La Presse Anarchiste

Bibilographie

Un livre de Rocker

Notre cama­rade Rudolf Rocker vient de faire paraître dans la col­lec­tion de « Mémoires et Bio­gra­phies de per­son­na­li­tés socia­listes », édi­tée par Der Syn­di­ka­list de Ber­lin, un livre inti­tu­lé Hin­ter Sta­chel­drath und Git­ter (Der­rière les bar­be­lés et les grillages).

C’est la des­crip­tion de son inter­ne­ment en Angle­terre pen­dant la guerre. Rocker habi­tait Londres depuis de longues années, ayant quit­té l’Al­le­magne où il était pour­sui­vi à cause de sa pro­pa­gande anar­chiste. À Londres, il avait vite retrou­vé un champ d’ac­ti­vi­té dans le East-End, sur­tout par­mi les Juifs et les autres étran­gers qui y vivent dans la misère. Comme Kro­pot­kine et sur­tout Tcher­ke­soff, Rocker était un confé­ren­cier connu et aimé dans ce quar­tier de pauvres.

Nous ne sau­rions trop louer le style de Rocker. Il raconte ses aven­tures avec tant de talent et de sim­pli­ci­té à la fois, qu’on lit son livre comme un roman cap­ti­vant — un roman plein de sen­ti­ment, d’hu­ma­ni­té, d’idéal.

Après toutes les publi­ca­tions rela­tives. aux camps de concen­tra­tion pour « sujets enne­mis » dans les dif­fé­rents pays bel­li­gé­rants, c’est un docu­ment sur l’in­ter­ne­ment en Angle­terre. Comme les autres, les camps anglais étaient assu­ré­ment des lieux où l’exis­tence était into­lé­rable. Sans vou­loir faire de com­pa­rai­son (et pour­tant… je ne puis m’empêcher de pen­ser au sup­plice des civils belges dépor­tés), nous consta­tons, une fois de plus, par la lec­ture du livre de Rocker, que les pays bel­li­gé­rants ont ren­du la période de la guerre infi­ni­ment plus cruelle à des mil­lions de mal­heu­reux qui n’a­vaient d’autre tort que de se trou­ver, à un moment don­né, en « pays ennemi ».

Puisque le livre de Rocker est un docu­ment, j’au­rais sou­hai­té de voir notre cama­rade un peu moins som­maire dès le pre­mier. cha­pitre, où il rap­porte sa conver­sa­tion avec Tcher­ke­soff et Tar­ri­da et expose briè­ve­ment l’o­pi­nion de Kro­pot­kine sur la guerre. Le point de vue des anar­chistes en tant qu’in­ter­na­tio­na­listes et leur devoir comme tels, n’a pas été suf­fi­sam­ment mis en lumière par Rocker.

Les cama­rades des Temps Nou­veaux et d’autres, ceux qui ont signé la « décla­ra­tion des seize », étaient convain­cus qu’ils ne pou­vaient pas lais­ser battre, sans oppo­si­tion, la France l’An­gle­terre — bien que dotées de gou­ver­ne­ments bour­geois — par les hobe­reaux prus­siens. Je dis à des­sein « hobe­reaux », parce que les grands indus­triels alle­mands eux-mêmes, la famille impé­riale elle-même, ont été domi­nés par les géné­raux de la noblesse prus­sienne, ce que Rocker nie.

Ceux qui se disent révo­lu­tion­naires et inter­na­tio­na­listes, n’ont pas fait assez en pro­met­tant de défendre, au moment d’une révo­lu­tion sociale, l’Ave­nir contre le Pré­sent ; ils doivent savoir aus­si défendre le Pré­sent contre le Pas­sé. Si les anar­chistes avaient été des Tol­stoïens pour les­quels l’an­ti­mi­li­ta­risme et la lutte contre la guerre sont le prin­cipe essen­tiel, le devoir pour eux aurait été cer­tai­ne­ment autre. Mais nous sommes avant tout des révo­lu­tion­naires et ici, comme par­tout dans la vie sociale, un prin­cipe comme l’an­ti­mi­li­ta­risme ne sau­rait pré­va­loir qu’aus­si long­temps qu’un prin­cipe supé­rieur ne s’y oppose.

Aus­si, a‑t-on bien remar­qué que les cama­rades qui ont défen­du le point de vue atta­qué par Rocker, sont pré­ci­sé­ment, ceux qui, par­mi les inter­na­tio­na­listes, avaient le plus d’ex­pé­rience des hommes de toutes natio­na­li­tés, pos­sé­dant une connais­sance appro­fon­die des dif­fé­rentes civi­li­sa­tions. Je pense ici à un vieux cama­rade alle­mand (il avait, comme Rocker, quit­té l’Al­le­magne) qui, dès 1896, fai­sait de la pro­pa­gande avec Gus­taf Lan­dauer. Inter­né lui-même en France pen­dant toute la guerre, il n’a pour­tant ces­sé de par­ta­ger les opi­nions des Kro­pot­kine et des Tcher­ke­soff. Seul par­mi nos amis, Mala­tes­ta fai­sait exception.

Notons, en ter­mi­nant, que l’ou­vrage est magni­fi­que­ment pré­sen­té. Cela nous change de la plu­part des édi­tions socia­listes que nous avons connues jus­qu’à ce jour.

[/​L. C.-R./]

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Nous signa­le­rons les livres qui nous ont paru inté­res­sants au hasard de nos lec­tures. Au milieu du fatras insi­pide et pré­ten­tieux de la lit­té­ra­ture moderne, nos pré­fé­rences vont aux œuvres qui font réflé­chir et aux œuvres de documentation.

Nous signa­lions, plus haut, Sur la route Man­da­rine, de Dor­ge­lès. Cette fois, nous indi­quons Man­sour, par Bon­jean et Ahmed Deif (chez Rie­der, et Cie, édi­teurs). C’est tout sim­ple­ment la vie d’un jeune Égyp­tien et très pro­ba­ble­ment l’au­to­bio­gra­phie de l’un des auteurs. Ain­si, nous pou­vons connaître la vie et la psy­cho­lo­gie d’un jeune musul­man et son milieu, obser­vés et décrits, non par un Euro­péen plus ou moins igno­rant et incom­pré­hen­sif, mais par un indi­gène lui-même.

Le tableau de ces mœurs orien­tales nous aide­ra à com­prendre la men­ta­li­té musul­mane et aus­si des autres Orien­taux. Le tableau de l’é­cole cora­nique res­semble, en effet, assez curieu­se­ment aux écoles tal­mu­diques des Juifs orien­taux, même des Juifs polo­nais ; la vie des ulé­mas et des cheiks res­semble à celle des rab­bins. Leurs rap­ports avec les croyants sont à peu près les mêmes. Et les super­sti­tions, sur­tout énon­cées par les vieilles femmes, ont un véri­table air de famille.

On pour­ra sai­sir sur le vif la dif­fé­rence entre l’es­prit occi­den­tal, qui sait réduire les faits à une valeur d’ap­proxi­ma­tion constante grâce aux méthodes scien­ti­fiques d’ob­ser­va­tion, grâce à une édu­ca­tion cri­tique, — et l’es­prit orien­tal qui donne une réa­li­té, et une réa­li­té variable et chan­geante, aux fan­tai­sies de l’imagination.

Voi­ci quelques lignes qui montrent la situa­tion de la femme dans cette civilisation :

« Impos­sible ! Impos­sible ! Je n’ac­cepte pas une pareille dot. Vingt-cinq livres pour ma fille ? Que peut-on ache­ter avec ça ? Les meubles ? les bijoux ? ou les cuivres ? »

En enten­dant crier ma mère, je posai le livre sur la table et prê­tai l’oreille.

— Oui, tu as rai­son, répon­dit mon père. Mais c’est un gar­çon intel­li­gent, char­mant. Est-ce ma faute s’il ne peut offrir davan­tage ? Et doit-on marier sa fille pour de l’argent ?

— Il nous faut conten­ter cette enfant en lui offrant son inté­rieur. Et sur­tout évi­ter que nous ne soyons la risée de tous. Nous sommes connus dans le quar­tier, dans la ville. Veux-tu que nos voi­sins ne viennent à la fête que pour jouir de mon humiliation ?

— Le déshon­neur, c’est de gar­der une fille nubile à la mai­son. La marier est une faveur accor­dée par Dieu.

— Si nous ne sommes pas riches, reprit ma mère avec force, du moins ne le lais­sons pas voir… O père de Man­sour ! ce mariage nous ferait le plus grand tort.

— L’aide de Dieu est la seule richesse qui compte !

— Vingt-cinq livres ! Ce jeune homme a de l’au­dace. Pour qui nous prend-il ? Il affirme qu’il n’a pas davan­tage. Sommes-nous for­cés de le croire ? Refuse caté­go­ri­que­ment. Tu ver­ras, s’il tient à notre fille, qu’il s’ar­ran­ge­ra pour te don­ner le double.

Mon père fer­ma la porte, et je ne pus entendre sa réponse.

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Quand le grand jour fut arri­vé, j’er­rais de-ci, de-là, comme on le fait dans les rêves.

Vers deux heures, je vis arri­ver un cheik à barbe blanche, sui­vi d’un enfant qui por­tait un gros registre sous son bras.

— Voi­là le notaire, dis-je à mon frère. Dans quelques minutes, un étran­ger, que ni ma mère, ni toi, ni ma sœur n’a­vez jamais vu, sera notre beau-frère. »

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Nous avons reçu :

L’A­nar­chie, sa Phi­lo­so­phie, son Idéal, par Pierre Kro­pot­kine ; 1 fr. 25.

Dieu et l’É­tat, par Michel Bakou­nine ; 1 fr. 50.

Ces deux fortes bro­chures, réédi­tées par la Bro­chure men­suelle, 39, rue de Bre­tagne, Paris, sont essen­tielles à qui veut connaître les bases des idées anarchistes.

Nous enga­geons nos lec­teurs qui dési­rent connaître la lit­té­ra­ture anar­chiste de s’a­dres­ser à la Bro­chure men­suelle qui a, au prix d’un remar­quable effort, pu réédi­ter, à des prix équi­va­lant à ceux d’a­vant guerre, les bro­chures et volumes trai­tant de nos idées.

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