La Presse Anarchiste

L’insurrection du Ferrol

Nous n’a­vons connu que par les jour­naux bour­geois ce qui s’est pas­sé récem­ment au Fer­rol, et nous n’a­vions pu juger du véri­table carac­tère du mou­ve­ment qui s’est pro­duit dans cette ville. Mais un article de la Fede­ra­cion de Bar­ce­lone du 26 octobre, que nous repro­dui­sons ci-des­sous, nous donne main­te­nant quelques expli­ca­tions à ce sujet :

« Les tra­vailleurs du Fer­rol, comme il y a quelque temps ceux de Xérès, ont été vic­times d’une manœuvre de la poli­tique bourgeoise.

Une fois de plus le sang ouvrier a cou­lé inutilement.

Nous ne savons pas d’une manière cer­taine quel a été l’o­ri­gine de ce nou­veau drame.

Les chefs sont des poli­tiques, ayant les plus mau­vais anté­cé­dents. Néan­moins, le dra­peau arbo­ré était le dra­peau rouge.

Les tra­vailleurs du Fer­rol, nos lec­teurs se le rap­pellent, avaient beau­coup souf­fert ; le gou­ver­ne­ment ne les payait pas, il leur devait plu­sieurs mois de salaire.

Le gou­ver­ne­ment qui sait bien payer régu­liè­re­ment les appoin­te­ments des mili­taires qui lui donnent l’ap­pui de la force bru­tale, et de tous les autres fléaux de la socié­té qui nous abru­tissent et nous dominent, – le gou­ver­ne­ment laisse dans le plus com­plet aban­don, dans l’ou­bli le plus cri­mi­nel, les tra­vailleurs qu’il occupe dans les arse­naux et dans d’autres ateliers.

Ceci nous fait com­prendre que le déses­poir, la faim, ont dû entrer pour beau­coup dans le sou­lè­ve­ment des ouvriers de l’ar­se­nal du Ferrol.

Mais les évé­ne­ments ont prou­vé aus­si que nos frères ont été misé­ra­ble­ment ven­dus, trom­pés et tra­his par ces viveurs ambi­tieux et ces char­la­tans, qui ne cherchent que l’oc­ca­sion, non de faire la Révo­lu­tion sociale pour éman­ci­per le pro­lé­ta­riat, mais de pro­vo­quer des émeutes, de san­glantes comé­dies, qui leur per­met­traient, s’ils triom­phaient, d’at­teindre leur but : s’emparer du pou­voir, deve­nir des hommes d’É­tat, afin de conti­nuer pour leur compte l’œuvre d’ex­ploi­ta­tion et de des­po­tisme que tout État doit néces­sai­re­ment accomplir.

En voyant aujourd’­hui nos frères du Fer­rol les uns pri­son­niers, les autres fugi­tifs et errants, et leurs mal­heu­reuses familles vic­times de tant d’in­for­tunes, sans appui, sans pères, sans frères, sans aucun secours… nous sen­tons une pro­fonde indi­gna­tion contre les misé­rables auteurs de tant de maux ; contre ceux qui par caprice et par soif du pou­voir, n’ont pas craint de pla­cer un noble peuple dans la situa­tion la plus pré­caire et la plus angoissante.

Il est temps, assu­ré­ment, que le peuple cesse d’a­voir confiance en ceux qui lui pro­mettent de lui don­ner la liber­té et ses droits. Qu’il n’ou­blie plus que l’é­man­ci­pa­tion des tra­vailleurs doit être l’œuvre des tra­vailleurs eux-mêmes. Ce qui signi­fie que la Révo­lu­tion sociale doit être faite par ceux-là seuls qui sont les inté­res­sés, c’est-à-dire par les travailleurs.

Il est néces­saire que nous appre­nions à tra­vailler pour notre propre compte. Que les ouvriers espa­gnols n’ou­blient pas que nos mal­heu­reux frères les insur­gés du Fer­rol, qui ont arbo­ré le dra­peau rouge, ont été insul­tés par les meneurs du par­ti répu­bli­cain ; qu’ils ont été appe­lés fac­tieux par ces hommes qui en même temps affir­maient que les droits indi­vi­duels nous sont garan­tis !

Par quel men­songe ces hommes qui savent bien que l’ou­vrier est exploi­té, volé dans ses sueurs et dans son intel­li­gence, qu’il n’est pas maitre des fruits de son tra­vail, qu’il ne pos­sède rien, qu’il n’a aucune garan­tie de ses droits ni de rien — peuvent-ils sou­te­nir que nous jouis­sons actuel­le­ment des droits indi­vi­duels ?

Vous avez été décla­rés traîtres, frères du Fer­rol, parce que vous avez été, non pas vain­cus, mais livrés ; mais si vous aviez conquis pour eux le pou­voir, ils vous auraient décla­rés grands, nobles, héroïques, ils auraient enton­né des hymnes en votre hon­neur, ils vous auraient décla­rés libres, ils vous auraient appe­lés citoyens… mais votre ser­vi­tude éco­no­mique aurait continué.

Com­pa­gnons de tra­vail, orga­ni­sons-nous ; répan­dons chez nos frères exploi­tés les prin­cipes de la révo­lu­tion ; deve­nons forts ; et alors nous pour­rons accom­plir la Révo­lu­tion sociale, pour laquelle nous devons tous être dis­po­sés à faire les plus grands sacrifices.

Plus de san­glantes comé­dies ! Alerte, peuple travailleur !

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