Les doléances d’un camarade, instituteur, ont trouvé un écho, le mois dernier, dans les colonnes de la Revue Anarchiste.
Il est pénible pour l’élite du corps enseignant, d’être obligé de fausser, par devoir professionnel, le cerveau des jeunes enfants qui constituent l’avenir.
Et l’avenir, c’est un nouveau monde de liberté, de travail, de joie, de bonté et de fraternité.
Il s’agit de le fonder, certes, dans le plus bref délai, mais la réussite de nos projets, le triomphe de notre révolution, dépendent beaucoup de la culture morale et intellectuelle des hommes de demain, bambins aujourd’hui.
Actuellement, l’enfant, est complètement sous l’emprise de l’État qui le dresse, de façon à ce qu’il devienne, plus tard, entre ses mains, un citoyen, c’est-à-dire, un être possédant toutes les qualités nécessaires pour se plier, sans broncher, sous les lois les plus draconiennes, comme sous les plus inoffensives.
Docile instrument de l’État, l’enfant doit subir — devenu homme — la loi du Capital, la loi du Sabre et aussi… hélas ! la loi de la guerre qui le couche impitoyablement, pour toujours, sur le champ de bataille. C’est à l’école que se forment les bons citoyens et c’est dans les livres dits de Morale et d’Instruction Civique qu’ils font leur apprentissage de futurs exploités, de futurs encasernés et de futurs… soldats inconnus ! C’est contre cette ingérence de l’État, c’est contre cette Dictature de la Bourgeoisie régnante qu’un certain nombre d’instituteurs sont décidés à lutter.
Ces derniers seraient excellents pionniers de l’avenir, si un programme — auquel ils se soumettent non sans grincement de dents — ne les obligeait d’enseigner l’ignoble morale en vigueur dans toutes les écoles de France et de Navarre.
Ah ! si seulement l’École était neutre !
Que de bon travail ils pourraient faire, ces professeurs, sans pour cela donner à leurs élèves des cours d’antimilitarisme ou de chambardement, comme ils donnent aujourd’hui des leçons de patriotisme, tirées des Manuels du parfait Citoyen !
Semblable à l’École cléricale qui façonne les cerveaux à sa guise, pour le plus grand bien de l’esprit religieux, l’École laïque les pétrit pour son plus grand profit futur.
Ainsi va le monde.
Les générations qui se succèdent errent lamentablement dans l’immense forêt des préjugés et les frondaisons épaisses des stupides croyances leur masquent les vastes horizons de lumière et de vérité !
L’instituteur vont être un guide, un ami sûr et certain, dévoué autant qu’éclairé.
Il en a assez d’être obligé d’enseigner l’officiel mensonge alors qu’il lui serait si doux de propager la simple vérité !
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La toute nouvelle C.G.T.U. groupe peu d’instituteurs.
Il serait souhaitable qu’il y en eût davantage, mais c’est tout de même un résultat appréciable.
Tous ensemble, unis et confiants, ces instituteurs peuvent faire du bon travail, à la barbe des inspecteurs de tout grade et de tout acabit.
Dédaignant de laisser croupir la conscience de leurs élèves dans les bas-fonds d’une morale criminelle, ils élèveront, au contraire, cette conscience, vers les cimes les plus hautes du Beau et du Bien où l’on respire un air si pur…
— Mais, direz-vous, ces instituteurs seront tout de suite repérés et, ce sera, sans délai, le licenciement, (après la licence si chèrement acquise), ce sera la révocation avec ses tristes et funestes conséquences.
— Allons donc ! on ne met pas sur le pavé des milliers d’instituteurs sans susciter une certaine émotion… laquelle serait suivie d’une violente agitation qui gagnerait jusqu’à l’opinion publique.
Et l’opinion publique saisie, ce serait peut-être le commencement du triomphe, lorsque, les yeux enfin ouverts, elle comprendra pour quels motifs ces instituteurs se sont dressés contre ce monstre hideux, cet hydre horrible qui s’appelle l’État !