La Presse Anarchiste

Le mensonge chez la femme

Depuis long­temps, depuis tou­jours sans doute, on répète par­tout que la femme est men­teuse, que la dis­si­mu­la­tion est innée chez elle, chez la plus intel­li­gente comme chez la plus sotte. On va même jusqu’à pré­tendre « qu’il est presque impos­sible, comme le dit un phi­lo­sophe, de ren­con­trer une femme abso­lu­ment véri­dique et sincère. »

De ce manque de sin­cé­ri­té les causes sont nom­breuses, dues à la nature aus­si bien qu’à la socié­té. « La nature, dit un phi­lo­sophe qui déteste les femmes — Scho­pen­hauer — la nature, en leur refu­sant la force, leur a don­né, pour pro­té­ger leur fai­blesse, la ruse en par­tage… Le lion a ses dents et ses griffes, l’éléphant, le san­glier ont leurs défenses, le tau­reau a ses cornes, la sèche a son encre, qui lui sert à brouiller l’eau autour d’elle ; la nature n’a don­né à la femme, pour se défendre et se pro­té­ger, que la dis­si­mu­la­tion ; cette facul­té sup­plée à la force que l’homme puise dans la vigueur de ses membres et dans sa raison. »

La socié­té s’ajoute à la nature pour déve­lop­per chez la femme la ten­ta­tion et presque le besoin du men­songe. Le monde est rem­pli de conven­tions, de pré­ju­gés, de règles toutes faites, qu’une femme vou­lant y faire figure et conqué­rir sa place doit res­pec­ter, au moins en appa­rence. Toutes ces conces­sions au « monde » sont des men­songes, dont la socié­té est la pre­mière cou­pable. L’existence maté­rielle s’achète sou­vent aux prix de ces concessions.

L’homme, aggra­vant par sa tyran­nie et sa soi-disant supé­rio­ri­té le mal cau­sé par la socié­té, conspire lui aus­si à faire de la femme un être faux. Je me sou­viens d’une pièce de Mae­ter­linck où il pré­sente une femme, accu­sée faus­se­ment d’adultère par son mari et qui finit, en effet, par le trom­per, pour se ven­ger de ce qu’il la croit cou­pable mal­gré son inno­cence et sa sin­cé­ri­té : triste consé­quence de la défiance exces­sive. Si les hommes s’appliquaient à mieux com­prendre leurs com­pagnes, s’ils les aimaient vrai­ment et s’ils avaient confiance en elles, peut être devien­draient-elles moins dissimulées.

La nature, la socié­té et sou­vent les indi­vi­dus eux-mêmes s’accordent pour main­te­nir la femme dans une atmo­sphère de men­songe. Et, ensuite, ils lui reprochent tous de men­tir ! « La femme, même dans l’extrême civi­li­sa­tion, est tou­jours beau­coup plus natu­relle que l’homme, beau­coup plus près de la vie, beau­coup plus phy­sique, en un mot. C’est, sans doute, ce qui peut expli­quer qu’elle soit, plus encore que l’homme, por­tée à entre­te­nir le men­songe sous toutes ses formes. Car, en élar­gis­sant la ques­tion, on pour­rait dire que le men­songe, sous la forme de l’illusion, est la base même de la vie. Et la socié­té s’en ins­pire, comme s’en ins­pirent la lit­té­ra­ture — les contes et les mythes chers aux pri­mi­tifs — les arts, et le théâtre où la femme excelle dans les rôles d’actrices. « Le monde entier est un théâtre », disait Sha­kes­peare. Quel est en effet, l’individu qui jamais n’a mis un masque, qui jamais n’a rien dis­si­mu­lé de ce qu’il pen­sait ou de ce qu’il fai­sait ? Pour­quoi, alors, accu­ser seule­ment la femme, sur­tout la femme, d’être por­tée au men­songe, puisque tout le monde ment plus ou moins ?

Peut-être y a‑t-il des men­songes indis­pen­sables à la vie même et qu’elle porte en elle, et c’est de ceux-là sans doute que parle Ibsen lorsqu’il dit qu’enlever à quelqu’un le men­songe vital, c’est le condam­ner à mourir.

La femme, dans cette immense comé­die, pren­drait seule­ment son rôle plus au sérieux que l’homme.

Il est très dif­fi­cile de s’affranchir de cette mas­ca­rade. Avant de crier « haro » sur la femme, parce qu’elle est la plus faible, il vau­drait mieux d’abord, se débar­ras­ser soi-même de ces contraintes, de ces men­songes qui enve­loppent notre vie.

Au lieu de jeter la pierre à celle qui, plus naïve ou plus sin­cère que les autres, ose dévoi­ler les mul­tiples men­songes de la vie sociale il serait plus noble de l’encourager…

Il y a, à ce sujet, un char­mant conte d’Andersen. C’est l’histoire de cet empe­reur à qui des mau­vais plai­sants avaient, disaient-ils, tis­sé un vête­ment d’étoffe mer­veilleuse et magique, qui deve­nait invi­sible pour les indi­vi­dus stu­pides ou inca­pables. L’amour-propre aidant, on vit l’empereur, vêtu — ou plu­tôt dévê­tu — de cet habit illu­soire, se pro­me­ner, en grande pompe, à la tête d’un cor­tège. Le peuple entier admi­rait cette magni­fique étoffe, que per­sonne ne par­ve­nait à voir, et les pages fai­saient le geste de por­ter une traîne qui n’existait pas. « Mais il n’a rien du tout sur lui ! » dit un petit enfant. Pour une fois, la véri­té était sor­tie de sa bouche ; et plus cou­ra­geux que les grandes per­sonnes, il osait dire ce qu’il voyait.

Nous sommes un peu tous sem­blables, hommes et femmes, aux spec­ta­teurs de cet étrange cor­tège. Il semble qu’il y ait un « charme » qui nous empêche de dire, à nous-mêmes et aux autres, l’exacte véri­té. La dif­fi­cul­té, mais aus­si la noblesse de l’individu libre, c’est de bri­ser ce charme, et d’être aus­si sin­cère que le petit enfant.

Une Révol­tée.

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