La Presse Anarchiste

Faut-il une loi ?

Extrait d’un rap­port publié dans l’Api­cul­teur de mars 1925, page 81 :

« Il s’a­git d’or­ga­ni­ser la lutte contre « la loque ». Dans ce but, une loi est indis­pen­sable et urgente… La loque est cau­sée par des micro-orga­nismes, vivant dans l’in­tes­tin des larves de l’a­beille. Quand la larve meurt, le bacille se mue en spores très résis­tantes, pou­vant conser­ver leur vita­li­té pen­dant vingt ans, et, quand les cir­cons­tances s’y prêtent, le bacille se mul­ti­plie par divi­sion des spores. La loque est d’une conta­gion rapide, consi­dé­rant la dis­tance à laquelle les abeilles et de mul­tiples agents peuvent trans­por­ter le germe dans la péri­phé­rie ; elle détruit en peu de temps de fortes colo­nies, des ruchers entiers ; elle peut deve­nir un fléau. Celte menace déplo­rable gran­dit en pro­por­tion directe de l’aug­men­ta­tion des ruchers. Existe-t-il un remède ? — Nos spé­cia­listes, ento­mo­lo­gistes et bac­té­rio­lo­gistes, ne l’ont pas encore trou­vé. Y a‑t-il un moyen pour endi­guer, enrayer et réduire l’é­pi­dé­mie ? — Oui. — Il y en a même plu­sieurs. D’ex­cel­lentes mesures pré­ven­tives ont don­né leurs preuves. La mala­die, prise au début, peut être trai­tée avec suc­cès ; mais à condi­tion que par­tout les ruches et ruchers soient l’ob­jet de soins vigi­lants, intel­li­gents et inté­res­sés. Cela n’existe mal­heu­reu­se­ment pas et ne peut exis­ter que par contrainte. Une loi s’im­pose donc, il est même urgent de la faire voter… Nos Congrès Api­coles ont émis des vœux, deman­dé l’ap­pui du gou­ver­ne­ment, mais jusque-là sans résul­tat. Nous savons fort bien qu’une loi por­tant atteinte à la liber­té est chose déli­cate à faire ; cepen­dant de sévères mesures ont été prises avec suc­cès contre la fièvre aph­teuse, contre la morve ; pour­quoi n’en serait-il pas de même en ce qui concerne la loque, alors que l’in­té­rêt natio­nal est en jeu ? Loi, décret, arrê­tés pré­fec­to­raux, conçus dans un esprit large, appli­cables pen­dant la durée de la mala­die (dans la cir­cons­tance, l’ap­pli­ca­tion dure­ra jus­qu’à ce que le remède soit trou­vé et vul­ga­ri­sé), peu importe, mais que des mesures rigou­reuses soient prises ; il n’est que temps, grand temps…

« La régle­men­ta­tion pour­rait être la sui­vante : 1° Tout pro­prié­taire de ruches doit en faire la décla­ra­tion à la mai­rie ou à la pré­fec­ture ; 2° Aucune ruche, pour quelque motif que ce soit, ne peut sor­tir de la com­mune où elle a été décla­rée, sans avoir été visi­tée et sans une auto­ri­sa­tion de trans­port ; 3° Les pro­prié­taires de ruches atteintes de la loque doivent en faire la décla­ra­tion immé­diate… Des délé­gués, dési­gnés par les grou­pe­ments régio­naux et agréés par les pré­fets, visi­te­ront ces ruches ain­si que les sus­pectes et feront pro­cé­der sous leurs yeux à leur des­truc­tion ; 4° Tous les pro­prié­taires de ruches sont enga­gés à se joindre à un grou­pe­ment api­cole où ils trou­ve­ront des conseils et l’ap­pui dés­in­té­res­sé de leurs collègues.

« La légis­la­tion pré­co­ni­sée, mise en vigueur, met­tra en éveil tous les api­cul­teurs iso­lés qui se join­dront vite aux divers grou­pe­ments. Les Asso­cia­tions et Syn­di­cats api­coles crée­ront des caisses spé­ciales en vue de dédom­ma­ger les sinis­trés. Plu­sieurs régions pour­ront s’u­nir dans ce but. Des experts seront dési­gnés par­mi les api­cul­teurs com­pé­tents et dévoués, qui pour­ront être indem­ni­sés de leurs dépla­ce­ments. Aucun api­cul­teur ne recu­le­ra devant le sacri­fice d’une somme de 10 à 20 francs et même plus, par an, pour sau­ve­gar­der son rucher. Il n’au­ra aucune hési­ta­tion à décla­rer la mala­die avec la convic­tion d’être lar­ge­ment sinon com­plè­te­ment dédommagé. »

On peut consta­ter que ce rap­port ren­ferme deux par­ties bien dis­tinctes. La pre­mière réclame loi, décret et arrê­tés ; elle parle de contrainte et de mesures rigou­reuses ; elle veut mettre en branle tous les appa­reils légis­la­tifs et admi­nis­tra­tifs — et sans doute les appa­reils judi­ciaires et péni­ten­ciers, car la contrainte sup­pose les tri­bu­naux, et la pri­son peut-être. On pro­pose donc de mêler à cette mala­die de l’a­beille tous les dépu­tés et séna­teurs, les ministres et le pré­sident de la Répu­blique, puis, en redes­cen­dant l’é­chelle, les pré­fets, sous-pré­fets et maires ; puis les gref­fiers, juges, huis­siers, gen­darmes, et pro­ba­ble­ment d’autres fonc­tion­naires encore, tous gens qui, de par la nature de leurs fonc­tions, ne sont pas for­cés de connaître le pre­mier mot de la ques­tion dont il s’agit.

La seconde par­tie de ce rap­port prend un autre ton : « Des délé­gués dési­gnés par les grou­pe­ments régio­naux… Les pro­prié­taires de ruches sont enga­gés à se joindre à un grou­pe­ment api­cole… Les Asso­cia­tions crée­ront. des caisses spé­ciales… », etc. Voi­là des paroles plus sensées.

Remar­quons que per­sonne n’a inté­rêt à avoir la loque dans ses ruches. c’est simple matière à igno­rance. D’autre part, la loque n’est pas la seule mala­die des abeilles, et les conseils d’un api­cul­teur avi­sé ne sont jamais à dédai­gner. Repre­nons le pro­jet qui sera adres­sé aux api­cul­teurs eux-mêmes, et qui cou­vri­ra tous les cas défa­vo­rables possibles.

1° Tous les pro­prié­taires de ruches sont enga­gés à se joindre à un grou­pe­ment api­cole où ils trou­ve­ront de la part de leurs col­lègues com­pé­tents tous les conseils dési­rables. Il leur est recom­man­dé de regar­der autour d’eux, d’al­ler faire visite à ceux de leurs voi­sins qui pos­sèdent des ruches et de les signa­ler au syndicat ;

2° Les asso­cia­tions api­coles crée­ront des caisses spé­ciales pour les dépenses de sur­veillance tech­nique et le dédom­ma­ge­ment des sinis­trés, caisses ali­men­tées par l’as­suance que paie­ront les membres ;

3° Des délé­gués, dési­gnés par les grou­pe­ments, visi­te­ront toutes les ruches d’un dis­trict à cer­taines époques ; d’ac­cord avec les pro­prié­taires, ils feront pro­cé­der à la des­truc­tion des ruches sus­pectes et fixe­ront le mon­tant de l’in­dem­ni­té. Ils visi­te­ront éga­le­ment les api­cul­teurs qui n’ont pas vou­lu faire par­tie du syn­di­cal, deman­de­ront voir les ruches et, en cas de mala­die, avi­se­ront au meilleur moyen d’é­vi­ter la conta­gion, en rache­tant, par exemple, le rucher malade.

Quelles dif­fi­cul­tés peuvent se pré­sen­ter ? Et, puis­qu’il y a urgence, qu’at­tend-on pour s’or­ga­ni­ser ? S’il existe des api­cul­teurs réfrac­taires, ne vaut-il pas mieux les payer que de mettre, à cause d’eux, tout le tra­vail de pro­tec­tion mutuelle en échec ?

[/​Un petit api­cul­teur/​]

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