La Presse Anarchiste

Revue des revues

Le Cra­pouillot (3, place de la Sor­bonne, Paris), est déci­dé­ment l’une des plus inté­res­santes par­mi les innom­brables revues lit­té­raires et artis­tiques, parais­sant à Paris. On y fait preuve d’une indé­pen­dance rare, qui doit sûre­ment cho­quer sou­vent dans les milieux, plu­tôt bour­geois, il faut le dire, où cette revue se répand.

Dans le numé­ro de mai, j’y ai fort goû­té un ori­gi­nal conte d’amour de Mau­rice Deko­bra que je regrette de ne pou­voir citer plus lon­gue­ment. Mais sur­tout il y a un déso­pi­lant compte ren­du du Salon des Artistes fran­çais, par Robert Rey. M. Rey a conscien­cieu­se­ment par­cou­ru ce Salon où explo­sèrent toutes les croûtes, toutes les gloires offi­cielles de la pein­ture moderne. Il en rend compte avec une douce iro­nie, sans éclat, sans colère semble-t-il, mais n’en est que plus féroce. Écoutez-le :

« Bra­vo, M. Georges Scott ! Voi­là vrai­ment un cœur de Fran­çaise, cette jeune fille au pro­fil éner­gique et brun, la vraie fian­cée du lieu­te­nant de chas­seurs à pied, celle qui fit bais­ser les yeux du uhlan sou­dain timide, telle enfin que nous la mon­trée M. René Bazin, de l’Académie fran­çaise. Infir­mière au che­vet de nos chers bles­sés, elle soigne encore au fond des hôpi­taux ceux dont les méde­cins mili­taires n’ont pu depuis quatre ans venir à bout. Sur son cœur de Fran­çaise, la Légion d’honneur et la Croix de guerre font deux sublimes taches. Elle regarde la ligne bleue des Vosges et sera infir­mière-major la pro­chaine fois. On se sent récon­for­té devant une œuvre aus­si belle, et ras­su­ré ; tou­jours pour la pro­chaine fois. »

Et le Châ­ti­ment de Guillaume II, par M. Gervex :

« Dans un pay­sage de flamme et de car­nage, par­mi des enfants morts, dont la lueur de l’incendie rou­git les chairs bla­fardes, un Gui­laume II, en casque à pointe, cherche à fuir sour­noi­se­ment. Il échap­pe­rait peut-être à la ven­geance, car, suprême roue­rie, il s’est dégui­sé en sol­dat boche de ciné­ma. Mais il a pillé des caves : de sa musette sort le gou­lot doré d’une bou­teille de Cham­pagne. C’est ce qui l’a per­du, La ven­geance étend vers lui son glaive. Vrai­ment la Ven­geance de Prud’hon n’est qu’une midi­nette à côté de celle de M. Ger­vex. Celle-ci semble dire à l’homme d’Amerongen : « Un jour pro­chain M. Ger­vex fera ton por­trait, en boche de ciné­ma » et nous com­pre­nons alors tout ce que peut conte­nir d’horreur la gri­mace du mau­dit. Ce tableau a la gran­deur du châ­ti­ment (2 m. 50 sur 1 m. 90). »

N’est-ce pas que cela aide bien « à mieux com­prendre la haute mani­fes­ta­tion d’art moderne que repré­sente ce Salon des Artistes fran­çais » comme conclut, sans sour­ciller, M. Robert Rey.

[|* * * *|]

Après cette revue, somme toute luxueuse, avec ses repro­duc­tions d’œuvres d’art, ses numé­ros spé­ciaux, le choix de sa pré­sen­ta­tion, par­lons un peu d’une ten­ta­tive infi­ni­ment plus modeste, et néan­moins fort inté­res­sante. Je veux dési­gner L’Outil et la Plume (64, rue de Paris, Les Lilas (Seine), rédi­gée — et impri­mée — par quelques ouvriers manuels.

Dans le numé­ro 1, un poème : Prê­tresses de Sapho, par E. Giraud, ma foi guère tendre pour nous, pauvres hommes :

La morale est un leurre et Bili­tis fut sage
D’avoir su pré­fé­rer à l’homme impur et vil
La caresse légère et le bai­ser subtil
Des vierges dont le corps n’a point encore d’usage.
Sur ton corps déli­cat flotte un goût de luxure
Toute ma chair se pâme à l’odeur de ta chair
Aban­donne la bouche à mon désir pervers
Je te veux et ta gorge appelle mes morsures.
Laisse-moi décou­vrir la pointe de tes seins…

Je m’arrête, ne vou­lant éner­ver per­sonne, ni sur­tout trou­bler quelque char­mante lectrice.

J’aime moins les poèmes de P. Trouiller, même quand il les signe P. Reilloust ; il m’excusera de le lui dire en toute cama­ra­de­rie. Et quand je le vois à la page sui­vante dédier une prose « à l’ami Paul Bru­lat » je sou­ris et n’insiste pas. À quoi bon !

Mais la Chan­son de la Morte, de C. Cham­biet. est un beau poème :

La morte m’a par­lé ce soir
……………………………………………………
Elle avait comme aux temps passés
Mis jupe noire et blanc corsage
Ses che­veux blonds, fins et tassés
Auréo­laient son clair visage.
Elle appa­rut telle à mes yeux
Dons ma cham­brette solitaire
Que jadis au lit mortuaire
Où se fer­mèrent ses yeux bleus.
……………………………………………………
Le ciel, la lampe, tout est noir
La morte m’a par­lé ce soir !

[|* * * *|]

D’un tout autre genre encore, mais aus­si inté­res­sants sont les Essais Cri­tiques (39, Chaussée‑d’Antin, Paris‑9e), où un seul rédac­teur, M. Mar­cel Azaïs, traite la poli­tique fran­çaise et étran­gère, parle des livres, des revues, des théâtres et des concerts.

M. Azaïs est roya­liste : c’est dire que nous sommes loin de par­ta­ger toutes ses idées. Mais cela ne l’empêche pas de dire ce qu’il pense, même si ça déplaît aux roya­listes. C’est ain­si qu’il érein­ta dans un récent numé­ro les poèmes de M. Joa­chim Gas­quet, lequel fut sacré grand poète par l’Action fran­çaise, pré­ci­sé­ment parce que royaliste.

Dans le numé­ro de mai, il parle du nou­veau livre de Paul Morand : Ouvert la nuit et résume ain­si son impres­sion : « Les qua­li­tés de M. Morand sont noyées dans mille affé­te­ries. Cet auteur ne peut s’exprimer sim­ple­ment : il a joué à épa­ter le bour­geois, il ne peut plus s’en gué­rir. On lui a dit qu’il unis­sait les choses par des rap­ports nou­veaux, il est condam­né à cher­cher ces rap­ports, comme le che­val, enfer­mé dans une bat­teuse, est contraint de mar­cher sur un plan­cher éter­nel­le­ment fuyant. »

Il y a en outre, une chro­nique théâ­trale (sur l’Ate­lier de Dul­lin) une chro­nique des concerts et une sub­stan­tielle étude sur l’œuvre de G. Le Révé­rend, ins­ti­tu­teur nor­mand. Par­mi les extraits cités, rete­nons celui-ci :

Il y a des poètes qu’il ne faut pas cher­cher à com­prendre et qu’il ne faut pas appro­fon­dir. On y per­drait sa peine et ses illu­sions. Leur œuvre est un jar­din clos de murs avec des éclats de verre des­sus. Il faut sup­po­ser des mer­veilles à l’intérieur, mais se gar­der d’y aller voir. Ces riches ont acca­pa­ré une lieue de terre et de soleil ; mais il y a, à côté de leur bien, tout l’univers. Cou­rons les grands che­mins ensemble, mon ami ; et si, du haut de leur mur, ils nous har­cèlent, sachons dire merde aux dis­ciples de Mallarmé.

[|* * * *|]

La Revue Fédé­ra­liste (6, rue Neuve, Lyon) est un autre organe roya­liste. Pour­tant, on sait y par­ler sans par­ti-pris du der­nier livre d’Henri Béraud : Le vitriol de lune (et l’on sait que Béraud, quoique repor­ter et bour­reur de crânes au Petit Pari­sien est consi­dé­ré comme un écri­vain « d’avant-garde »).

On étrille, par contre, assez rude­ment la dynas­tie répu­bli­caine des Ber­the­lot : « Les Ber­the­lot son­geaient moins à ser­vir l’État qu’à s’en ser­vir. Ils n’avaient pas eu le temps de se créer les tra­di­tions et l’état d’esprit d’une véri­table aris­to­cra­tie de gou­ver­ne­ment, comme la Véni­tienne ou l’Anglaise ; ils en étaient res­tés aux concep­tions du bour­geois qui tra­vaille pour s’enrichir et ne voit guère au-delà de sa propre famille. Ce vice, trop répan­du dans les grandes mai­sons répu­bli­caines, n’est pas sans excuses : l’aristocratie n’a pas en France de racines véri­tables, et l’intérêt géné­ral y a tou­jours été défen­du, non par les grands, mais par le roi. »

Hum ! conclu­sion dou­teuse. À mon humble avis, le roi, comme les grands, se ser­vait de l’État plus qu’il ne le ser­vait. Les exemples foi­sonnent. Et Louis XIV comme Louis XI ou Napo­léon, se fou­taient pas mal du bon popu­lo de France et de Navarre, et de son inté­rêt général !

[|* * * *|]

La Chro­nique de l’Ours (94, rue Saint-Lazare, Paris), est tou­jours fort intéressante.

Dans le numé­ro 6, l’Ours étu­die le roman sans per­son­nages à pro­pos d’un volume de Mar­cel­lo-Fabri ; il constate que les Rou­gon-Mac­quartComé­die HumaineJean-Chris­tophe« L’Ours se réjouit…

Il s’inquiétait que l’on puisse être en l’an de grâce 1922 (j’écris cela pour vous, mon cher Luc-Albert Moreau) à la fois vice-pré­sident de la Socié­té des Artistes indé­pen­dants et membre asso­cié de la Socié­té natio­nale ; il s’inquiétait de voir que l’on puisse — bien que rédac­teur judi­ciaire en un grand quo­ti­dien où la règle est d’être, tou­jours, contre l’accusé [[Quand le dit accu­sé est pauvre, cher Ours !! Et dites donc, pour­quoi ne pas mettre de nom ici ? Je serais curieux de connaître ce nou­vel amphi­bie ! M.W.]]. — pas­ser au sein des avant-gardes lit­té­raires comme un esprit libre et sub­til ; il s’inquiétait, ayant eu la sur­prise dou­lou­reuse de lire dans l’ignoble Petit Pari­sien la signa­ture d’un Léon Werth ; il se deman­dait, si, spi­ri­tuel­le­ment aus­si, nos géné­ra­tions allaient se conten­ter de consta­ter, iro­ni­que­ment qu’elles méritent ample­ment d’être appe­lées les sacri­fiées ; et si, lais­sant les gérontes le ventre à table, nous allions nous satis­faire de nous abreu­ver des fonds de carafe et de nous sus­ten­ter de miettes. Quoi ! si tôt rési­gnés ? Duha­mel sié­geant, déjà au jury du prix Bal­zac, Zaha­roff entre Paul Bour­get et Hen­ri Bordeaux…

Dans la mai­son pour­tant si mal gérée par leurs aînés, les jeunes péné­traient à genoux, et par­fois à plat ventre. Mais voi­ci qu’excédés, les autres grognent Lu mai­son est à eux, c’est à nous d’en sortir… »

Comme de juste, le Mer­cure de France ne nous fait pas le ser­vice d’échange : cela lui rap­pel­le­rait trop fâcheu­se­ment sa jeu­nesse, le temps où il était anar­chiste avec la Revue Blanche, l’Ermi­tage et tant d’autres, avant de deve­nir bas­se­ment poli­cier. Son chro­ni­queur des revues, M. Charles-Hen­ri Hirsch, répu­té cepen­dant pour son libé­ra­lisme, ne cita plus jamais Les Humbles depuis que j’eus le culot de ne pas crier au chef‑d’œuvre devant un de ses romans. Quelle ven­geance, n’est-ce pas !

Or, Clar­té nous apprend que le Mer­cure de France consa­cra 30 pages à l’apologie de l’Union civique. Et Clar­té paraît s’en éton­ner. Avez-vous donc oublié la guerre et les salo­pe­ries com­mises alors dans ce même Mer­cure par le Dumur et ses aco­lytes, cocos sans génie et lâches calom­nia­teurs, insul­tant Guil­beaux qui ne pou­vait se défendre.

[|* * * *|]

Il est vrai que Clar­té oublie faci­le­ment ses pré­dé­ces­seurs en Révo­lu­tion, ceux qui se fai­saient condam­ner à mort pour défai­tisme pen­dant que les Clar­tistes les plus émi­nents attra­paient des croix de guerre avec palmes, voire des Légions d’Honneur !

Hen­ri Guil­beaux, réfu­gié à Mos­cou, conti­nue à écrire des poèmes. Il en fit par­ve­nir en France. Dujar­din en publia un dans ses Cahiers Idéa­listes Fran­çais ; Aver­maete en insé­ra un autre dans Lumière (revue belge fort inté­res­sante dont je vous repar­le­rai un de ces jours). Clar­té refu­sa de publier le moindre vers de l’absent. Ah ! comme dit un ami : « C’est dif­fi­cile à pla­cer les vers d’un exi­lé, condam­né à mort ».

Les Humbles viennent d’éditer l’ensemble de ces poèmes sous le titre : Kras­kreml, sui­vi d’autres poèmes. (2 francs à la Librai­rie Sociale). Non pas que nous esti­mons tous ces poèmes comme des chefs‑d’œuvre. Mais au moins ils sont inté­res­sants : il est curieux de suivre l’évolution chez Guil­beaux de ce qu’il appe­lait avant-guerre le dyna­misme. Et ces poé­sies ne res­semblent guère à la pro­duc­tion contemporaine.

Puis, nous avons vou­lu faire entendre la voix trop oubliée d’un exi­lé, aban­don­né par ses amis mêmes. Car enfin, Guil­beaux, com­mu­niste, est infi­ni­ment plus rap­pro­ché des idées direc­trices de Clar­té que de celles des Humbles.

Le volume est illus­tré de linos gra­vés Albert Dae­nens, vrai­ment curieux : syn­thé­tiques, déco­ra­tifs, un peu mys­té­rieux peut-être. Ça fait une jolie édition.

N’est-ce pas que je m’y entends, cama­rades, à van­ter ma marchandise ?

[/​Maurice Wul­lens./​]

P.S. — J’ai reçu aus­si de copieux numé­ros de Choses de théâtre (1(4, fau­bourg St-Hono­ré. Paris) et du Monde Nou­veau (42, bou­le­vard Ras­pail. Paris). J’y revien­drai prochainement.

La Presse Anarchiste