La Presse Anarchiste

Grogne de la police ou malaise de la société ?

C’est avec un éton­ne­ment amu­sé que les mili­tants ouvriers ont sui­vi le conflit des poli­ciers en uni­forme avec leur ministre. On connaît les faits, ils ont été rela­tés abon­dam­ment par la grande presse, et plu­tôt que l’as­pect anec­do­tique — et bur­lesque — de l’af­faire, inté­res­sons-nous aux causes et aux consé­quences de cet affrontement.

Quelle a d’a­bord été la réac­tion des forces de « l’op­po­si­tion » ? On pour­rait la résu­mer par « avec nous au gou­ver­ne­ment, on rase­ra le poli­cier gra­tis…», agré­men­tée de quelques nuances. Cet âge d’or du pan­dore et de ses col­la­té­raux, ce sou­rire garan­ti de la ména­gère au mon­sieur en uni­forme qui pro­tège les petits enfants tra­ver­sant les rues à la sor­tie de l’é­cole, ce jeune au regard sans haine — voire sans mépris —, cette matraque auto­gui­dée qui évi­te­ra les crânes des badauds pour ne choi­sir que ceux des hypo­crites meneurs, enfin ce retour du corps de la police au sein de la com­mu­nau­té natio­nale avec les féli­ci­ta­tions du jury — et une petite pro­mo­tion — c’est ce que nos grands hommes des forces de l’op­po­si­tion construc­tive pro­mettent à ces Fran­çais en uni­forme res­pon­sables de l’ordre et de la loi, éga­rés par un gou­ver­ne­ment et un ministre de l’In­té­rieur sans honneur !

Voi­là qui ne doit pas nous sur­prendre ! Un cer­tain nombre d’ex­pé­riences his­to­riques sont là pour nous prou­ver à l’en­vi que la mau­vaise police c’est tou­jours celle de l’autre… ici on peut mettre un nom com­mun quel­conque, tel que gou­ver­ne­ment, régime, sys­tème, pays, par­ti, etc. Rap­pe­lons-nous la pro­messe du gou­ver­ne­ment de « Front popu » d’ou­vrir les archives de la police et de dési­gner à la vin­dicte ouvrière indic et autres infil­trés dans les orga­ni­sa­tions syn­di­cales et poli­tiques. C’é­tait juré. Tu parles ! On y a cru pourtant…

Chaque mili­tant de chaque syn­di­cat sait qu’a­vec lui et ses cama­rades milite dans la même confé­dé­ra­tion un per­son­nage biva­lent et para­doxal : le flic syn­di­ca­liste ; mi-chair mi-pois­son, pris entre la dis­ci­pline de son corps et sa volon­té de se lier avec les autres sala­riés, voi­là quel­qu’un qui se pré­pare une vie dif­fi­cile et pleine de remords ; remords parce que géné­ra­le­ment la dis­ci­pline l’emporte, mais pas tou­jours et, en ce cas, ce sont les dif­fi­cul­tés qui commencent…

Un cama­rade de la C.F.D.T. vécut une nuit de col­lage l’ex­pé­rience la moins banale de sa vie de mili­tant : décou­vrant brus­que­ment deux képis der­rière lui, trop près, et déjà se rési­gnant, il enten­dit : « Débine-toi, le car va pas­ser ! » Vous voyez bien qu’ils existent !

Mais quant à défendre le corps consti­tué repré­sen­té par les diverses polices — visibles et invi­sibles ! Un cama­rade de tra­vail, quelque peu trou­blé dans sa lec­ture quo­ti­dienne de « l’Hu­ma », lec­ture sans doute trop som­maire et dépour­vue de l’œil dia­lec­tique, s’é­ner­vait fort l’autre jour : « La C.G.T. qui défend les flics, on aura tout vu ! »

Un opti­misme exa­gé­ré — qui serait vrai­ment de mau­vais aloi —pour­rait faire croire à quelque copain que chez les poli­ciers sans grade, les obs­curs, recru­tés par­mi les couches popu­laires naît un embryon d’es­prit de classe ; allons, ne rêvons pas. On vou­drait un peu plus de sous, et puis être des agents actifs du « main­tien de l’ordre » sup­pose des besognes désa­gréables, et on se sent mal aimés !

Et comme nous sommes sur le ter­rain de la lutte des classes, de quelle classe, de quel ordre sont-ils objec­ti­ve­ment les défenseurs ?

Cette mini-révolte de la police ne doit pas nous faire tirer des plans sur la comète ; mais elle est un symp­tôme, un signe, une indi­ca­tion sur le pro­ces­sus de désa­gré­ga­tion de la socié­té capi­ta­liste actuelle. Les pou­voirs publics vont répri­mer la grogne de la police, laquelle, qui se pen­sait la petite pré­fé­rée, ne sera pas contente. Un État aux forces de police démo­ra­li­sées est plus vulnérable.

Comme disent les Anglais : « Attends et regarde ».

L’Al­liance syndicaliste.

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