C’est en novembre 1924 qu’a eu lieu le
Dans son ensemble, le Congrès ne faisait que répéter, tel un perroquet bien dressé, la leçon inculquée par un Congrès antérieur — celui du Parti Communiste Russe qui, lui, n’admet, ni opposition ni discussion.
C’est dans les petits détails que l’on attrape quelquefois des moments caractéristiques de la situation véridique de la classe ouvrière russe. Nous en donnerons ici quelques-uns.
[|Composition du VIe Congrès [[L.
Le Congrès était composé de 1.055 délégués, dont 858 avaient voix délibérative et 197 voix consultative. Ces 1.055 délégués représentaient 6.367.300 membres. En tant qu’il n’existe pas, en Russie, des Syndicats autonomes ou autres que ceux qui adhèrent au Conseil central des Syndicats de l’Union, et que la non-entrée d’un travailleur au Syndicat est suivie de tant de mesures répressives d’ordre économique et même politique, on peut considérer le nombre de 6.367.300 comme étant actuellement le nombre non seulement de travailleurs syndiqués, mais aussi celui d’ouvriers et employés en général. Sur ce nombre, 778.300, ou 12,2 %, sont employés des différentes institutions soviétiques et autres. Le Syndicat des Employés est ainsi, après celui des cheminots (805.200 membres), le Syndicat numériquement le plus fort. Mais il ne faut pas oublier que, grâce au principe de la division industrielle des Syndicats, tous les employés, dans les organismes soviétistes d’ordre industriel, sont considérés être membres de l’industrie respective qu’ils desservent. De cette façon, il n’y a aucun doute que le nombre des employés et fonctionnaires dépasse le million, ce qui donne au moins 16 % de toute la population ouvrière de la Russie.
Mais quand nous arrivons à la représentation des masses ouvrières au Congrès, nous trouvons une manifestation bien plus intéressante. Sur les 1.055 délégués, 688 sont présidents de Syndicats ! En d’autres mots, Plus de 65 % des délégués sont des fonctionnaires syndicaux occupant le poste le plus important dans leur Syndicat. Quand on se rappelle que la grande masse des syndiqués est relativement passive à la vie syndicale, on comprend la facilité avec laquelle les présidents de Syndicats sont capables de se faire élire au Congrès.
Outre les présidents, nombre de délégués sont, parmi les secrétaires de Syndicats, présidents de Comités d’usines, membres d’exécutifs locaux, etc. En subdivisant en trois groupes distincts les délégués, nous obtenons le tableau suivant :
Présidents de Syndicats, Présidents, de Comités d’Usines, Secrétaires de Syndicats, Membres d’Exécutifs, Chefs de Départements de Syndicats : 1.001 soit 94,8 % du total.
Délégués ambulants, Instructeurs syndicaux, militantes, militants ayant des postes dans d’autres organisations : 47, soit 4,6 % du total.
Membres de Syndicats n’ayant aucun poste : 7, soit 0,6 % du total.
Ainsi donc, sur 1.055 délégués, il n’y en a eu que sept choisis directement sur leur lieu de travail ; tous les autres sont soit fonctionnaires, soit permanents.
Quant au caractère politique du Congrès, les chiffres indiquent plus que jamais jusqu’à quel degré la vis de la dictature du prolétariat s’est resserrée et a étouffé toute possibilité d’expression indépendante. Sur les 1.055 délégués, il y a eu 1.047 communistes (98,8 %) et 13 sans parti (1,2 %) ! La terreur tchékiste a fait table rase de toute idéologie autre que celle reconnue par l’État bolchéviste.
[|Cotisations et finances|]
« La question centrale du travail syndical », écrit M. Guéguétchkori, dans un article sur les finances syndicales au VIe Congrès des Syndicats Panrusses [[ Vestnik Trouda, p.154]], « a été celle de la cotisation individuelle. Ayant refusé l’appui gouvernemental, les Syndicats se sont vus forcés de considérer la cotisation des membres comme la seule source de leur existence. »
Ce n’est qu’aujourd’hui que nous apprenons officiellement qu’avant l’introduction de la cotisation individuelle, les Syndicats existaient bel et bien sur le budget général de l’État. Que de fois nous le disions auparavant, et que de fois des démentis formels — aussi menteurs que formels — nous disaient le contraire. Maintenant que le gouvernement bolchéviste, obligé de suivre la pente de la N.E.P., a fermé sa caisse aux Syndicats, on « comprend » la grande importance de la cotisation individuelle. « En payant sa cotisation consciemment, et volontairement », nous dit Guégnétchkori [[ Loc. cit, p.159.]], « le syndiqué veut aussi savoir où va son sou. Certes, il ne peut pas être satisfait du fait, souvent enregistré ces derniers temps, que la plus grande partie de la caisse syndicale soit dépensée pour l’entretien des fonctionnaires. » Il est ‘notoire, en effet, que les dépenses purement bureaucratiques des Syndicats — salaires du personnel, des permanents, paperasses, etc. — dépasse le plus souvent la moitié du chiffre des cotisations. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les syndiqués rouspètent…
[|Détournements des fonds syndicaux.|]
Cette méthode de « liquider » ce qui reste dans la caisse syndicale après rémunération du personnel innombrable dans chaque Syndicat, a pris un essor gigantesque. Voici quelques statistiques ramassées dans des journaux officiels :
Syndicat des Métaux. — Déprédations par trimestre (année 1924)[[En roubles-or]] :
2e trimestre | 3e trimestre | 4e trimestre | |
Somme totale pour Comité régionaux | 240 | 2262,39 | 5514,51 |
Léningrad | 1072,43 | 553,55 | 7757,98 |
Moscou | » | 3049,41 | 3364, 75 |
Total général | 1312,43 | 5865,75 | 16637,24 |
Somme globale pour l’année : 23815,42.
« Comme on le voit » dit S. Boudnik [[ Métallist organe central de la Fédération Russe des Métaux, n°3]], « les déprédations du 3e trimestre sont cinq fois plus fortes que celles du 4e trimestre et quatorze fois plus fortes que celles du 2e trimestre. »
Syndicat des Cuirs et Peaux. — Syndicat du district de Ter : le secrétaire a dépensé les fonds du Syndicat ; sera jugé. — Syndicat de l’Oural : le secrétaire du Comité local, Gontcharoff, a dépensé pour ses besoins personnels 68 roubles appartenant au Comité d’Usine. — Léningrad : le représentant du Syndicat, dans un des ateliers, a dépensé 290,92 roubles de cotisations de membres. — Syndicat du département de Tver : le caissier Olissof n’a donné que 5 roubles sur 531,07 qui devaient se trouver dans sa caisse. — Un correspondant Syndical de Toula rapporte que les fonds syndicaux vont à des orgies. — À Tambow : le secrétaire du Comité d’Usine, Pavlov, a pris la fuite, ayant approprié 27 roubles de la caisse syndicale. — À Moscou : la Commission syndicale de révision a découvert un déficit de 566,12 roubles à l’usine « Chorkoj ». — Un autre Correspondant syndical d’un autre Syndicat de district écrit que l’appropriation des fonds syndicaux a pris un caractère épidémique [[
Rapport d’un correspondant syndical : le ‘président du Comité de l’Usine « Tzentropossad », à Kharkoff, un nommé Katz, a approprié 600 roubles de fonds syndicaux et les a dépensés dans des orgies [[ La Voix du Travailleur des Cuirs et Peaux, n°6, 15 mars 1925, p.6.]]
Le président du Comité, d’Usine, à Yaroslav, a approprié environ 1500 roubles [[ Ibid., p.6.]].
À Toula, 4.500 roubles de la caisse syndicale ont été détournés par le président du Syndicat, Korneeff ; par le président du Comité de l’Usine n°4, Batourine, et par le président du Comité de l’Usine des harnais, Titouchine. L’argent a été dépensé dans des orgies [[ Ibid., p.7.]]
Syndicats divers. — « On a découvert, en 1924, des détournements de cotisations syndicales à la fabrique de tabac de Kostroma, au Syndicat départemental d’Omsk d’approvisionnement national, au Syndicat départemental du Donetz, des ouvriers des usines chimiques, au Bureau syndical du district de Maikop… y a des cas de détournements de fonds syndicaux dans les Comités locaux du Syndicat des employés des institutions soviétiques, etc., etc. [[M.
[|Salaires et travail par pièce.|]
Salaires mensuels à Léningrad [[
Nom de l’usine | Sept. 1924 | Déc. 1924 | Augment, + ; Dimin. - |
Skorokhod | 73,80 | 66,63 | - 9,8 % |
Radichtcheff | 73,96 | 66,25 | -10,5 % |
Marxiste | 66,87 | 73,74 | +10,27 % |
Komintern | 66,82 | 53,25 | - 20,3 % |
Bebel | 70,24 | 66,46 | - 5,4 % |
Ces salaires sont bien au-dessous du minimum nécessaire, vu la cherté des vivres et des matières premières. La diminution des salaires dans la période de septembre à décembre s’explique surtout par le fait que c’est dans cette période que le gouvernement russe, d’accord avec le Conseil des Syndicats, a introduit le système de paiement par pièce. Ce système, toujours abhorré par le mouvement ouvrier mondial et considéré être le système d’exploitation par excellence, a été introduit par les bolchévistes russes dans le but d’intensifier la productivité du travail. Voici les premiers résultats obtenus dans l’industrie des cuirs et peaux [[ Les travailleur des Cuirs et Peaux, Moscou, n°7 (115), 15 avril 1925„ p.4.]] :
[|Influence du travail par pièce sur productivité et salaires.
(Moscou)|]
Les chiffres sont pour janvier 1925, après 4 mois d’expérience du travail par pièce ; les chiffres pour octobre 1924 étant pris pour base de comparaison (= 100 %).
Nom de l’usine | Productivité | Salaires |
Cuirs : | ||
Troujenik | 130,9 % | 119,00 % |
Chorkoj | 95,5 % | 99,2 % |
Zemlyatchka | 143 % | 97,2 % |
Troyekourovsky | 110,2 % | 86,6 % |
Krasny Postavchtchik | 216,7 % | 118,99 % |
Krasny Kojevnik | 137,4 % | 114,5 % |
Chaussures : | ||
Commune de Paris | 113,9 % | 101,7 % |
Bourevestnik | 154,4 % | 127,6 % |
Krasny Obouvchtchik | 120,3 % | 212,8 % |
Krasnaya Oborona | 296,3 % | 93,00 % |
Chkola | 115,1 % | 91,4 % |
Comme on le voit, ce système « sudorifique » a bien augmenté la productivité, en même temps qu’il a diminué les salaires : relativement dans tous les cas (à l’exception d’un seul), et absolument dans presque la moitié des cas.
Tout pour l’État prolétarien, y compris la santé et la vie des travailleurs, tel est le nouveau. mot d’ordre des meneurs qui se sont placés à la tête de la classe ouvrière russe.
Les États « bourgeois » n’ont qu’à imiter et a le faire pour le bien du prolétariat.
[|Les contrats collectifs.|]
Depuis l’introduction de la NEP, les Syndicats ont élaboré des spécimens de contrats à être signés entre ouvriers et patrons (ou État). Ces contrats étaient généralement élaborés et signés par les centrales syndicales d’industries. Le VIe Congrès des Syndicats de l’Union a enfin compris qu’il y avait des limites même à la centralisation bolchéviste. En effet, il décida que « dans le but d’introduire une relation directe entre l’augmentation de la productivité du travail et les fluctuations des salaires, il est nécessaire d’introduire une décentralisation des contrats au moyen de la limitation du système de contrats généraux intersyndicaux. ».
De plus, les ouvriers n’avaient, jusqu’ici, aucune voix directe dans l’élaboration de ces contrats. On va maintenant y remédier — du moins sur papier. Le Congrès a décidé que « dans le but de garantir avec succès la réalisation des contrats collectifs et de les employer plus souvent à titre éducatif, il est nécessaire à ce que les contrats collectifs soient, avant leur acceptation, préalablement discutés à fond dans des réunions générales ». « Dans ce même but le Congrès considère nécessaire de continuer le travail de simplification des contrats collectifs de façon à ce qu’ils soient facilement compréhensibles aux ouvriers ».
[|Qu’est-ce que la politique ?|]
Voici le texte d’une des résolutions du VIe Congrès :
« Les problèmes politiques de la classe ouvrière exigent, dans le but de renforcer l’union avec les paysans, la réduction encore plus marquée des prix de produits industriels… »
Il paraît que ce n’est pas au point de vue de l’économie nationale que les prix doivent être réduits…
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