La Presse Anarchiste

Les élections du 27 octobre

Nous n’a­vons pas à répé­ter notre pro­fes­sion de foi à pro­pos des élec­tions au Conseil natio­nal suisse. Nous avons dit à satié­té pour­quoi nous refu­sons de par­ti­ci­per au scru­tin ; nous croyons que le suf­frage uni­ver­sel, dans les condi­tions où il s’exerce aujourd’­hui, est une dupe­rie ; et c’est, seule­ment lorsque l’é­ga­li­té éco­no­mique aura don­né à tous la vraie liber­té, que le scru­tin pren­dra la valeur morale que nous refu­sons de lui recon­naître aujourd’hui.

Il va sans dire que nous ne pré­ten­dons pas impo­ser notre opi­nion, et que cha­cun dans l’In­ter­na­tio­nale est libre d’ap­pré­cier les ques­tions poli­tiques à sa façon, à une seule condi­tion : de ne pas faire de la poli­tique bourgeoise.

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Hélas ! com­bien ce prin­cipe est encore peu com­pris au sein de cer­taines Sec­tions inter­na­tio­nales en Suisse ! Nous voyons des ouvriers qui se croient socia­listes s’al­lier aux par­tis poli­tiques bour­geois, et se faire les ins­tru­ments aveugles de leurs intrigues, sous le pré­texte que les ouvriers doivent don­ner l’ap­pui de leurs votes à celui des par­tis bour­geois qui leur parait le plus avancé.

C’est ain­si qu’à Genève les inter­na­tio­naux, qui y sont, comme on le sait, diri­gés par les mar­xistes, sont allés voter pour la liste radi­cale gou­ver­ne­men­tale com­po­sée de quatre bour­geois, dont trois radi­caux et un conservateur.

C’est ain­si qu’à Bâle, les inter­na­tio­naux, non moins mar­xistes, ont voté aus­si pour deux bour­geois, MM. Klein et le colo­nel Bacho­fen, – ce der­nier étant pré­sen­té comme le can­di­dat spé­cial des ouvriers socia­listes, en oppo­si­tion à M. Steh­lin, can­di­dat des conser­va­teurs. Quelle dérision !

C’est ain­si qu’à Zurich, les inter­na­tio­naux, tou­jours mar­xistes, ont voté éga­le­ment pour les can­di­dats patron­nés par le gou­ver­ne­ment, sous pré­texte que ce gou­ver­ne­ment est démocratique.

Par­tout, mal­gré l’exemple don­né par les ouvriers de divers pays voi­sins, qui ont abso­lu­ment rom­pu avec les par­tis bour­geois et ont répu­dié hau­te­ment tonte cette poli­tique élec­to­rale, par­tout nous voyons les ouvriers suisses se mettre encore à la remorque des meneurs politiques.

Seules, les sec­tions de la fédé­ra­tion juras­sienne ont gar­dé, vis-à-vis des par­tis bour­geois en lutte, l’u­nique atti­tude qui convienne à des inter­na­tio­naux : l’abstention.

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À la Chaux-de-Fonds, on le sait, il y a à côté de la sec­tion juras­sienne, un petit groupe for­mé d’an­ciens coul­le­rystes ( par­ti­sans de Coul­le­ry), et qui pré­tend consti­tuer aus­si une Sec­tion de l’In­ter­na­tio­nale. C’est ce groupe qui avait don­né, pour le Congrès de la Haye, un man­dat en blanc au blan­quiste Vaillant. Or, ces coul­le­rystes, les fidèles alliés de Marx. et de l’É­ga­li­té de Genève, ont cru devoir prendre publi­que­ment par­ti dans la lutte élec­to­rale ; et quels sont les cinq can­di­dats qu’ils ont mis en avant ? Ils ont pris un nom dans la liste des radi­caux, un nom dans celle des conser­va­teurs, et trois noms dans celle des fédé­ra­listes, ce qui a don­né trois avo­cats, un notaire et un négo­ciant. Et ils ont osé appe­ler cela liste de l’In­ter­na­tio­nale ! À ce pro­cé­dé, nos amis des autres pays pour­ront juger ce que valent les hommes qui se font ici les cham­pions de M. Marx.

À cette mani­fes­ta­tion des coul­le­rystes, d’autres citoyens, tout-à-fait étran­gers à l’In­ter­na­tio­nale, qui prennent la qua­li­fi­ca­tion de socia­listes et qui n’ont jamais su ce que c’est que la ques­tion sociale, ont répon­du par un pla­card dans lequel ils ont décla­ré que les socia­listes, les vrais et authen­tiques socia­listes, vote­raient la liste des radi­caux, parce que les radi­caux veulent le bon­heur du peuple ! Ce qui a pro­vo­qué une réplique des coul­le­rystes, les­quels ont trai­té les socia­listes en ques­tion d’a­gents sou­doyés par les radi­caux. Là-des­sus, réponse des soi-disant socia­listes qui, dans l’or­gane offi­ciel du par­ti radi­cal le Natio­nal suisse, se déclarent dévoués aux prin­cipes du pro­grès et amis des radi­caux, et accusent à leur tour les coul­le­rystes d’être les agents des conservateurs.

Pen­dant que se jouait cette triste comé­die la Sec­tion inter­na­tio­nale de la Chaux-de-Fonds, adhé­rente à la Fédé­ra­tion juras­sienne, se tenait à l’é­cart de ces tri­po­tages mal­propres, et sen­tait tou­jours plus se for­ti­fier sa convic­tion que l’abs­ten­tion sys­té­ma­tique du vote est aujourd’­hui le seul moyen d’ar­ra­cher les ouvriers aux intrigues poli­tiques des par­tis bourgeois.

Par ce petit échan­tillon de nos affaires de ménage inté­rieur, nos amis du dehors pour­ront juger de la situa­tion qui nous est faite, et com­ment nous avons à lut­ter, d’une part contre les mar­xistes de la Chaux-de-Fonds (ou coul­le­rystes) qui se font chez nous les alliés du par­ti conser­va­teur, d’autre part contre ceux qui vou­draient entraî­ner les ouvriers à la suite du par­ti radi­cal, comme ces soi-disant socia­listes dont nous venons de par­ler ou comme les mar­xistes de Genève.

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