[[Suite, Voir le n° 4 de la Revue.]]
Déclaration préliminaire. — Ceci n’est pas à proprement parler, ce qui ailleurs a nom Constitution ; pas même un règlement : Le groupe initial et ceux qui — sous la désignation commune de Loge Libre, marque de leur unité — se formeront sur son modèle, s’administreront intérieurement sans entraves, en pleine autonomie. Il convient donc, de ne voir dans ces lignes, sorte de projet qui leur sera soumis, et par eux à chaque associé futur avant toute adhésion, que l’exposé sommaire de principes généraux, une base fondamentale. Notre sous-titre en est l’affirmation plus résumée encore, l’indication de l’œuvre avec la manière de la mener à bien.
Inutile, par conséquent, de protester que cette œuvre ne s’appuie et ne s’oppose à rien qui de près ou de loin paraisse lui ressembler ; elle est distincte. Son existence s’explique uniquement par son objet.
C’est dire aussi que toutes les opinions seront admises, et non point pour s’y dissoudre ou s’y atténuer autrement qu’à la lumière de la discussion — premier travail sur nous-mêmes. Nulle condition à l’entrée, sauf ces trois garanties : Intelligence, Sincérité, Caractère. À cet égard, les associés exerceront la plus grande vigilance unie à leur perspicacité, afin que la Loge reste l’être moral et fort qu’elle doit constituer : une même âme et des esprits divers mus par la bonne volonté. Dans cette triple caution, la droiture ne sera pas la moins indispensable ; le nombre des adhérents, quel qu’il soit, comptera pour peu.
La Loge donc, prenons les deux causes les plus fréquentes de division entre les hommes : la politique, la religion, les deux seules, à bien dire, en dehors des intérêts particuliers, qui ne sont pas ici en jeu, la Loge, en tant qu’Association, ne sera ni pour ni contre, ni d’une secte ni d’un parti, gardant ainsi fort sagement son rôle de centre philosophique ; mais ses membres en disserteront entre eux. Mieux encore, ces sujets, à l’égal des autres, seront traités en séance : tout se tient, et la Loge sera un centre d’études, d’études complexes, s’il le faut. Peut-être, n’est-il pas excessif d’espérer que des rapprochements, des aperçus divers, une critique avisée résultera où, premier bénéfice, ne trouveront plus de place les idées préconçues et les jugements a priori avec l’intransigeance de leurs absolus. Et pourquoi, dans cette compréhension élargie, ne verrions-nous pas l’instrument des succès à venir ? En majeure part, ces divergences ainsi que les entraînements irraisonnés sont le lot de l’ignorance (témoin : le peuple, puissance en tutelle, souverain régi) et dans les autres cas, entre gens bien intentionnés du moins, un pur malentendu. Pas de théorie vraie qui n’ait son dogmatisme, son côté systématique, par quoi elle trempe dans l’erreur. Pas de système, par contre, pas de critique entièrement faux, s’ils partent d’un fait constant, d’une parcelle de réalité. Ce sont les traits épars de la vérité aux apparences contradictoires, parfois. Ramassez tout cela, le contesté avec le convenu, en faire la synthèse, au moins à grandes données, et le montrer au peuple en formules accessibles aux entendements même rudimentaires serait une bonne affaire et une bonne action, non besogne académique seulement. Pour régulariser les effets du progrès, abondant et meurtrier, pour leur utilisation équitable, rationnelle, instruire, libérer les esprits, voilà bien la tâche qui s’impose tout d’abord. Nous serons des éducateurs collaborant, en manière efficace, à la résolution du problème social. Quel moyen meilleur pour préparer la paix du genre humain ? Cette propagande : incessante et discrète, sans zèle intempestif, de bonne compagnie et, sous toutes les formes écrites ou parlées, soit individuelle, soit d’ensemble, dépensant son activité en tous lieux. Nécessairement, par ramifications multipliées, la Loge sera universelle tout comme son action.
Bonne affaire, ai-je dit. Le mot appelle une précision, dans cet avertissement où la parole court sans réticences, sans détour — à égale distance du scepticisme et du mysticisme, néfastes aux œuvres de vie. L’explication n’est pas longue : Nous ne ferons pas ostentation de désintéressement, tant de surface et que les faits bientôt viennent démentir. La Loge ignorera les intérêts privés, c’est dit ; mais il n’en va pas ainsi de ses membres. Loyalement (sincérité, franchise, nous voici revenus à notre point de départ) il suffira qu’ils servent les leurs de haute, non de basse lutte. L’abnégation n’est pas une vertu que l’on puisse exiger couramment. Est-elle même une vertu dans les temps difficiles ? Ce qu’on demande, c’est l’accord des actes avec les principes, pour que rien de ce qui s’inspire du profit personnel ne discrédite, ne contrarie l’ensemble ou, prévoyons l’impassible, ne tente cette entreprise de mauvais goût : accaparer l’effort commun. Ce qui est offert, c’est l’avantage du groupement de talents variés qu’anime un mutuel vouloir ; ce sont les bienfaits de la solidarité : « Chacun pour tous et tous pour un », la puissance de l’association, qui sera grande si nous restons attachés à notre idéal. Orateurs, écrivains, penseurs y trouveront leur compte.
Précisons encore.
Pour le maintien de sa dignité, pour son indépendance et le respect de toute sa mission, la Loge se gardera de tous rapports directs, officiels ou officieux, avec le Pouvoir, et aussi de ceux qui pourraient se nouer par l’entremise de tels de ses membres qui auraient voix aux Conseils gouvernementaux. Ni faveurs ni intrigue ; ils ont leur péril et tant d’inconvénients. Son influence s’exercera par l’opinion publique plus éclairée, avertie.
Enfin, cette recommandation : Entre eux, les Égaux, conformément à leur nom, ne mettront aucune différence et, soit en séance, soit au dehors, point de cérémonial, nul mystère. Étant donné le but de la Société, à quoi cela servirait-il ? C’est à la pensée que les associés se reconnaîtront frères. Loge libre, libres esprits.
(À suivre.)
[/Édouard