La Presse Anarchiste

Mouvement international

Dans une série d’articles, parus en 1916 et 1917 dans le jour­nal Ce qu’il faut dire, j’ai étudié longue­ment toute l’histoire du social­isme en ces cinquante dernières années, et je me suis effor­cé à dégager les raisons qui avaient amené la fail­lite lam­en­ta­ble de la IIe Internationale.

Je ren­ver­rai donc les lecteurs qui s’intéressent à l’histoire du mou­ve­ment ouvri­er mon­di­al dans sa triple forme : social­iste, syn­di­cal­iste et anar­chiste. à la col­lec­tion de C.Q.F.D., en atten­dant que j’aie les pos­si­bil­ités de pub­li­er ces arti­cles en brochure.

Je tran­scrirai seule­ment ici quelques chiffres qui mon­treront, mieux que des phras­es, la puis­sance du mou­ve­ment social alle­mand dans l’avant-guerre et qui aideront à com­pren­dre le mou­ve­ment actuel.

À la veille de la guerre, le Par­ti Social-Démoc­rate alle­mand comp­tait 1.500.000 mem­bres, avec des organ­i­sa­tions par­ti­c­ulières pour les femmes (150.000 mem­bres) et pour la jeunesse (100.000 adhérents).

La presse social­iste com­pre­nait 90 jour­naux quo­ti­di­ens, avec plus de 1.500.000 abon­nés, une mul­ti­tude d’hebdomadaires, 2 organes satiriques : le Vrai Jacob, de Stuttgart, et le Pos­til­lon, de Munich, tirant à 400.000 ex.; un jour­nal lit­téraire illus­tré, Die Neue Welt (Le Nou­veau Monde): 500.000 ex.; l’organe des femmes, Gle­ich­heit (L’Égalité), avec 110.000 abon­nés, et l’Arbeit­er Jugend (La Jeunesse Ouvrière) qui pos­sé­dait 80.000 abon­nés. Il faut aus­si not­er la revue Neue Zeit (Temps Nou­veaux), dirigée par K. Kaut­sky et F. Mehring, et les Cahiers Social­istes, revue men­su­elle lux­ueuse­ment éditée, où col­lab­o­raient Bern­stein, Heine, Kampfmey­er, et qui avaient respec­tive­ment 15.000 et 10.000 abonnés.

La Librairie social­iste du Vor­waerts fai­sait annuelle­ment 700.000 francs d’affaires.

Des cours de soci­olo­gie et de sci­ence économique se fai­saient régulière­ment dans 221 villes, et étaient suiv­is par 9.000 élèves, dont 700 femmes (chiffres de l’année 1912).

Une École du Par­ti, fondée en 1906, rece­vait chaque année une trentaine d’élèves dont les frais d’études et d’entretien étaient entière­ment à la charge du Par­ti. Ces élèves appre­naient à devenir des mil­i­tants socialistes.

Le par­ti social-démoc­rate était le plus puis­sant de l’Empire alle­mand. Les chiffres suiv­ants des votes obtenus aux élec­tions de 1912 en don­nent une idée exacte.

voix
Social-Démoc­rates 4.250.329
Cen­tre catholique 2.035.290
Nationaux-libéraux 1.672.618
Pro­gres­sistes 1.558.330
Con­ser­va­teurs 1.129.274
Chré­tiens sociaux 356.195

Etc…

Les syn­di­cats, pénétrés de l’esprit des social-démoc­rates et dirigés par eux, ren­forçaient cette posi­tion formidable.

Voici les sta­tis­tiques de 1911 :

Syn­di­cats social-démocrates 2.421.000
Syn­di­cats chrétiens 340.000
Syn­di­cats Hirsch-Duncher

(libéral­isme manchestérien)
107.000
Syn­di­cats jaunes 160.000
Syn­di­cats localistes 9.000

Les Syn­di­cats social-démoc­rates forte­ment cen­tral­isés groupaient des Fédéra­tions d’Industrie (Fédéra­tion des métaux : 500.000 coti­sants ; du bâti­ment : 300.000 ; des trans­ports : 200.000, etc.) et des Unions de Syndicats.

Le total des recettes de toutes les Unions et Fédéra­tions atteignit, en 1911 : 90.108.696 fr. Le fonds de réserve du Comité cen­tral était, pour la même année, de 77.632.276 francs.

Les dépens­es con­sis­taient en viaticum, sec­ours de mal­adie, de chô­mage et de sou­tien des grèves. Les ser­vices de mutu­al­ité étaient par­ti­c­ulière­ment bien organisés.

La presse syn­di­cale était d’une richesse et l’une abon­dance insoupçon­nées en France. Tous les syn­di­cats pos­sé­daient un heb­do­madaire : le seul, Met­al­lurbeit­er (l’Ouvrier métal­lur­giste), tirait à 545.000 exemplaires.

Les maisons des syn­di­cats étaient et sont encore la pro­priété des ouvriers.

La mag­nifique Gew­erkochafthaus, de Berlin, dans laque­lle se tint le Con­grès anar­chiste inter­na­tion­al a coûté plus de 3 mil­lions de francs. C’est un mag­nifique immeu­ble, dont la pro­preté, l’organisation, le luxe même étonnent.

Les murs sont ver­nis, le sol cou­vert de linoléum : dans chaque bureau, des machines à écrire, des casiers pleins de fich­es, de doc­u­ments, de sta­tis­tiques, classés dans l’ordre le plus méthodique. Aux murs, des por­traits de Marx, d’Engels, de Liebknecht, de Bebel, ou l’admirable Mar­seil­laise, de Gus­tave Doré. Nous avons vu dans un de ces bureaux, des fresques de Con­stan­tin Meu­nier et des repro­duc­tions de Rem­brandt et de Raphaël.

Les maisons syn­di­cales de Ham­bourg, de Leipzig, etc., sont presque aus­si vastes et somptueuses.

Théorique­ment la C.G.T. alle­mande était neu­tre. Pra­tique­ment elle était soumise étroite­ment au Par­ti social­iste, grâce à ce que les Alle­mands appelaient l’Union per­son­nelle qui se con­sti­tu­ait par ce fait que tous les fonc­tion­naires syn­di­caux : secré­taires, per­ma­nents, pro­pa­gan­distes, étaient mem­bres du par­ti. Karl Legien, secré­taire général de l’organisme cen­tral ; Bœmel­burg, secré­taire de la Fédéra­tion du Bâti­ment : Hué et Sachse, secré­taires des mineurs ; Robert Schmidt, secré­taire, de la mai­son des Syn­di­cats de Berlin ; Schu­man, secré­taire, de la Fédéra­tion des Trans­ports ; Spréger, secré­taire de la Métal­lurgie, étaient en même temps députés au Reichstag.

La sub­or­di­na­tion des syn­di­cats alle­mands au Par­ti social­iste était donc en 1914, une chose réal­isée intégralement.

En face de cette puis­sance for­mi­da­ble, le mou­ve­ment anar­chiste et anar­cho-syn­di­cal­iste végétait.

Les syn­di­cats local­istes qui s’inspiraient de la tac­tique anar­cho-syn­di­cal­iste de la C.G.T. française groupaient, comme nous l’avons vu, 9.000 ouvriers.

La Fédéra­tion anar­chiste de l’Allemagne pos­sé­dait 1.500 adhérents. Son jour­nal Freie Arbeit­er (l’Ouvrier libre), tirait à 3.000 ex.

Il exis­tait encore une frac­tion indi­vid­u­al­iste Stirnéri­enne, avec un heb­do­madaire Der Social­ist (1.000 ex.), quelques colonies com­mu­nistes naturi­ennes et un organe de doc­trine Kampf (La Lutte) (1.500 ex.), que dirigeait notre valeureux cama­rade P. Schreger, qui déser­ta pen­dant la guerre, fut extradé de Suisse, con­damné à cinq ans de forter­esse et mou­rut en prison.

Ain­si se présen­taient les forces ouvrières alle­man­des le 2 août 1914.

Nous ver­rons dans le prochain numéro com­ment elles se com­portèrent et dans quel sens elles se transformèrent.

Mauri­cius.