La Presse Anarchiste

Aux serviteurs socialistes de l’Empire

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Ottawa ou Belfast ?

Otta­wa : suprême effort de Mac­do­nald pour conso­li­der l’Em­pire qui s’é­croule en res­ser­rant entre les déten­deurs du blé cana­dien et les miniers anglais le pacte d’af­fa­me­ment d’un pro­tec­tion­nisme monstrueux.

Bel­fast : émeute de la capi­tale anglaise de l’Ir­lande, insur­rec­tion de la misère contre l’Em­pire, qui met à l’ordre du jour, par l’or­gane du Comi­té de Bel­fast des grou­pe­ments d’ou­vriers révo­lu­tion­naires, « la pro­cla­ma­tion d’une Répu­blique indé­pen­dante des ouvriers et pay­sans de l’Ir­lande du Nord ».

Entre Otta­wa et Bel­fast, entre l’Em­pire et la Révo­lu­tion, les par­le­men­taires socia­listes du Labour Par­ty avaient à choi­sir. On devi­ne­ra par le texte ci-des­sous – déjà ancien, mais, hélas, plus actuel que jamais – quelle posi­tion est depuis tou­jours et reste la leur.

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Aux serviteurs socialistes de l’Empire

Hommes des idéals per­dus, dites, où pré­ten­dez-vous conduire ? Que signi­fie cet Empire pour lequel vous don­ne­riez nos vies ?

Par Empire, enten­dez-vous ceux avec qui vous avez lié asso­cia­tion dans le monde des clubs ou bien ceux que vous avez naguère pro­mis de ser­vir par la parole, dans la Chambre des Communes ?

Est-ce là l’Em­pire, tous ces esclaves conduits comme du bétail et exté­nués de faim, qui se ruent en cou­rant dans les artères des puis­santes villes, qui se crispent sur l’ou­til dans les usines, les ate­liers et les fabriques on bien sous terre, des­cendent vers les antres où la consomp­tion s’a­li­mente de chair humaine, dans les caves et dans les mines ? Et les êtres étouf­fés, sai­gnés à blanc, muti­lés, qui meurent dans l’Em­pire, assas­si­nés près de leur tra­vail, au milieu de la machi­ne­rie, des poi­sons chi­miques, sur les che­mins de fer, sur les bateaux qui ne reviennent plus : ces mil­liers qui, tout du long, arrosent du sang de leur vie la route des « mala­dies pro­fes­sion­nelles », la route qui des­cend, la route de l’en­fer, afin de faire rejaillir une fois encore aux fon­taines de l’or, le bon, le brillant, l’ai­mable métal, – est-ce bien cela, l’Empire ?

Est-ce l’Em­pire, tous ceux qui sont sans mai­son, qui sont dépouillés, toutes ces âmes errantes qui viennent au monde dans la pau­vre­té, vivent dans la faim et meurent dans la boue ? Tous ces tau­dis, ces bagnes, ces bor­dels, ces palais, ces pri­sons, est-ce ça, l’Empire ?

L’Em­pire ! Est-ce que ça veut dire les mil­lions qui besognent et suent, jour après jour, sans récom­pense, sauf le droit de beso­gner encore, jus­qu’à ce qu’ils meurent ? Est-ce que ça veut dire les hommes et les femmes qui, en hiver, gisent dans les rues de la ville et se tassent l’un contre l’autre pour un peu de cha­leur au milieu de la sau­va­ge­rie gla­cée de la civi­li­sa­tion ? On bien ceux qui font la queue aux portes des asiles de l’Ar­mée du Salut, misé­rables créa­tures amai­gries, menant une vie dix mille fois pire que la mort, et men­diant quand même un peu de nour­ri­ture ? Est-ce que cela veut dire : pas de cha­leur humaine, pas de cama­ra­de­rie, pas d’es­poir — rien que, la morne oppres­sion hagarde qui stagne et qui main­tient tout en stagnation ?

Est-ce que cela com­prend aus­si les tombes de ceux qui éle­vèrent fai­ble­ment la voix pour deman­der le droit au pain quo­ti­dien, (le simple pain qui nour­rit le corps et pas celui qui for­ti­fie le cer­veau et le cœur, et que les riches appellent la rébel­lion), tous ces hommes qui ne deman­daient que du pain et que les sol­dats de l’Em­pire ont assas­si­nés ? L’Em­pire, est-ce aus­si Fea­thers­tone, Bel­fast, Dublin, Liverpool… ?

Est-ce aus­si les pros­ti­tuées qui vendent leur ventre pour du pain ?

Est-ce encore les poli­ti­ciens et les dieux du jour qui vendent leur âme pour vivre ?

Ou n’est-ce pas plu­tôt, cet Empire, les ache­teurs de ces âmes, les magnats de la mine, qui tra­fiquent en sub­sides, grands sei­gneurs par la grâce des usines, avec les maîtres déri­soires d’un mil­lion d’es­claves. Ce maqui­gnon­nage, n’est-ce pas l’Empire ?

Où est-il l’Em­pire ? Quels sont ces inté­rêts ? Est-ce qu’il faut le cher­cher à Bel­grave Square ou bien dans les bouges d’Hox­ton Road ?

Et les Empires d’en face ?

Est-ce qu’ils ne sont pas faits aus­si de bagnes indus­triels où des esclaves bri­sés sous le poids de la contrainte sont en pâture aux machines géantes qui rongent et réduisent la chair en pous­sière et en or ache­teur de puissance ?

Ces autres empires ne signi­fient-ils pas aus­si : catas­trophes de mines, che­mins de fer san­glants, ouvriers tués et muti­lés ? Ne signi­fient-ils pas aus­si allé­geances déri­soires, loyau­tés poli­tiques en toc, vaine cla­meur qui passe ? Voit-on les indi­vi­dus s’é­le­ver autre­ment qu’en pro­por­tion de leur sotte fri­pouille­rie, de leur vani­té ora­toire et de leur vide pré­ten­tion, jus­qu’aux som­mets du car­rié­risme et de la mutuelle com­plai­sance, dans le calme d’une pros­ti­tu­tion bien médiocre et bien ser­vile ? Et l’autre sorte de pros­ti­tu­tion aus­si, de ces êtres qui furent une fois des femmes, et qui pour man­ger tous les jours doivent se tenir sur le pas des portes, dans les rues sombres aux fenêtres blanches, vêtues d’une robe d’é­lé­gance et de honte, s’ac­cro­chant à ceux qui passent, et leur offrant leurs sou­rires et leur tendre pas­sion, leur espèce de charme, qui est leur sexe flé­tri, pour le prix en pièces de mon­naie, que leurs maîtres et maî­tresses en attendent — n’est-elle pas de tous les pays ?

L’Em­pire ne veut-il pas dire : « Exploi­ta­tion, misère, affa­me­ment pour les ouvriers », et cela clans chaque Empire ? — Ne veut-il pas dire : « inas­sou­vis­se­ment, pros­ti­tu­tion de corps et d’es­prit, celle des esclaves et celles des maîtres » ? Ne veut-il pas dire : « tau­dis, fraudes, sur-tra­vail, convoi­tise, super­sti­tion, hideur, hypo­cri­sie » ? Ne veut-il pas dire : « deux nations – les riches et les pauvres – et l’op­pres­sion du pauvre dans l’in­té­rêt du riche » ? Ne signi­fie-t-il pas l’âme de l’homme ser­rée et tarau­dée par les outils du capi­ta­lisme comme une matière brute ?

Chaque Empire est-il autre chose que le pau­pé­risme dans toute la splen­deur d’une ins­ti­tu­tion ? Le monde de la cafar­de­rie glo­ri­fiée par elle-même et orga­ni­sée pour la dégra­da­tion de l’humanité ?

Que nous importe que ces Empires s’en­tre­choquent ? Que nous importe si Satan dévore Bel­zé­buth ou est dévo­ré par lui ? Est-ce que ce n’est pas leur affaire ? Est-ce que Bel­zé­buth a le pou­voir de chas­ser les diables ? Satan celui d’ex­ter­mi­ner le capi­ta­lisme ? Sont-ce là les maîtres pour les­quels nous devons com­battre ? Pour les­quels nous devons mourir ?

Répon­dez, vous, mou­lins à paroles, idéa­listes sans cer­velle, braves par­le­men­taires, hommes d’é­tat en herbe ! Quand les empires seront tom­bés et quand les états auront pas­sé, il ne res­te­ra rien des hommes d’é­tat, pas même le mot. Qu’est-ce que l’hu­ma­ni­té pen­se­ra alors de vous, qui avez ven­du votre droit de nais­sance pour une écuelle de soupe, qui avez étouf­fé le droit sacré de lut­ter contre l’in­jus­tice, au pro­fit d’une vani­té de car­rière et de bien-être, dans un monde où tout homme digne de ce nom doit repous­ser ce confort avec dégoût ? Croyez-vous que nous autres, tra­vailleurs, nous n’exi­ge­rons pas de châ­ti­ment, que nous sup­por­te­rons votre traî­trise une fois pour toutes ?

Ne croyez pas cela. Le der­nier tyran pas­se­ra et il paie­ra, non seule­ment pour lui, mais pour tous ceux qui le pré­cé­dèrent. Le der­nier par­le­men­ta­riste, le der­nier socia­liste de gou­ver­ne­ment, le der­nier bureau­crate de trade-union devra payer pour tous les crimes contre l’é­man­ci­pa­tion, pour les tri­che­ries et les infa­mies, les moque­ries et le bavar­dage, le confor­misme et la ser­vi­li­té devant l’im­pé­ria­lisme, de tous les empoi­son­neurs du socia­lisme, pas­sés, pré­sents et futurs. Les hommes récoltent comme ils sèment. Ceci est vrai pour la fri­pouille du ruis­seau. Ceci est vrai du monarque qui laisse ses enfants expier dans leur sang le sang de ses propres crimes. C’est vrai de vous aus­si, babillards par­le­men­taires ! Pen­siez-vous qu’il n’y a pas de véri­té dans le monde parce qu’il n’y en a pas au par­le­ment ? L’u­ni­vers n’est pas une chi­mère. La souf­france n’est pas une farce. La nature n’est pas un men­songe. Au com­men­ce­ment, les par­le­ments n’ont pas créé le monde. C’est la lutte qui tire l’ordre hors du chaos – la lutte et l’au­dace de la convic­tion ! Que la lumière soit ! Et voyez comme la lumière est bonne !

Que la lumière soit ! Ne nous deman­dons pas com­ment nous pour­rons obte­nir la lumière par la per­mis­sion des puis­sances des ténèbres, en ver­tu des consti­tu­tions de la Nuit ! Ni com­ment nous pou­vons deve­nir des por­teurs de lumières sans nous sépa­rer de ceux de nos membres qui font par­tie du Conseil Pri­vé de la Nuit ! Mais que la lumière soit ! Voi­là la révolution.

Au com­men­ce­ment, le chaos : illu­sions de réformes, par­le­ment, car­rié­rismes, patrio­tisme, ouvriers tra­his, déçus, dépouillés. Tout cela, c’est le chaos. La lutte vers une forme et un des­sein, vers l’ordre et l’har­mo­nie com­mence – un monde se déve­loppe. Et c’est la révolution.

Et nous, ouvriers, nous sommes ce monde. Nous sommes ceux qui le révé­lons et le déve­lop­pons, qui le rêvons et le façon­nons, nous sommes ses parents et ses fils. Nous nous lève­rons et nous join­drons nos mains par des­sus les empires pour écra­ser les empires, et, sur les ruines du chaos, bâtir l’hu­ma­ni­té. Nous met­trons fin au monde d’hy­po­cri­sie, parce que – ô aveugles-nés du par­le­men­ta­risme ! – il est vide et informe, sans conscience et sans but, sans mou­ve­ment et sans profondeur.

Nous vous écra­se­rons, vous les phra­seurs, vous les outils de l’Em­pire, vous les car­rié­ristes fai­néants, vous les haïs­seurs de la vraie socié­té, vous les enne­mis de l’humanité.

Écou­tez notre accu­sa­tion, la logique de l’ex­pé­rience prolétarienne :

L’An­ti­par­le­men­ta­risme est au socia­lisme ce que le souffle est aux pou­mons : une expres­sion ou défi­ni­tion fonctionnelle.

Le socia­lisme se lève sous la socié­té capi­ta­liste comme la sagesse de révolte, l’en­ne­mi de la chose éta­blie. Il ne peut pas être « repré­sen­té » conven­tion­nel­le­ment parce qu’il est la vie même de la chose sup­pri­mée sur­gis­sant sous forme de rébel­lion. Ce n’est pas une menace pour des com­pro­mis, car il ne pro­gresse que comme une agres­sive néga­tion. Il en résulte que nul ne peut se dire socia­liste et res­ter un parlementaire.

Nul ne peut deve­nir un par­le­men­taire et res­ter un socialiste.

Nul ne peut deve­nir un par­le­men­taire et res­ter un homme.

Nul ne peut deve­nir un par­le­men­taire et res­ter simple et sin­cère dans sa parole. Pour que l’hu­ma­ni­té puisse res­pi­rer en liber­té et vivre en joie, vous et votre espèce, vous devez disparaître.

Hommes des idéals per­dus, nous vous hur­lons notre mépris comme un gage de bataille. Les Anti­par­le­men­ta­ristes savent que l’is­sue est entre l’Em­pire et la Com­mune. Ou bien le tyran devra nous écra­ser ou bien nous écra­se­rons le tyran. Mais vous, vous ne faites que vous tor­tiller, et réduire les mots, ces cris de com­bat pour les hommes, à quelque chose qui res­semble au grouille­ment ram­pant des vers.

Vous les par­le­men­taires, vous les construc­teurs d’empire, vous les conseillers pri­vés, vous les enne­mis du tra­vail ! La nuit est avan­cée et bien­tôt l’aube vien­dra éteindre vos stu­pides petites chan­delles, et mettre fin aux bavar­dages du Par­le­ment, qui ont réduit la parole de l’homme an babil d’un fou, et fait du temple de la terre une caverne de voleurs ser­vis par des esclaves. L’aube vient, et il vous fau­dra partir !…

[/G.A. Aldred

(« The Commune »)/]

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