La Presse Anarchiste

Le syndicalisme

Les mil­i­tants ouvri­ers par­lent beau­coup du redresse­ment du Syn­di­cal­isme, du retour au Syn­di­cal­isme d’avant-guerre. Si je lis ou écoute ce qui a trait au Syn­di­cal­isme, j’entends et je lis : Syn­di­cal­isme de col­lab­o­ra­tion des class­es ou Syn­di­cal­isme de lutte des class­es ; réformiste ou révo­lu­tion­naire ; d’action directe ou d’action indi­recte ; Syn­di­cal­isme pur ou impur ; néo-com­mu­niste, révo­lu­tion­naire ou anar­chiste ; réguli­er ou dis­si­dent ; uni­taire ou scis­sion­niste ; syn­di­cal­isme de la rue Lafayette ou de la rue Grange-aux-Belles.

Je m’arrête ; mais je pour­rais con­tin­uer encore et longtemps…

À qui, ne con­nais­sant rien de l’organisation économique du pro­lé­tari­at, se trou­verait en face d’une aus­si copieuse énuméra­tion, l’idée viendrait spon­tané­ment que les tra­vailleurs français, ayant à choisir entre des syn­di­cal­ismes si divers, cha­cun doit, dans le tas, en ren­con­tr­er au moins un faisant son affaire et qu’ainsi tous les ouvri­ers et employés doivent être syndiqués.

Il n’en est rien : Syn­di­cats mixtes, Syn­di­cats chré­tiens ou catholiques. Syn­di­cats dits indépen­dants. Syn­di­cats autonomes, Syn­di­cats affil­iés à la C.G.T. de la rue Lafayette, Syn­di­cats affil­iés à la C.G.T.U., Syn­di­cats verts, jaunes, oranges et rouges, toutes ces organ­i­sa­tions comptent à peine en France, au total, un mil­lion de mem­bres ; et si l’on estime à sept ou huit mil­lions le nom­bre des pro­lé­taires Syn­di­ca­bles dans ce pays, on con­state que la pro­por­tion des syn­diqués n’atteint pas, dans l’ensemble, quinze pour cent.

Loin d’être favor­able au recrute­ment syn­di­cal, cette mul­ti­plic­ité d’organisations opposées les unes aux autres lui est mortelle.

On ne peut éval­uer le nom­bre des tra­vailleurs qui, ne sachant arrêter leur choix ou découragés par les luttes que se livrent entre elles ces organ­i­sa­tions, se tien­nent à l’écart : indif­férents, méfi­ants, ou hos­tiles ; mais on peut être cer­tain que ce nom­bre est considérable.

De toutes ces organ­i­sa­tions, je ne veux retenir ici que celle qui a son siège cen­tral rue Lafayette et celle qui a le sien rue Grange-aux-Belles.

Seules, ces organ­i­sa­tions comptent dans l’action ouvrière et l’une et l’autre émet­tent, avec la même assur­ance, la pré­ten­tion de représen­ter le pro­lé­tari­at con­scient et organ­isé, d’incarner le véri­ta­ble syn­di­cal­isme et d’orienter le mou­ve­ment syn­di­cal vers les fins qui lui sont propres.

Les Syn­di­cal­istes de la rue Grange-aux-Belles accusent formelle­ment ceux de la rue Lafayette de ne plus incar­n­er, depuis 1914, le véri­ta­ble syn­di­cal­isme, de détourn­er le mou­ve­ment ouvri­er du but qu’il doit pour­suiv­re, bref de trahir le pro­lé­tari­at au prof­it de la bour­geoisie capitaliste.

C’est pourquoi la C.G.T.U. déclare attach­er son effort au redresse­ment du syn­di­cal­isme par le retour à la doc­trine, aux méth­odes d’action, à l’esprit et au car­ac­tère du syn­di­cal­isme véritable.

Cette étude n’a pas plus pour objet de soutenir que de com­bat­tre cette grave accu­sa­tion : je ne veux être l’accusateur pas plus que l’avocat de personne,

Je me pro­pose — et c’est tout — de dégager ici le sens exact du syn­di­cal­isme, son car­ac­tère essen­tiel, ses élé­ments con­sti­tu­tif, son but, ses moyens d’action et, comme con­clu­sion, de fix­er la place qu’il doit occu­per, la mis­sion qu’il doit accom­plir dans le mou­ve­ment social qui emporte les sociétés humaines vers des des­tinées nouvelles.

Sur tous ces points, grande est la con­fu­sion qui règne dans les esprits, sans en excepter les mieux inten­tion­nés. Et si ces pages avaient la bonne for­tune de pro­jeter quelque clarté sur le prob­lème si grave et si pres­sant du Syn­di­cal­isme, j’en serais fort heureux.

Je sais que le monde syn­di­cal­iste tient pour sus­pecte, l’intervention de ceux qu’on appelle les « intel­lectuels ». Ces préven­tions sont légitimes. Je les con­sid­ère comme jus­ti­fiées en très grande par­tie ; je les partage et les tra­vailleurs ont rai­son de s’estimer assez grands garçons pour faire leurs affaires eux-mêmes. Ils ont été si sou­vent roulés par les pré­ten­dus con­cours qui leur venaient des « Intel­lectuels », ils ont eu tant à souf­frir des pres­sions et influ­ences qui s’exerçaient des milieux extérieurs sur leur pro­pre milieu ; ils ont si sou­vent servi de marchep­ieds aux arriv­istes et aux intri­g­ants, qu’ils seraient inex­cus­ables s’ils ne tiraient de ces expéri­ences répétées les enseigne­ments de méfi­ance qui en découlent.

Mais voici plus de vingt ans que, attribuant à l’action syn­di­cale une impor­tance de pre­mier plan, je n’ai cessé de suiv­re pas­sion­né­ment le développe­ment du Syn­di­cal­isme, sans me croire, pour cela, autorisé à m’immiscer dans la vie intérieure des organ­i­sa­tions ouvrières ; on peut, je pense, me faire con­fi­ance et croire, quand je l’affirme, que je n’ai pas aujourd’hui plus qu’hier l’intention de con­seiller, de régen­ter, d’inspirer.

« Intel­lectuel » ? Je le suis si peu et j’ai si peu la van­i­teuse pré­ten­tion de l’être !

Enfin, j’ai soix­ante-cinq ans et j’ose espér­er que per­son­ne ne songera à m’attribuer des désirs d’arrivisme con­tre lesquels se dresserait toute ma vie déjà longue de mil­i­tant, cir­con­stance qui me dis­penserait de me défendre con­tre des sus­pi­cions de cette nature.

Mon unique désir, mais il est très vif, c’est d’éclairer la route pour que la marche soit plus ferme, plus rapi­de et plus vail­lante. C’est ce que je vais essay­er de faire.

[|* * * *|]

Qu’est-ce que le Syn­di­cal­isme ? En quoi con­siste-t-il ? Où prend il sa source ? A‑t-il une doc­trine ? Laque­lle ? Pos­sède-t-il une tra­di­tion ? Laque­lle ? À quels besoins répond-il ? Quels sont ses élé­ments con­sti­tu­tifs et dans quelles con­di­tions peut-il, doit-il les grouper ? Pour­suit-il des fins pré­cis­es ? Lesquelles ? Par quelles méth­odes d’action est-il à même de réalis­er ces fins ?

Dans l’aspect syn­thé­tique du mou­ve­ment social présent, quelle est sa place ? Quelle est sa mis­sion pro­pre ? De quelle nature sont ses rap­ports actuels avec les forces de con­ser­va­tion et de trans­for­ma­tion sociale ? Bref, d’où vient-il ? Où va-t-il ? Et par quelle voie se dirige-t-il du point de départ au point d’arrivée ?

Telles sont les ques­tions, et d’autres encore, que soulèverait une étude com­plète du Syndicalisme.

Mais, pour les exam­in­er en détail, il faudrait un vol­ume et je ne dis­pose que de quelques pages de cette Revue.

Il faut donc que je me lim­ite aux points essen­tiels et que je me borne à l’examen rapi­de de ceux-ci.

Voltaire a écrit : « une foule de dis­cus­sions seraient évitées, si ceux qui dis­cu­tent avaient la sagesse de pré­cis­er net­te­ment, au préal­able, le point en dis­cus­sion et de s’entendre sur une déf­i­ni­tion claire, sim­ple, exacte et com­plète des ter­mes qu’ils emploient et sur lesquels porte sou­vent le débat lui-même. »

L’observation est judi­cieuse ; sage est le con­seil qui s’en dégage.

Suiv­ons donc ce con­seil et, puisque c’est du Syn­di­cal­isme qu’il s’agit, définissons-le.

Qu’est-ce que le Syndicalisme ?

« Le Syn­di­cal­isme, c’est le mou­ve­ment de la classe ouvrière, en marche vers son affran­chisse­ment inté­gral, par la sup­pres­sion du salari­at et l’abolition du patronat. »

J’ai con­nu, lu et enten­du, les théoriciens les plus qual­i­fiés et les porte-parole les plus autorisés du Syn­di­cal­isme : Pell­outi­er, Grif­fu­el­h­es, Pouget, Delessalle, Guérard, Niel, Jouhaux, Yve­tot, Dumoulin, Mer­rheim, Besnard, Verdier, Quin­ton, Monat­te, Mon­mousseau, Ros­mer, Tom­masi, Raveau, Péri­cat, Jou­ve, Barthes, Berrar, Mas­sot, Totli, Argence, Sémart, Dejon­quère, Cadeau, Labrousse, Four­cade, Berthet, Flan­drin, Her­clet, Richet­ta, Sirolle, Lemoine, May­oux, Bouët (je m’excuse de ne pas les citer tous).

Cette déf­i­ni­tion est celle qui se dégage de tous leurs dis­cours et écrits.

Tous n’ont pas fait usage des mêmes for­mules ; tous n’ont pas défi­ni le Syn­di­cal­isme en ter­mes iden­tiques, mais tous, absol­u­ment tous se sont exprimés dans le même sens, et de l’ensemble de leur pro­pa­gande écrite et par­lée, j’extrais fidèle­ment, scrupuleuse­ment cette déf­i­ni­tion à laque­lle je suis cer­tain que les Syn­di­cal­istes lib­er­taires : Bastien, Boudoux, les Cas­teu, Con­tent, Colom­er, Descarsin, Lecoin, Mail­lard, Rose, Véber, etc., don­neront leur adhésion.

Cette déf­i­ni­tion n’est donc pas plus de moi que de tout autre ; elle n’a pas un car­ac­tère per­son­nel ; elle n’est pas due aux cog­i­ta­tions pro­fondes d’un théoricien ; elle est la déf­i­ni­tion du Syn­di­cal­isme par tous les mil­i­tants ouvri­ers dont le nom est, depuis un quart de siè­cle, jusqu’à ce jour, plus au moins forte­ment lié au développe­ment du Syn­di­cal­isme français. Volon­taire­ment, je me suis abstenu de citer cer­tains théoriciens, comme Sorel et Lagardelle, dont l’œuvre, si rat­tachée qu’elle soit au Syn­di­cal­isme, n’émane pas de mil­i­tants syndicalistes.

J’ai voulu, ce faisant, écarter de cette étude, toute d’observation, de con­stata­tion, tous les élé­ments qui ris­queraient d’en altér­er l’objectivisme.
Chose digne de remar­que : les représen­tants des ten­dances les plus divers­es, des points de vue actuelle­ment les plus opposés se trou­vent asso­ciés, con­fon­dus au cœur de cette déf­i­ni­tion que je donne du Syn­di­cal­isme. Il est per­mis d’en infér­er que, à une époque déter­minée, l’unanimité a existé, au sein de la classe ouvrière organ­isée, en ce qui a trait aux car­ac­tères et aux buts du Syn­di­cal­isme, que si cet accord a été brisé, c’est parce que cer­tains élé­ments se sont éloignés de ce car­ac­tère et de ce but, alors que d’autres leur restaient fidèles, que le rap­proche­ment ne peut se faire à nou­veau que dans la mesure où les « infidèles » renon­ceront à leur défec­tion et que l’entente se réalis­era d’elle-même, automa­tique­ment, s’il advient que toute dis­si­dence dis­paraisse sur les principes, les méth­odes d’action et les fins du Syndicalisme.

Pour être bonne, une déf­i­ni­tion doit être claire, sim­ple, exacte et com­plète. La déf­i­ni­tion ci-dessus pos­sède ces qua­tre qual­ités. Mais elle a le défaut de toutes les déf­i­ni­tions : elle ne se suf­fit pas à elle-même. Elle est par trop brève ; son lacon­isme même laisse la porte ouverte aux inter­pré­ta­tions impré­cis­es, aux appli­ca­tions erronées, aux con­clu­sions insuff­isantes ou illogiques.

Il est donc indis­pens­able de sépar­er les divers­es par­ties qui la com­posent, de com­menter cha­cune de ces par­ties, d’établir lumineuse­ment leur enchaîne­ment rigoureux et d’en tir­er la con­clu­sion d’ensemble qui s’impose.

L’analyse d’abord, la syn­thèse ensuite ; c’est la bonne méth­ode. Appliquons-la.

1° Le Syndicalisme, c’est le mouvement de la classe ouvrière…

A. — Le mou­ve­ment. C’est le mot qui exprime exacte­ment le car­ac­tère pro­fond, essen­tiel du syndicalisme.

Le Syn­di­cal­isme est un mou­ve­ment inces­sant, une marche sans arrêt, une action per­ma­nente. Il ne con­naît pas le repos ; l’inertie lui est con­traire. Comme toutes choses dans la nature — ; et, par con­séquent, dans l’humanité — il se mod­i­fie, il se trans­forme, il évolue, car il est ; une des man­i­fes­ta­tions de la vie.

Il n’est pas quelque chose de rigide, moins encore quelque chose d’immobile ; il est extrême­ment sou­ple, doué d’une rare plas­tic­ité, apte à toutes les formes de l’activité et pro­pre à toutes les modifications.

J’ai enten­du dire : « Le Syn­di­cal­isme est une pra­tique qui cherche encore sa théorie. » J’ai enten­du dire aus­si : « c’est une théorie qui cherche encore sa pra­tique. » Ceci n’est pas plus exact que cela : le Syn­di­cal­isme n’est pas une théorie à la pour­suite de son appli­ca­tion ; il pos­sède déjà celle-ci. Pas davan­tage, il n’est une pra­tique pour­suiv­ant sa doc­trine ; il pos­sède égale­ment cette dernière.

Nous ver­rons par la suite que je n’avance rien qui ne soit démon­tra­ble et même démon­tré. Le Syn­di­cal­isme est à la fois une théorie qui a sa pra­tique et une pra­tique, qui a sa théorie, et il suf­fit qu’il y ait accord entre celle-ci et celle-là, qu’il y ait ajuste­ment, adap­ta­tion de l’une à l’autre, que toute con­tra­dic­tion dis­paraisse entre la théorie et la pra­tique, bref, il suf­fit que la pra­tique soit la forme vécue, l’application fidèle, con­scien­cieuse, con­crète de la théorie, pour que rien ne manque au Syn­di­cal­isme et qu’il soit un mou­ve­ment ryth­mique, har­monieux et vivant.

Notre déf­i­ni­tion réalise pleine­ment cet accord ; elle appelle l’ajustement indis­pens­able de l’application à la doc­trine et quand nous serons par­venus an dernier terme de notre analyse et que nous abor­derons la par­tie syn­thé­tique de notre étude, cette con­stata­tion éclat­era et s’imposera sans la moin­dre difficulté.

Pour le moment, bor­no­ns-nous à observ­er que le Syn­di­cal­isme est un mou­ve­ment, que le pro­pre du syn­di­cal­isme, c’est le mou­ve­ment, que c’est là son car­ac­tère spé­ci­fique.

[|* * * *|]

B. — De la classe ouvrière. — Quand je dis que le Syn­di­cal­isme est un mou­ve­ment, il va de soi que je dois pré­cis­er de qui il est le mou­ve­ment. Notre déf­i­ni­tion s’empresse de l’indiquer par ces mots : « de la classe ouvrière. »

Ce mou­ve­ment groupe ; il est le résul­tat et la manière d’être d’une masse ; il exprime l’action d’une col­lec­tiv­ité ; il est l’effort d’ensemble d’un nom­bre plus ou moins con­sid­érable d’individus associés.

Quels sont ces indi­vidus ? Par quel phénomène d’attraction sont-ils amenés à se rap­procher les uns des autres, à se grouper, à faire bloc, à for­mer un tout homogène et com­pact ? Quels sont les élé­ments con­sti­tu­tifs de cette asso­ci­a­tion en mouvement ?

Ce qui est digne de remar­que, c’est que le Syn­di­cal­isme a pour fonde­ment un groupe­ment naturel, instinc­tif, on peut dire ani­mal. Il s’opère comme s’il était le fait d’une poussée irré­sistible, parce qu’il repose sur un besoin de la nature humaine, accru par une néces­site sociale.

L’homme est un être socia­ble, c’est-à-dire fait pour se rap­procher de ses sem­blables, pour vivre en société. Par nature, il est instinc­tive­ment con­duit à fuir l’isolement, à lier son sort à celui des autres, à associ­er son des­tin à celui de ses pairs.

Se grouper est pour les humains un besoin de nature, une ten­dance incoercible.

Toute­fois, héri­ti­er et aboutis­sant de toutes les généra­tions qui ont précédé la sienne, l’homme du vingtième siè­cle naît, vit, se meut au sein d’un régime social issu, ain­si que lui, du proces­sus mil­lé­naire des civil­i­sa­tions antérieures.

Ses con­di­tions d’existence, — con­di­tions de vie indi­vidu­elle et de vie col­lec­tive — sont dépen­dantes de ce milieu social ; en sorte que les rap­proche­ments qui s’effectuent entre les unités indi­vidu­elles et les groupe­ments qui en résul­tent sont con­di­tion­nés, en fait, par le milieu social qui en déter­mine les modalités.

Présen­te­ment, l’organisation sociale divise les hommes en deux class­es. Ces deux class­es, on les retrou­ve dans tous les domaines : dans le domaine poli­tique, c’est la classe des Gou­ver­nants et celle des Gou­vernés ; sur le ter­rain économique, c’est la classe riche et la classe pauvre.

Les intérêts de ces deux class­es sont en antag­o­nisme irré­ductible, en oppo­si­tion fla­grante. Ce qui les sépare, ce n’est pas un fos­sé plus ou moins large et pro­fond qu’il serait pos­si­ble de combler ; c’est un abîme infranchissable.

La coex­is­tence de ces deux class­es : bour­geoise et ouvrière est la mar­que dis­tinc­tive de ce que nous appelons com­muné­ment « la Société cap­i­tal­iste » et les hos­til­ités, l’état de guerre qui dresse inces­sam­ment et fatale­ment ces deux class­es l’une con­tre l’autre est le fait cap­i­tal de l’époque actuelle, auquel ou donne couram­ment le nom de « lutte des classes ».

En sorte que lorsque nous dis­ons que le Syn­di­cal­isme est « le mou­ve­ment de la classe ouvrière », nous con­sta­tons et déclarons qu’il est essen­tielle­ment un mou­ve­ment de classe et que la classe ouvrière forme les élé­ments con­sti­tu­tifs de ce mouvement.

On dit impro­pre­ment d’un Par­ti poli­tique qu’il est un Par­ti de classe. Rien n’est plus con­traire à la vérité et rien n’est plus net­te­ment démen­ti par les faits.

D’une part, un par­ti poli­tique — encore qu’il se pré­tende par­ti de classe — admet dans son sein, en principe et, dans la pra­tique, groupe des élé­ments appar­tenant aux deux class­es. Cap­i­tal­istes et pro­lé­taires, patrons et ouvri­ers, impro­duc­tifs et tra­vailleurs, gou­ver­nants et gou­vernés s’y trou­vent asso­ciés : en sorte que, fait invraisem­blable mais pour­tant vrai, ces hommes dont les intérêts per­son­nels et de classe sont fon­cière­ment et irrémé­di­a­ble­ment con­tra­dic­toires sont, à tout instant, exposés, voire con­damnés, tan­tôt les uns, tan­tôt les autres, par les mou­vantes péripéties de la lutte sociale, à trahir ou leurs intérêts per­son­nels, ou les intérêts de la classe à laque­lle ils appar­ti­en­nent, ou les intérêts du Par­ti auquel ils sont affiliés.

D’autre part, la pra­tique de la poli­tique, œuvre de doigté, de sou­p­lesse, de ruse, de dis­sim­u­la­tion, de diplo­matie, fatalise de tels accom­mode­ments, fluc­tu­a­tions, tem­po­ri­sa­tions, alliances momen­tanées, con­ces­sions pro­vi­soires et autres abdi­ca­tions totales ou par­tielles, que la lutte de class­es ne s’y affirme plus — et encore ? — que dans les pro­grammes, les vio­lences ora­toires et les écarts de la plume.

Il en est tout autrement du Syndicalisme.

Il est, et seul il est et peut être un groupe­ment de classe. Il n’assemble que des êtres cour­bés sous la même oppres­sion, vic­times des mêmes exploita­tions, vivant dans la même incer­ti­tude du lende­main, voués aux mêmes pri­va­tions, con­damnés à traîn­er, au soir de leur exis­tence, une même vieil­lesse indi­gente, ressen­tant le même besoin de mieux-être et d’indépendance, éprou­vant les mêmes aspi­ra­tions, ten­dant aux mêmes amélio­ra­tions matérielles et morales, le cœur ouvert aux mêmes espoirs et la volon­té ten­due vers la même libération.

Tous ont le même enne­mi de classe : le gou­ver­nant qui opprime et le patron qui exploite ; tous sont exposés aux mêmes périls, pres­surés par les mêmes oblig­a­tions sociales, tor­turés par les mêmes iniquités.

C’est pourquoi le Syn­di­cal­isme fait appel à tous les pro­lé­taires sans dis­tinc­tion d’âge, de sexe et de profession.

Il est, par excel­lence, le groupe­ment naturel, instinc­tif et je le répète, sans que ce terme ait rien de péjo­ratif, le groupe­ment ani­mal de tous ceux qui con­stituent la classe ouvrière, de tous ceux dont le cap­i­tal­isme a per­pé­tué, sous le nom de salariés, l’esclavage.

C’est l’immense mul­ti­tude de ces esclaves mod­ernes que le Syn­di­cal­isme appelle à l’affranchissement inté­gral. C’est la marche de ces esclaves, con­sti­tués en classe, vers leur éman­ci­pa­tion totale, par la dis­pari­tion du salari­at, qu’incarne ce mou­ve­ment de la classe ouvrière.

N’avais-je pas rai­son de dire qu’il repose sur un besoin de la nature humaine, accru par une néces­sité sociale ?

[|* * * *|]

Dans le prochain numéro de la Revue anar­chiste, j’examinerai ce qu’il faut enten­dre par « affran­chisse­ment inté­gral de la classe ouvrière, par la sup­pres­sion du salari­at et l’abolition du patronat ».

Ensuite, réu­nis­sant en un fais­ceau solide les dif­férentes par­ties de ma déf­i­ni­tion, j’en dégagerai la syn­thèse d’où découleront logique­ment, rigoureuse­ment, les voies et moyens — pro­pres au Syn­di­cal­isme lui-même — par lesquels il réalis­era son but.

Enfin, je pré­cis­erai la mis­sion qui lui incombe dans le mou­ve­ment social qui, plus ou moins lente­ment, mais de façon cer­taine et en quelque sorte fatale, achem­ine l’humanité vers l’instauration d’un milieu social où la joie de vivre suc­cédera à la douleur d’exister.

C’est dans cet ordre et à l’aide de ces développe­ments que je me pro­pose de jus­ti­fi­er le titre abon­dant de cette étude.
(À suiv­re.)

[/Sébastien Fau­re./]


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