – Nuvofondo – Renfondo : 6,8 %
Hispano Americano : 2,0 %
Banesto – Cartisa – Fontisa : 1,5 %
Banco de Vizcaya : 1,4 %
Banco de Bilbao : 1,1 %
Banco Central : 0,8 %
Autres actionnaires privés : 13,5 %
Étant donné que 51 % des actions sont qualifiées : « ne peuvent être transférées aux étrangers », il faudrait savoir si au sein de celles-ci se trouvent les 13,5 % qui circulent sur les marchés boursiers. Si ce n’est pas le cas, il est possible que la participation italienne réelle soit plus importante, et, à l’extrême, qu’elle puisse s’approcher beaucoup des 50 %.
Ramon Carlos Baratech)]
Conclusion
Cet article met en relief les intentions du capitalisme européen et américain : profiter de l’enclave espagnole.
Mais d’autres détails doivent être connus : l’ensemble des actions indiquées dans l’article se monte à 63,1 %.
Question :
Qui détient les autres 36,9 %?
Ne serait-ce pas les hiérarques du régime franquiste, militaires et phalangistes de haute volée ?
Si, comme le note l’auteur de l’article de « Tele-Exprés », FIAT essaie d’obtenir la majorité des actions pour dominer l’entreprise de Martorell, ne serait-il pas possible que FIAT « achète » les actions des groupes détenant le lot de 36,9 %?
Il ne serait pas étonnant qu’en échange de bonnes devises payées par FIAT à ces groupes l’usine de SEAT passe aux mains du holding italien.
En bref : une nouvelle et sombre affaire en perspective, dans laquelle on assisterait en coulisse à une exportation de capitaux, style affaire MATESA. Notons que la situation économique espagnole n’est ni saine ni brillante pour ces ennemis de la classe ouvrière.
L’auto-liquidation stratégique (plus apparente que réelle, et ayant pour but de camoufler de possibles responsabilités dans un futur proche) laisse prévoir un changement de structure qui, s’il n’est fondamental — insistons sur ce point — n’en sera pas moins suffisant pour que certains personnages du régime franquiste aient le temps de disparaître de la scène politique, mais avec les poches pleines, et nombre d’entre eux pour un séjour hors d’Espagne (mais très près du pays) et avec l’intention de revenir à la charge.
Cette information imaginative sera peut-être utile pour comprendre ce qui va se passer en Espagne.