Nous n’avons pas à répéter notre profession de foi à propos des élections au Conseil national suisse. Nous avons dit à satiété pourquoi nous refusons de participer au scrutin ; nous croyons que le suffrage universel, dans les conditions où il s’exerce aujourd’hui, est une duperie ; et c’est, seulement lorsque l’égalité économique aura donné à tous la vraie liberté, que le scrutin prendra la valeur morale que nous refusons de lui reconnaître aujourd’hui.
Il va sans dire que nous ne prétendons pas imposer notre opinion, et que chacun dans l’Internationale est libre d’apprécier les questions politiques à sa façon, à une seule condition : de ne pas faire de la politique bourgeoise.
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Hélas ! combien ce principe est encore peu compris au sein de certaines Sections internationales en Suisse ! Nous voyons des ouvriers qui se croient socialistes s’allier aux partis politiques bourgeois, et se faire les instruments aveugles de leurs intrigues, sous le prétexte que les ouvriers doivent donner l’appui de leurs votes à celui des partis bourgeois qui leur parait le plus avancé.
C’est ainsi qu’à Genève les internationaux, qui y sont, comme on le sait, dirigés par les marxistes, sont allés voter pour la liste radicale gouvernementale composée de quatre bourgeois, dont trois radicaux et un conservateur.
C’est ainsi qu’à Bâle, les internationaux, non moins marxistes, ont voté aussi pour deux bourgeois, MM. Klein et le colonel Bachofen, – ce dernier étant présenté comme le candidat spécial des ouvriers socialistes, en opposition à M. Stehlin, candidat des conservateurs. Quelle dérision !
C’est ainsi qu’à Zurich, les internationaux, toujours marxistes, ont voté également pour les candidats patronnés par le gouvernement, sous prétexte que ce gouvernement est démocratique.
Partout, malgré l’exemple donné par les ouvriers de divers pays voisins, qui ont absolument rompu avec les partis bourgeois et ont répudié hautement tonte cette politique électorale, partout nous voyons les ouvriers suisses se mettre encore à la remorque des meneurs politiques.
Seules, les sections de la fédération jurassienne ont gardé, vis-à-vis des partis bourgeois en lutte, l’unique attitude qui convienne à des internationaux : l’abstention.
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À la Chaux-de-Fonds, on le sait, il y a à côté de la section jurassienne, un petit groupe formé d’anciens coullerystes ( partisans de Coullery), et qui prétend constituer aussi une Section de l’Internationale. C’est ce groupe qui avait donné, pour le Congrès de la Haye, un mandat en blanc au blanquiste Vaillant. Or, ces coullerystes, les fidèles alliés de Marx. et de l’Égalité de Genève, ont cru devoir prendre publiquement parti dans la lutte électorale ; et quels sont les cinq candidats qu’ils ont mis en avant ? Ils ont pris un nom dans la liste des radicaux, un nom dans celle des conservateurs, et trois noms dans celle des fédéralistes, ce qui a donné trois avocats, un notaire et un négociant. Et ils ont osé appeler cela liste de l’Internationale ! À ce procédé, nos amis des autres pays pourront juger ce que valent les hommes qui se font ici les champions de M. Marx.
À cette manifestation des coullerystes, d’autres citoyens, tout-à-fait étrangers à l’Internationale, qui prennent la qualification de socialistes et qui n’ont jamais su ce que c’est que la question sociale, ont répondu par un placard dans lequel ils ont déclaré que les socialistes, les vrais et authentiques socialistes, voteraient la liste des radicaux, parce que les radicaux veulent le bonheur du peuple ! Ce qui a provoqué une réplique des coullerystes, lesquels ont traité les socialistes en question d’agents soudoyés par les radicaux. Là-dessus, réponse des soi-disant socialistes qui, dans l’organe officiel du parti radical le National suisse, se déclarent dévoués aux principes du progrès et amis des radicaux, et accusent à leur tour les coullerystes d’être les agents des conservateurs.
Pendant que se jouait cette triste comédie la Section internationale de la Chaux-de-Fonds, adhérente à la Fédération jurassienne, se tenait à l’écart de ces tripotages malpropres, et sentait toujours plus se fortifier sa conviction que l’abstention systématique du vote est aujourd’hui le seul moyen d’arracher les ouvriers aux intrigues politiques des partis bourgeois.
Par ce petit échantillon de nos affaires de ménage intérieur, nos amis du dehors pourront juger de la situation qui nous est faite, et comment nous avons à lutter, d’une part contre les marxistes de la Chaux-de-Fonds (ou coullerystes) qui se font chez nous les alliés du parti conservateur, d’autre part contre ceux qui voudraient entraîner les ouvriers à la suite du parti radical, comme ces soi-disant socialistes dont nous venons de parler ou comme les marxistes de Genève.