Nous publions dans ce numéro de « Solidarité ouvrière » un article sur le groupe culturel de Renault. L’action des camarades de la Régie est extrêmement intéressante en ce sens qu’elle est une forme originale d’action dans l’entreprise. Les professionnels de la révolution pourront considérer cela avec le mépris qu’ils accordent à tout ce qui n’est pas centré exclusivement sur la révolution. Il n’empêche que les copains ont réuni un nombre important de camarades de Renault et que leur action suscite l’intérêt de nombreux ouvriers.
Comme ils l’ont dit eux-mêmes, ils ne prétendent pas détenir la vérité universelle ; le groupe culturel est avant tout un organisme de base qui prend en charge une action autonome par les ouvriers eux-mêmes.
C’est là que réside l’intérêt du groupe culturel : les copains refusent de se limiter à la revendication immédiate ; par leur lutte sur un front plus large, en particulier culturel, ils touchent une masse plus grande de travailleurs. Ceux-ci, par les activités qu’ils peuvent avoir, par les contacts personnels, la création de liens de solidarité, qui permettent de sortir du ghetto de l’usine, par la discussion et l’échange des idées, arrivent nécessairement à des prises de positions politiques. Une des revendications de mai 68 est à l’ordre du jour : « Nous ne voulons pas d’un monde où la probabilité de ne pas mourir de faim s’échange contre la certitude de mourir d’ennui. »
Le type d’action adopté par les camarades est intéressant en ce sens qu’il évite le bombardement idéologique que les groupes, qui prétendent détenir la vérité, imposent aux travailleurs.
Dans la mesure où le groupe culturel permet une authentique circulation des idées, une prise de conscience graduelle effectuée par l’expérience de la lutte et la discussion commune, dans la mesure où il favorise l’initiative, développe l’esprit critique, ce type d’action, s’il se développe, permettra un dépassement total de tous les schémas préconçus, y compris les nôtres.
Un aspect positif : la relation usine-quartier
L’objet du groupe initialement, était la diffusion d’un disque de chansons sur mai 68 (disque n°1). Quatre copains décident de mettre sur pied un comité de diffusion (appelé par la suite C.A.C.P.R.) pour centraliser la diffusion des disques et brochures au niveau de leur département. L’impact créé dans le milieu ouvrier par la diffusion en masse du disque n°1 appela peu à peu les copains du comité à un rayonnement qui dépassa assez rapidement le cadre de leur seul département.
En janvier 1971, le C.A.C.P.R. groupait une quinzaine de copains, pour la plupart militants de la. C.F.D.T.; les contacts inter-départements devenaient plus précis, les contacts étaient pris aussi à l’extérieur avec d’autres entreprises, ainsi qu’au niveau d’un quartier avec la troupe de E.S.; cette dernière relation s’avérera positive dans l’avenir au niveau des échanges et de communication entre des éléments ouvriers et non ouvriers.
Au niveau du travail, l’empirisme cédait la place à une organisation du travail plus claire, mais bâtarde ; les réunions mensuelles plus précises, avec une meilleure participation des copains dans les responsabilités, les plus minimes fussent-elles.
Se basant sur une théorie de Reich qui dit qu’un groupe à 100 % d’hommes risque par une pratique militante intérieure et extérieure à l’usine, de provoquer, faute de relations équilibrées, au bout d’un certain temps, un déséquilibre au sein du groupe, des contacts entre des militants permirent de mettre au point une réunion mensuelle d’échanges et de contacts entre les deux groupes laquelle, avec l’apport de femmes engagées dans une action culturelle d’une autre dimension, permit à certains copains de rétablir un équilibre, d’apercevoir ou de se faire critiquer sur telles ou telles attitudes fausses.
Un autre aspect positif : la relation entre copains
Dès le départ dans leur action, les copains concernés cherchèrent parallèlement à approfondir leurs relations entre eux ; ce fut l’époque où les copains s’invitaient mutuellement chez eux, ce qui permettait de se découvrir sous un autre aspect, dans l’ambiance familiale, ce qui fatalement dégageait une certaine force dans laquelle chacun se sentait à l’aise, en demeurant fraternel, mais très ferme aussi sur les conneries.
Chaque copain qui par la suite fut introduit dans le C.A.C.P.R. fut pris en considération, non en tant que bras, ou force d’appoint supplémentaire, mais en tant qu’homme ; avec tout l’héritage culturel bourgeois que cela comporte.
Problèmes d’organisation
Par son implantation dans d’autres ateliers et avec une participation militante d’autres copains, le comité, qui n’était conçu que sur la base d’un atelier, s’est dissout de lui-même.
Avec la création du groupe culturel Renault, rien ne fut résolu pour autant, mais les problèmes qui se posaient étaient plus clairs, ce qui permit aux copains de dégager quelques aspects positifs sur l’adaptation d’une organisation aux besoins de l’individu, de rechercher de nouvelles formes de structures dès que l’évolution ou les besoins l’imposent, mais surtout d’éviter de calquer tels ou tels types d’organisation.
Problèmes politiques
Pour que les choses soient claires, le groupe culturel de Renault n’a jamais été l’appendice quelconque d’une organisation politique ou gauchiste, ni même le fief d’une idéologie dominante.
Pour être encore plus précis, nous affirmons sans gêne que toute cette initiative fut à la base suscitée par des militants libertaires, mais en se refusant à dominer le groupe. Pourquoi ?
D’abord, par sa propre base qui est et demeure à forte dominance syndicaliste (C.F.D.T. majoritaire), ce qui représente et reflète les idées politiques du mouvement ouvrier, variées et opposées.
C’est-à-dire que l’on retrouve des inorganisés, des militants de base de la C.F.D.T., sans aucune option politique claire, par contre on rencontre des libertaires, des marxistes-léninistes, des trotskystes, des socialistes.
Mais avant tout, le groupe culturel Renault apparaît comme une prise en charge d’une action autonome, par des éléments ouvriers, sur des problèmes précis ; il fallait éviter de dégénérer en une couleur bien précise, et par la suite en une chapelle ou club quelconque qui aurait pu briser les motivations d’ouvriers désireux de travailler avec nous. Le G.C.R. s’est défini sur trois critères principaux :
— libre circulation des idées,
— lutte de classes,
— socialisme.
libre circulation des idées
Les responsables du G.C.R. ont tous plus ou moins connu les effets néfastes du sectarisme, de l’activisme, qui amenaient à une rapide dégénérescence d’éléments mal formés, à un blocage systématique de toutes relations et actions, ainsi que de tous ceux qui croient détenir la vérité universelle ; pour notre part, nous ne détenons rien, nous n’affirmons pas que la voie que nous suivons est la meilleure, pour la bonne raison que nous n’en savons rien nous-mêmes.
Les responsables se sont rendu compte aussi du manque de formation des copains sur le mouvement ouvrier en général, ensuite ses tendances, le syndicalisme, les partis politiques traditionnels ou les mouvements gauchistes depuis mai 1968.
En laissant librement circuler des journaux de tendances diverses, comme Lutte ouvrière, le Monde libertaire, le Travailleur, Solidarité ouvrière, etc., pour les copains que cela intéresse, cela provoque inévitablement des discussions politiques, mais cela amène aussi les copains à faire une analyse de tel ou tel situation ou conflit qu’ils ont vécu, tout cela étant lié évidemment à leur propre pratique militante dans l’usine et à l’extérieur.
De plus, en laissant circuler des disques avec lesquels nous ne sommes pas d’accord, nous voulons laisser les travailleurs à qui nous les présentons l’entière responsabilité de leur choix.
Lutte de classes
Parce qu’ils sont des militants ouvriers qui luttent quotidiennement à l’usine contre des conditions de travail inhumaines, contre l’arbitraire patronal, pour de nouveaux acquis de la classe ouvrière, et contre toutes formes d’oppression et d’exploitation, ces copains, parce qu’ils n’ont pas voulu se laisser enfermer dans la seule lutte revendicative, ont étendu leur lutte sur un front beaucoup plus large, qui touche à la répression culturelle bourgeoise soi-disant éducatrice, la commercialisation à outrance, l’abrutissement idéologique diffusé par les princes qui nous gouvernent, en fait, tout ce qui conditionne notre vie, que ce soit à l’usine ou à l’extérieur.
Lutte de classes, parce que sur ce terrain-là il y a aussi exploitation, répression, oppression…
Socialisme
Parce que pour l’ensemble des copains, toutes actions collectives de tous les jours doivent tendre vers ce but, qui ne doit pas être un but en soi, mais l’étape la plus importante pour accéder à une société ouvrière où le peuple pourra librement déterminer si demain dans les usines il y aura des jardins…
Groupe Culturel Renault.