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Nous supposons balayée la pourriture capitaliste,
- Êtes-vous en faveur du Travail volontaire ?
- Pour quelles raisons ?
- Comment en concevez-vous l’organisation ?
- Êtes-vous partisan du Travail imposé ?
- Pour quelles raisons ?
- Comment en concevez-vous l’organisation ?
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Votre questionnaire me parvient dans une période de surmenage. Partisan du travail volontaire, je devrais ne pas m’imposer de répondre. Aimant soigner mon travail, je devrais m’imposer de ne pas improviser une réponse hâtive et insuffisante. Mais l’homme est, au détail, animal joyeusement contradictoire. Trop de raisons de me taire : donc je parle ou je fais semblant.
Le travail imposé suppose ou nécessite une hiérarchie. Sous tels déguisements et tels noms qu’on voudra, patrons, surveillants (en grec épiscopes ou évêques), commissaires du peuple (ou, comme disaient les anciens Grecs, épimélètès), il établit des maîtres sur des esclaves, des gens qui commandent (au nom de ce que vous voudrez, Dieu, Ordre ou Prolétariat) sur des gens qui obéissent, des gens qui imposent sur des gens à qui on impose et à qui on tâche d’en imposer. Et les maîtres trouvent toujours que commander leur est un office suffisant. Malgré les apparences premières, seul le travail imposé crée les parasites. Une révolution après laquelle le travail reste imposé a beau se prétendre économique, elle reste politique. Elle change les noms sans toucher aux choses. Elle touche aussi aux personnes, il est vrai. C’est pourquoi elle passionne les ambitieux et les assoiffés de vengeance. Elle modifie quelques statuts personnels, dégrade quelques maîtres, élève au rang de maîtres quelques esclaves d’hier. Abaisser des superbes pour élever et enorgueillir quelques humbles, cette besogne biblique ne m’intéresse point.
Comment je conçois l’organisation du travail volontaire ? J’ai envie de répondre que je ne suis pas organisateur et de citer la Fontaine :
Ne forçons pas notre talent.
Je suis tenté aussi de faire le procès de l’organisation. Plus d’une fois encore, sous prétexte d’organiser, on rétablira sournoisement la contrainte : on m’imposera une besogne à laquelle on fera l’honneur de l’appeler travail volontaire.
Travail volontaire me semble presque synonyme de travail non organisé. J’entends qu’il ne faut pas que l’organisation vienne du dehors, d’un cerveau de théoricien ou d’une cervelle à patron. J’organiserai mon travail ; organisez le vôtre. Mais si vous prétendez organiser le mien, halte-là, monsieur le commissaire ! Nous avons des raisons de collaborer ; coordonnons nos efforts fraternels ; ne subordonnons pas ceux de l’un à ceux de l’autre. Si tu connais le boulot mieux que moi, j’ai plaisir à suivre tes gestes et tes conseils.
Au travail de s’organiser lui-même, joyeusement, comme s’organise un jeu. Si ce minimum d’organisation ne suffit pas à certaines besognes, ces besognes-là on les laisse tomber, et l’humanité en est allégée d’autant. La vie du travail libre est chose multiple, souple, changeante. Il ne me plaît guère de la nommer organisation comme tant de réglementations rigides. Un de ses premiers bienfaits sera d’éliminer nombre de besognes ridicules ou répugnantes, nombre de faux besoins, nombre aussi de calculs statistiques, de vérifications et autres calembredaines tyranniquement organisatrices. Ondoiement et dynamisme, la vie est blessée, j’allais dire désorganisée, par les rigidités et les rigueurs statiques que le plus souvent on appelle organisation.
Libérons la vie et regardons avec émerveillement ce que font ses gestes libres. Si cette liberté, le premier jour, nous monte à la tête comme une ivresse, tant pis et tant mieux. On s’apaisera le lendemain.
Je vais être tout à fait gentil, beaucoup plus gentil que je ne me le proposais. Je vais vous dire, à l’oreille, mon petit projet, ma petite contribution à l’organisation. Mais, vous savez, rien qui presse. J’ai Je temps de l’oublier plus d’une fois et d’y repenser plus d’une fois. Mettons que ce soit pour ma vingtième réincarnation, à compter de la présente.
J’espère que vous allez vous moquer de mol. Rire fait tant de bien.
Écoutez donc malicieusement.
La Révolution est faite. Dans les choses. Pas seulement dans les mots. Elle a libéré les hommes, cette fois, au lieu d’alourdir leur servitude. Le travail s’est organisé selon les lois et les rythmes naturels, parce que personne ne l’a organisé. Beaucoup de résultats étonnent de grâce imprévue et d’harmonie souriante. Pourtant, ça n’est pas encore parfait. Quelques hésitations et quelques accrocs ; quelques lourdeurs et quelques faux-pas. Surtout parce qu’on n’a pas assez éliminé de besoins artificiels et de besognes inutiles. Mais mon manifeste est tout prêt.
Un appel aux camarades qui sentent comme moi. Fondons un groupe et, si nul ne propose un titre qui nous plaise davantage, appelons-nous Les Aides Rationnels. Si, comme on parle peut-être encore, notre création répond à un besoin, d’autres groupes analogues se formeront. Les travailleurs, ici ou là, sont débordés, en nombre insuffisant. Ils s’adressent à nous et nous accourons. Mais nous ne consentons qu’aux travaux qui satisfont les besoins naturels de l’homme. Si des bijoutiers, dans quelque coin, s’obstinent à fabriquer des bagues et des bracelets, ils peuvent nous appeler, nous n’entendons pas.
Vous dites que c’est moi qui ris, camarades. Pourquoi pas ? Quand j’écris pour la Revue Anarchiste, je ris comme un bon travailleur volontaire et non organisé. Puissions-nous rire tous et toujours de la même façon, dans la même bonne volonté libre.
[/Han
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La question nous embarrasse singulièrement :
Travail volontaire ou imposé ?
Quand on en arrive à un certain tournant de la vie, on ne se rond pas un compte bien exact de sa pensée.
Ajouter un dogme de plus ? une loi, un principe ou une définition à toutes celles qui ont déjà été proposées ?
La nature nous révèle vraiment trop peu de ses mystères pour que la pauvre petite raison humaine puisse établir un équilibre à tendances rationnelles.
Savons-nous seulement, pour nous-mêmes, ce qui nous entraîne passionnément au travail, n’en recherchant aucune autre récompense que la seule joie de vivre l’heure précise ? Si aujourd’hui vous m’imposiez une décision, même arbitraire, nous croyons que rien ne doit être imposé, sous quelque forme que ce soit, même pas à soi-même. Chaque fois que l’Homme prétend intervenir dans les événements, ils se retournent immédiatement contre lui-même. C’est pourquoi toute son activité ne peut agir que dans le plan du mouvement en hauteur.
Quant à l’organisation, elle ne peut se résumer que par le choix libre d’un élu, Dictateur féroce de l’Idéal, Totalisateur du nombre, à fonctions inhumaines quoique périssables.
Tout ceci est aussi confus qu’une valeur quelconque de l’universel rapportée à la mobilité individuelle, mais nous pensons aussi qu’énoncer une vérité (
[/Mme
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Si je croyais que, la Révolution acquise, il n’y aurait comme le dit Sébastien Faure dans « Mon Communisme », que 10 % de réfractaires au travail, je serais partisan du « travail volontaire ». Mais je ne suis pas aussi optimiste à ce sujet que lui. Il me paraît indéniable que, soit que la paresse soit naturelle à l’être humain, soit que l’éducation qu’il reçoit, tant celle de l’école que celle qu’il reçoit de la société, lui dépoétise le travail et le lui fasse dans trop de cas considérer comme dégradant ou répugnant, le nombre des paresseux en puissance, qui affirmeraient leur droit à la paresse et à vivre aux dépens des autres le lendemain de l’instauration d’une société anarchiste, dépasserait largement 10 %, et j’ai la conviction qu’il approcherait et même dépasserait 50 %. Dans ces conditions, l’institution trop hâtive du « travail volontaire » aurait des conséquences qui pourraient être terribles, il serait désagréable aux travailleurs d’œuvrer pour des gens qui « n’en ficheraient pas un coup », et certainement la paresse ferait tache d’huile même parmi ceux-là, jusqu’à ce que la nécessité amène les hommes à réinstituer le travail obligé avec toutes les contraintes qu’il comporte.
Plus tard, lorsque l’éducation aura formé vraiment des hommes, on pourra peut-être instituer le « travail volontaire ». Aujourd’hui, avec les éléments plus ou moins gangrenés que nous donne la société actuelle, ce serait plus que scabreux.
Aussi j’estime qu’il faut prévoir au moins une époque de transition. Puisque la production doit être suffisante avec cinq ou six heures par jour de labeur, en y employant tout le monde, je crois qu’on peut exiger de tous cet effort, en y apportant les tempéraments nécessaires en ce qui concerne ce que j’appellerai les paresseux maladifs.
Il faudra des sanctions. Je ferai remarquer qu’il y en aura de naturelles et qui ne seront pas sans efficacité. Il sera impossible certainement d’obtenir des travailleurs qu’ils regardent les paresseux comme des camarades, et l’amour-propre aidant, beaucoup auront à cœur, même sans y avoir plaisir, de donner leur effort. Mais il se peut que ces sanctions naturelles ne soient pas suffisantes. Et alors, pour réduire au minimum l’autorité nécessaire, je ne proposerai pas que les paresseux ou les réfractaires au travail y soient conduits à coups de fouet, ni qu’on les prive de manger… Mais je pense qu’on devrait leur réserver un territoire, assez grand pour qu’ils s’y sentent en liberté : de plusieurs kilomètres carrés par exemple, assez grand pour qu’ils y puissent trouver des ressources suffisantes, mais dont Ils ne pourraient sortir ; et de les y laisser avec des outils, des semences, etc… arranger leur vie à leur guise. Il faudrait peut-être quelques sentinelles. Mais je crois qu’il n’en faudrait pas beaucoup : nombre d’individus peu enclins au travail préféreraient certainement le travail normal avec sa conséquence, le bien-être, au travail beaucoup plus dur que leur imposerait la nature.
[/V.
de l’« Intégrale »./]
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Poser la question dans un organe anarchiste me paraît superflu, car les lecteurs de cette revue l’ont certainement résolue dans le sens de la liberté s’ils sont anarchistes.
Si nous sommes pour le travail volontaire, c’est que nous savons que toute contrainte exercée sur l’individu — par une volonté extérieure et plus forte que la sienne — le fait souffrir parce que cette contrainte le diminue et l’humilie on comprimant ses désirs, ses aspirations. De ce fait, l’effort donné pour un travail imposé, non volontaire, est moindre et le produit de qualité et de quantité inférieures. Pour un travail imposé, l’individu donnera rarement un rendement supérieur à celui qui est exigé de lui. Sa tâche déjà lourde sera rendue plus dure, plus pénible, du fait qu’il sera contraint de travailler davantage pour le satisfaction des fonctionnaires bureaucrate, policiers, magistrats, législateurs, etc., enfin de tous ceux qui vivent de l’organisation étatiste, centraliste et autoritaire.
Au contraire, avec le travail volontaire, tous les individus collaborent à la production utile, par la suppression de toute organisation autoritaire et coercitive, la tâche de chacun sera plus légère, le nombre de paresseux très infime et la majeure partie des individus portés à donner un effort supérieur à celui qui leur serait demandé, le travail libre leur apparaissant davantage une distraction qu’une peine, dont ils retireront tous le fruit.
Indiscutablement, nous sommes donc tous pour le travail volontaire. Toutefois, pour que ce travail volontaire soit consenti allègrement (lorsque les travailleurs se seront emparés des moyens de production et d’échange) il est indispensable qu’il revête un caractère presque absolu d’utilité générale.
Et c’est ici qu’intervient la difficulté d’établir une démarcation pas trop arbitraire entre la production strictement utile, pour la satisfaction des besoins purement naturels, et la production inutile, évitable, ou de médiocre utilité pour la satisfaction de besoins artificiels, pour des habitudes nocives ou vicieuses, pour un faux luxe qui flatte davantage la vanité qu’il ne crée du confortable.
Il s’agira de savoir si la majorité des individus actuels est disposée à régler les conditions de la production et de la consommation générales avec le concours d’une minorité de plus en plus importante de camarades qui pratiquent la vie simple ou sont tout au moins adversaires résolus des faux besoins ou habitudes nocives dont ils ne voudront à aucun prix se faire les complices.
Il serait donc indispensable que les anarchistes s’entendissent tout d’abord, pour faciliter l’organisation libertaire future qui doit nous permettre de vivre librement et nous épanouir, sur la production strictement utile concernant l’alimentation, l’habitat, le vêtement.
Songeons, en ce qui concerne l’alimentation, à toute la main‑d’œuvre occupée actuellement pour la production et la répartition de l’alcool, du vin et de la viande.
Songeons quelles difficultés nous aurions à instaurer aujourd’hui le communisme libertaire si le pinard, la gniole et le tabac étalent accaparés par nos adversaires maîtres des régions qui les produisent.
J’ajouterai que je crains fort que la révolution n’échoue lamentablement si nous ne sommes pas les dispensateurs du vin, de l’alcool et du tabac : Rappelons-nous que la guerre a duré beaucoup à cause de cela.
Les passions ou mauvaises habitudes sont les tyrans les plus redoutables.
Lorsque les anarchistes se seront entendus sur un programme de production utile pour tous, concernant particulièrement l’alimentation, l’habitat et le vêtement, ils propageront partout leur conception économique de l’organisation future de la société. D’accord avec les syndicats ouvriers, les éléments avancés des coopératives et de l’U.S.T.I.C.A., ils créeront des conseils économiques, locaux, régionaux qui auront pour mission — après avoir dressé un inventaire minutieux, chacun dans sa sphère, des matières premières, des produits manufacturés et des moyens de production existants — d’élaborer un plan précis, autant que possible, de la production et de la répartition futures sur les bases fédératives du communisme libertaire.
Ces conseils économiques s’efforceront tout particulièrement de porter toute leur attention au point de vue agricole, sur toutes les ressources du sol et du sous-sol. Car c’est de la terre que nous retirerons tout ce qui est nécessaire en matières premières pour l’alimentation, l’habitat et le vêtement.
N’oublions pas que la transformation de la société ne s’accomplira selon la conception libertaire qu’à la condition que nous soyons prêts, au lendemain de la révolution, à appliquer immédiatement et sans heurts ni hésitation, un plan précis et détaillé de la production et de la répartition.
Lorsque les conseils économiques auront élaboré ce travail élémentaire, primordial, quand nous connaîtrons toutes les ressources du pays, quand nous aurons en main un plan d’application Immédiat, nous soumettrons ce travail concret à tous ceux qui souffrent du régime actuel, à tous ceux qui pensent et ont un cœur et nous leur dirons : « Démolissons le vieux monde, voilà de quoi le remplacer ». Après… le reste viendra tout seul !
[/Henri
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Cette enquête me paraît encore plus utile que la précédente, pour savoir vraiment ce que chacun pense, surtout pour les anarchistes qui sont pour supprimer l’autorité.
Je suis pour le travail volontaire, parce que, partisan de la Liberté, et je considère que tout homme conscient doit aimer le travail et haïr l’autorité qui l’impose et qui permet aux oisifs d’en profiter.
Partisan du travail volontaire, il faut, malgré cela, qu’il soit administré.
Pour l’entreprise, la coopérative de production est tout indiquée pour faciliter le travail volontaire ; mais pour que l’association ne prenne pas les mêmes formes que la société capitaliste, il faut que l’entente soit formulée par une sorte de contrat, où chacun apporterait son Initiative, et prendrait l’engagement de respecter librement les conventions qu’imposerait le travail bien entendu ; il ne s’agirait pas que le procédé cupide du capitaliste s’y introduise : « À travail égal, salaire égal », il faudrait que tous les travailleurs aient les mêmes avantages.
Pour parer aux difficultés de main‑d’œuvre, les coopératives de producteurs auront à se mettre en relations indispensablement avec les organisations économiques : les syndicats, qui poursuivent la transformation sociale.
Certainement, sous le régime capitaliste que nous vivons, il faut que ceux qui désirent et qui admettent que le travail soit volontaire, possèdent, les uns et les autres, un idéal communiste, qu’ils considèrent que le travail est indispensable à la vie ; seulement, au lieu d’être un tourment, une contrainte, le travail doit devenir un plaisir, une satisfaction physique, morale et intellectuelle.
Hélas ! il y a trop de travailleurs qui ne peuvent pas se passer de maîtres, s’ils n’en avaient pas, ils seraient désorientés !
Pour ceux qui sont vraiment anarchistes, ils s’en dispenseront.
Pourquoi ? parce qu’ils savent que si chacun apportait son effort à la production du nécessaire pour l’existence (nous parlons pour ceux qui ont la santé et l’âge pour fournir cet effort), le travail deviendrait libre et non imposé.
Le Communisme Libertaire est la forme de la société future où existera le travail volontaire.
[/Claude