Depuis le jour où Titus Vespasien, pour en finir avec l’indomptable Judée (qui, seule au monde, osa refuser de tendre la nuque au joug romain), dispersa le peuple d’Israël, celui-ci n’a pas un seul instant cessé de rêver à la reconstitution de la patrie détruite.
Les prières quotidiennes sont un appel incessant vers la terre de Jérusalem et le soir du Grand Pardon, après une journée de jeûne complet et d’interminables lamentations, dix millions de poitrines poussent à la même heure, sur tous les points du globe, depuis deux mille ans, le même cri :
« L’année prochaine à Jérusalem. »
Nombreux ont été ceux qui, au cours du moyen âge et de nos temps ont formulé des projets de reconstitution de l’État juif. Mais les masses juives n’ont jamais suivi les faiseurs de projets et s’en sont remises à un problématique messie du soin de la « reconstruction du temple de Salomon ».
Théodore Herzl, dramaturge, romancier et journaliste autrichien, correspondant à Paris, durant sept ans, de la Nouvelle Presse Libre de Vienne, conçut un projet pratique, réalisable, en tout cas minutieusement étudié d’un « État juif ».
Son livre eut un retentissement prodigieux. Il galvanisa les masses juives qui, sous cette impulsion, se groupèrent, s’organisèrent et fondèrent une puissante organisation mondiale. Herzl réussit à gagner à ses projets de nombreux non-juifs et même quelques chefs d’État. Mais il n’arriva pas à obtenir du Sultan la Charte indispensable à la colonisation de la Palestine, ni des Juifs le consentement à la fondation de leur futur État ailleurs que sur le territoire même de l’ancienne .Judée.
Il mourut en 1904, emportant la vénération de millions de Juifs, mais sans l’espoir de la réalisation de son utopie, si proche cependant.
Le Sionisme, fondé par Herzl, lui survécut. Mais il ne réussit jamais à trouver un guide digne de son fondateur. Ce mouvement, éminemment populaire, grandit par une poussée de bas en haut et attire vers lui la vraie élite, de cœur et de cerveau, des foules juives. Tous ceux qui pensent, tous ceux qui peuvent compatir aux souffrances d’autrui s’intéressent, de près ou de loin, à cet étrange phénomène social.
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L’organisation sioniste exige, ressuscitant un mot et un usage bibliques, une contribution individuelle ainsi dénommée : Chekel (1 fr. 25). Une banque, siégeant à Londres, une presse puissante et universelle, une littérature déjà imposante, une Université hébraïque à Jérusalem, des écoles professionnelles en Palestine, forment les organes de ce mouvement dirigé par différents Comités fortement centralisés.
Les expériences du baron Edmond de Rotschild ont démontré que le Juif pouvait redevenir agriculteur, horticulteur ou forestier en Palestine, de même que celles du baron Hirsch ont prouvé qu’il ne réussissait pas en Argentine. Cet être éminemment nerveux et souple, s’adapte à tout, surmonte toutes les difficultés, à condition d’être soulevé par un idéal.
La guerre et sa conclusion fit faire au sionisme un bond vers la réalisation. L’Angleterre, la première, saisit l’intérêt qu’il y aurait pour elle de créer tout près du Canal de Suez une colonie juive sous son protectorat, tampon entre l’Égypte et la Syrie francisante, trait d’union entre son empire africain et son empire asiatique à travers la Mésopotamie et l’Arabie.
Les États-Unis, poussés par le million de Sionistes américains, suivirent de près. Enfin, notre Gouvernement ne se laissa pas trop distancer et accorda tout son consentement malgré les résistances, tant catholiques que juives. Si l’on comprend les premières à cause des Lieux-Saints, l’on peut se demander la raison de ces dernières ; elles viennent de la crainte des Israélites français de voir leur patriotisme suspecté dès lors qu’il y aurait un État juif et une nationalité juive.
L’on peut considérer comme adopté le projet suivant :
Sous le protectorat de la Grande-Bretagne, il sera fondé un « foyer national juif ».. Un Conseil national juif sera chargé par l’Angleterre de grands travaux publics qu’il réalisera grâce à la main-d’œuvre juive méthodiquement importée par lui en Palestine. Parallèlement, ce même Conseil procédera à l’aménagement progressif du pays, entre autres par la construction des villages destinés à abriter les colons.
Les prévisions les plus autorisées évaluent à 10.000 individus la capacité d’absorption annuelle du pays. Or, 600.000 Arabes vivent depuis des siècles sur son territoire qui ne comporte actuellement que 80.000 Juifs dont plus de la moitié sont des gens pieux venus mourir en terre sainte et vivant en attendant des aumônes universelles.
Le problème juif nous présente donc ces deux faces également tragiques. D’un côté, d’immenses foules opprimées cherchent un refuge dans un pays trop petit pour les abriter tous. D’un autre côté, deux propriétaires revendiquent le même sol en s’appuyant sur des titres équivalents.
Laissons aux juristes le soin de peser les droits respectifs des Arabes et des Juifs. Pour nous, c’est le droit biologique qui compte seul et il est égal des deux côtés. Peut-on laisser la majorité arabe administrer sinon gouverner la minorité juive, qui, sans discussion possible lui sera supérieure en civilisation ?
Un modus vivendi ne sera pas difficile à trouver. Il appartiendra à la Grande-Bretagne de favoriser d’un côté une vaste immigration juive et, de l’autre, une active émigration volontaire arabe. Le Gouvernement anglais aura, certes, fort à faire pour tenir la balance entre ces deux éléments qui ne manqueront pas de s’opposer violemment et mieux vaudra abréger les périodes de frictions et en réduire les surfaces.
Tel est, trop succinctement résumé, l’état actuel de la question. Elle mérite l’attention de tous, non seulement par l’étrange beauté du phénomène, unique dans l’histoire, mais encore, à cause des expériences richement instructives qu’on se propose de tenter.
Quelle sera l’organisation sociale de ce nouvel État ? Trois partis se trouvent en présence au sein du Sionisme. Les « Mizrahï » groupent les foules retardataires des ghettos russo-polonais ; ils rêvent une organisation théocratique, intolérante, imposant à tous les pratiques, saugrenues souvent, d’un ritualisme désuet, excroissance pathologique greffée par l’exil, la misère et l’isolement sur les belles doctrines juives. À l’autre aile du Sionisme se trouvent les Poali-Sion ou socialistes qui désirent la création immédiate d’un État communiste. Sur plus d’un point, ils se trouveront d’accord avec les Mizrahis, notamment sur la question de la propriété foncière. La bible, en effet impose, sous le nom de jubilé, le retour des terres tous les 50 ans à leurs premiers propriétaires ou à la collectivité ainsi que la remise des dettes, etc. L’on voit toutes les conséquences sociales qu’on pourrait déduire de l’accord ainsi établi entre les deux plus puissants partis sionistes.
Encore faudra-t-il veiller sur le troisième parti formant le centre du Sionisme. À Vrai dire, ce n’est pas un parti, mais une foule d’intellectuels, de bourgeois, où l’on trouve des idéalistes et des pêcheurs en eau trouble, des bavards et des illuminés, des ambitieux et des vaniteux. Les hommes désintéressés, compétents, froidement tenaces ne manquent pas. Des organisateurs ingénieux non plus. Malheureusement les foules n’ont pas toujours la main heureuse dans le choix de leurs guides. Elles ont une trop grande propension à suivre les flatteurs et ceux qui leur font les plus irréalisables promesses. C’est bien à cause de ces difficultés que la tâche, si ingrate qu’elle paraisse au premier abord, doit tenter les hommes les plus épris d’idéalisme.
Abandonner ce mouvement aux mains inexpertes et le suivre d’un œil ironique, c’est assumer une part de responsabilité dans l’échec d’une des plus belles expériences qui aient jamais été tentées.
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Il y a déjà une expérience instructive dans l’essai qui va être tenté de transplantation de grosses masses d’individus ; il est question, en effet, de transporter des gens avec leur outillage, de façon qu’ils continuent en Palestine le métier qu’ils pratiquaient en Europe ; une rue de Varsovie, entièrement habitée par des petits artisans fabriquant des espèces d’« articles de Paris », s’installerait telle quelle à Jérusalem.
Le sucés de pareille entreprise n’autoriserait-il pas des essais analogues sur d’autres populations malheureuses, comme celles des Balkans, par exemple.
Pour faire cesser les inconvénients résultant de l’imbrication des populations hostiles, ne pourrait-on pas organiser des migrations en masse, des substitutions tendant à grouper ensemble ceux qui se supportent réciproquement et à éloigner les uns des autres ceux qui se détestent. À l’heure où l’Europe centrale se trouve « balkanisée » et que nombre de gens sensés y décèlent des germes d’une nouvelle guerre ; il nous semble que tout ce qui se rapporte aux grandes migrations méthodiques devrait fixer l’attention et obtenir des encouragements.
Mais ce n’est pas tout. La fondation de l’État juif pose immédiatement la question de son organisation sociale. En dehors de toute idéologie, il faut bien qu’on sache qui fera l’acquisition de la terre, qui la labourera et dans quelles conditions. Tout naturellement, on se trouve amené à redouter l’acquisition individuelle des propriétés, ce qui provoquerait une hausse dangereuse des prix. Et si l’on s’en remet à un organe de la collectivité juive pour l’acquisition des terres, il faudra bien qu’on tranche la question de la forme de la propriété.
Le « Fonds national juif » possédant une dizaine de millions a pour objet l’acquisition des terres en « Palestine comme propriété inaliénable du peuple juif ». Il fait exploiter ses terres par des associations fermières de cultivateurs. Il construit, en outre, des habitations ouvrières, fait des écoles et s’intéresse aux questions d’assainissement.
Mais pour le moment ces essais n’ont pas fait pencher définitivement les décisions dans le sens de la suppression soit de toute propriété individuelle, soit d’une forme quelconque de propriété collective. La crainte est grande de charger la « grande expérience » des hostilités et des objections que déchaîneraient la socialisation de tous les moyens de production. Non moins grande est la crainte opposée de déchaîner les instincts de spéculation…
Il semble bien acquis, en tout cas, que la forme exclusivement individuelle de la propriété avec le droit « d’user et d’abuser » ne trouvera place dans l’État en formation qu’à l’état sporadique.
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Nul ne peut méconnaître l’intérêt de tels événements. La Palestine, de par ce qui précède, semble devoir redevenir comme naguère un laboratoire d’idées ; elle est, dès maintenant, considérée par l’Angleterre comme un carrefour entre l’Asie et l’Afrique. De bonnes langues insinuent que la « perfide Albion » n’aurait embrassé le Sionisme que pour l’étouffer. Ses agents font ce qu’ils peuvent pour accréditer cette opinion. La Palestine, à l’heure actuelle, est plus fermée que jamais aux Juifs. Avec brutalité, les soudards qui sont entrés en Palestine précédés par des soldats juifs ont procédé à leur dispersion alors qu’on leur avait promis des terres. Il est interdit aux Juifs d’y ouvrir des hôtels, de créer des industries : « nous attendons des Anglais ».
Les Juifs d’Orient qui se méfiaient de la protection française, par crainte de l’intolérance catholique, tournent leurs regards vers notre pays. Les Juifs anglais eux-mêmes crient à la perfidie et accusent de trahison les diplomates (
Encore une épreuve pour la « Société des Nations ».
[/Dr L…/]