La Presse Anarchiste

La science et l’anarchisme

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L’espèce humaine a com­men­cé à se dif­fé­ren­cier des espèces ani­males à une époque très loin­taine, dont nous n’avons pas d’idée exacte, faute de docu­ments pré­his­to­riques à ce sujet.

Com­ment s’est pro­duite cette dif­fé­ren­cia­tion ? L’hypothèse sui­vante, pour qui a étu­dié la zoo­lo­gie, ne semble pas déraisonnable :

On remarque en effet en zoo­lo­gie que chaque espèce ani­male, a, selon ses besoins d’existence, un organe mieux déve­lop­pé que les autres. Exemple : les oiseaux de proie qui ont besoin de pla­ner très haut et de voir très loin, ont des yeux per­çants et fas­ci­na­teurs ; l’abeille, qui butine des mil­liers de fleurs, a des yeux à mil­liers de facettes pour aper­ce­voir mieux ces innom­brables fleurs ; le lion, l’ours, tous les car­ni­vores ont des ongles et des dents poin­tus pour déchi­rer plus faci­le­ment leurs victimes.

Le besoin crée l’organe, et l’espèce humaine actuelle — qui au moment de sa dif­fé­ren­cia­tion, était une des plus mal douées, n’ayant ni la force, ni l’agilité, ni la vue per­çante — a dû, pour conser­ver sa vie et son logis. S’améliorer un organe moins visible, mais le plus utile de tous : le cerveau.

Il lui fal­lut « trou­ver des com­bines » pour dépis­ter ses enne­mis qui en vou­laient à sa chair, et ain­si se per­fec­tion­na, se déve­lop­pa mer­veilleu­se­ment la matière moel­leuse qui com­pose aujourd’hui notre cerveau.

Et de géné­ra­tion en géné­ra­tion, l’instinct ani­mal du début s’affina de plus en plus par le besoin et abou­tit à l’organisme de com­pré­hen­sion, de rai­son et d’invention, qu’est aujourd’hui le cer­veau humain.

Par ins­tinct, comme tous les autres ani­maux, l’espèce humaine dis­tin­guait le jour de la nuit, le soleil et le beau temps, de la pluie. Comme les autres espèces, elle fuyait devant l’orage.

Deve­nue un peu supé­rieure par suite de l’amélioration de l’organe céré­bral, elle remar­qua mieux ces différences.

Le jour la ras­su­rait, elle dis­tin­guait d’où pou­vait venir le dan­ger et le dépis­tait. Et puis le jour lui appor­tait la pos­si­bi­li­té de voir, de tra­vailler, de se distraire.

La nuit l’épouvantait. Ne rien voir et tout à craindre !

De là à faire du « jour » une force supé­rieure à l’espèce humaine, puisqu’on ne pou­vait ni le retar­der, ni l’avancer, mais une force bien­fai­sante, amie qu’on devait remer­cier, inter­cé­der, prier, il n’y avait qu’un pas !

Et faire de la nuit une force supé­rieure à l’espèce humaine pour le même motif, mais une force mal­fai­sante, mau­vaise, une enne­mie qu’il fal­lait détes­ter et fuir, n’était pas plus difficile !

Le bien et le mal étaient nés !

Furent ran­gés comme amis : le soleil, cette grosse masse brillante qui répan­dait sur la terre sa cha­leur et sa lumière ; la pluie, fée bien­fai­sante sans laquelle l’herbe se serait des­sé­chée et les arbres n’auraient pas por­té de fruits.

Furent consi­dé­rés comme enne­mis : le rayon de feu qui fen­dait le ciel en zig­zag, et le gron­de­ment sinistre qui se fai­sait entendre presqu’aussitôt après.

Une foule d’autres phé­no­mènes furent clas­sés ain­si, et alors il y eut deux grandes sub­di­vi­sions de forces puis­santes qui se com­bat­taient toujours.

Il fal­lait tâcher de se conci­lier les bonnes et de se débar­ras­ser des mauvaises.

Les bonnes forces furent douées par l’imagination enfan­tine des hommes d’un pou­voir plus fort que les forces mauvaises.

Ils pen­saient qu’il suf­fi­sait de ne pas les fâcher pour qu’elles les comblent de leur faveur, et qu’elles empêchent les mau­vaises de déchaî­ner leurs méfaits.

Lorsque ces der­nières triom­phaient, les hommes de l’époque pen­saient que c’était pour les punir d’avoir offen­sé les forces amies, les bonnes forces.

Pen­dant des mil­liers d’années, les hommes, tout en se per­fec­tion­nant à chaque géné­ra­tion, en évo­luant, durent pen­ser ainsi.

Qui pou­vait leur faire dou­ter ? Ils n’avaient aucun moyen de contrôle, ni de recherche.

Par suite de leur vie en socié­té, une hié­rar­chie s’était for­mée, les plus malins fai­saient tra­vailler les autres pour eux.

Quelques-uns, par leur patiente obser­va­tion, déro­bèrent quelques secrets à la nature, mais loin de les divul­guer, ils les gar­dèrent pré­cieu­se­ment pour eux et leurs familles et s’en ser­virent comme d’une arme redou­table pour asser­vir les autres.

Ce furent les pro­phètes, les sor­ciers, ils se liguèrent avec les forts et éta­blirent leur pou­voir, leur exploi­ta­tion sur tous les autres.

Ceux-ci se sou­mirent, crai­gnant les châtiments.

L’autorité pre­nait corps !

Mais cette auto­ri­té, contre nature, qui dure depuis ce moment ne devait pas tar­der à s’exercer sur cer­taines indi­vi­dua­li­tés rebelles, et la révolte nais­sait aus­si.

Petit à petit, les expli­ca­tions, les dogmes ensei­gnés par les pro­phètes, à qui les bonnes forces, les dieux, — comme on les appe­la ensuite — avaient ensei­gné les véri­tés éter­nelles furent mis en doute, la science allait naître.

Elle était déjà née dans une cer­taine mesure, puisque les hommes, en pour­sui­vant leur évo­lu­tion, avaient déjà arra­ché à la nature quelques secrets : les outils de pierre et le feu.

Avec le feu, ils allaient apprendre à tra­vailler les mine­rais, en extraire les métaux.

Après l’âge de la pierre taillée, l’âge de feu, l’âge de bronze. Et puis, d’autres décou­vertes sui­virent : le tis­sage, la fabri­ca­tion du verre

On fit des len­tilles, on les dres­sa vers le ciel, et les gros­sières expli­ca­tions du monde, avec les cieux et les enfers, appa­rurent mensongères.

Le monde aujourd’hui est de la matière en mou­ve­ment. Tous les corps que l’analyse spec­trale dif­fé­ren­cie ne sont que les mêmes atomes ani­més de vitesses différentes.

L’autorité éta­blie au moment de l’essai de dif­fé­ren­cia­tion de l’espèce humaine main­tient la science sous sa puis­sance et la fait ser­vir à ses seuls inté­rêts. Elle s’empare de ses décou­vertes et s’en sert pour se main­te­nir au pouvoir.

Cette même auto­ri­té per­sé­cute les anarchistes

Mais les temps sont proches où cette auto­ri­té va disparaître.

Alors, la Science libé­re­ra les hommes de leurs chaînes maté­rielles et l’Anarchisme les libé­re­ra de leurs chaînes poli­tiques, mili­taires, reli­gieuses, éco­no­miques et sociales.

(À suivre.)

[/​Léon Rou­get./​]

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